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Chapitre 4 - 1 ère étape (exploratoire) : Caractérisation de la diversité des

8. Conclusions & conséquences pour construire le cadre d’analyse de l’aménagement

8.1. Histoire du passage de la première question à la question de recherche de

cette thèse

Tout d’abord l’étude exploratoire a confirmé qu’en faisant abstraction de ce qu’est le travail

pour les éleveurs, on passe à côté de quelque chose d’essentiel pour comprendre

l’organisation du travail chez les éleveurs. En écoutant certains pluriactifs, on dirait que

«aimer les animaux », « avoir un troupeau de taille modeste », « travailler en famille » sont

des objectifs assignés à l’élevage … mais ce ne sont ni des objectifs de production, ni des

objectifs économiques, ni des objectifs de calendrier de travail… avec un regard de

zootechnicien, on dirait qu’il s’agit de « moyens de production » ou de « facteurs de

production »… or les éleveurs ne considéraient pas ces éléments comme des moyens ou des

facteurs de production, mais plutôt comme ce qui fait sens dans leur travail. Même avec un

cadre théorique faisant abstraction de la subjectivité, les éleveurs ont justifié leurs choix

techniques et d’organisation en parlant de plaisir, de loisir, de passion. Ce sont ces récits qui

m’ont donné envie de m’intéresser aux relations entre organisation du travail, contraintes

temporelles et rapport subjectif au travail, qui sont au cœur de cette thèse. Dans les

paragraphes suivants, j’explique les deux intérêts des résultats de cette étude exploratoire pour

construire le cadre d’analyse de l’aménagement des conditions de vie au travail en élevage. Le

premier est de confirmer que les pluriactifs constituent une situation pertinente d’étude de

l’aménagement des conditions de vie au travail. Le deuxième est de préciser les éléments de

l’organisation du travail et les rationalités pertinents à intégrer dans un tel cadre.

8.2. La pluriactivité est un bon révélateur des relations entre organisation du

travail, contraintes temporelles et rapport subjectif au travail

Les résultats de cette étude exploratoire confirment la pertinence des pluriactifs comme

situation d’étude postulée dans le chapitre 2. Le postulat reposait sur deux arguments

construits à partir de la littérature. Le premier était que la pluriactivité en élevage, en

exacerbant les contraintes d’organisation du travail, notamment en termes de quantité de

travail et d’articulation temporelle des activités, contraintes étant au cœur des réflexions sur

les conditions de travail des éleveurs en général, permettraient de mieux voir les différentes

façons d’y faire face. Le deuxième était que la pluriactivité, du fait de l’existence de revenus

extérieurs, était susceptible d’affranchir en partie les éleveurs de la pression économique sur

l’élevage, ce qui leur permettrait d’articuler production et subjectivité de manière plus

satisfaisante que les éleveurs à temps plein. Et par conséquent la pluriactivité permettrait de

mieux voir les relations entre organisation du travail, contraintes temporelles et rapport

subjectif au travail.

En effet, les résultats de l’étude exploratoire montrent que :

- les objectifs de revenu et de production peuvent être indépendants,

- certains pluriactifs continuent à faire de l’élevage malgré un revenu négatif, nul ou

modeste,

- certains pluriactifs s’organisent pour être le plus disponible possible pour leur activité

agricole et ce, quelque soit leurs attentes de revenu agricole,

- certains d’entre eux ne cherchent pas à réduire la quantité et la durée du travail à faire sur

l’exploitation,

- certains mettent en œuvre des pratiques très exigeantes en temps de travail, alors que leur

disponibilité est limitée par l’exercice d’une ou plusieurs activités extérieures.

Cette étude exploratoire confirme donc que la pluriactivité est une situation dans laquelle faire

de l’élevage ce n’est pas seulement produire pour un revenu. Elle donne à penser qu’il y a

d’autres rationalités du travail que la rationalité économique et que ces rationalités marquent

les choix des éleveurs de conduite, de gestion du temps et de gestion de la main-d’œuvre,

c’est-à-dire d’aménagement des conditions de vie au travail. Tout cela est bien plus riche et

diversifié que les discours sur les revendications des éleveurs en terme de temps de travail

maîtrisé, réduit, de temps libre, de vivabilité, avec le passage aux « 35 heures » vécu comme

un véritable choc par les éleveurs (Dufour et Dedieu, 2008). Certains ont même affirmé qu’ils

n’ont ni envie ni besoin de partir en vacances. Les écarts à l’optimisation

technico-économique montrent la distance avec les discours de promotion par les responsables

professionnels agricoles de la professionnalisation des éleveurs, des compétences

d’entrepreneurs, de chefs d’entreprise… C’est orthogonal avec le postulat de rationalité

technico-économique avec lequel la zootechnie travaille. La pluriactivité en élevage constitue

donc bien un terrain à l’écart du processus de modernisation de l’agriculture promouvant

l’augmentation de la productivité du travail et transformant le travail agricole en le

rationalisant économiquement.

Tout cela me conduit à penser que l’élevage rapporte autre chose que de l’argent aux éleveurs,

et que ces « bénéfices » sont parfois au moins autant structurant de l’organisation du travail

que des objectifs de revenu, de production ou des contraintes de calendrier de travail. Cette

étude exploratoire constitue ainsi une base empirique précieuse pour construire le cadre

d’analyse de l’aménagement des conditions de vie au travail.

8.3. Les résultats de l’étude exploratoire qui vont guider la construction du cadre

d’analyse

Pour comprendre ce qui est structurant dans l’organisation du travail agricole, il apparaît

nécessaire de comprendre ce que le travail agricole et en particulier le travail d’élevage

apporte à l’éleveur, ce qui fait sens pour lui dans son travail, ce qui compte le plus pour lui et

pas seulement sur le plan économique. Pour cela, il faut répondre aux questions suivantes :

Pourquoi les pluriactifs font-ils de l’élevage en plus d’un autre travail parfois sans en attendre

de revenu ? Pourquoi certains éleveurs ont des objectifs techniques ambitieux et pas d’attente

de revenu ? Pourquoi certains éleveurs mettent en œuvre des pratiques d’élevage exigeantes

en temps et en fréquence de travail alors qu’ils ont des contraintes de disponibilité ? Pourquoi

certains éleveurs modifient la durée et le rythme de l’activité extérieure pour être plus

disponible pour l’activité d’élevage sans en attendre de revenu ?

Dans la seconde étape, je vais donc approfondir et caractériser ce que les éleveurs attendent

de leur travail d’élevage selon différentes rationalités afin d’analyser à quelles rationalités du

travail renvoient les facteurs de l’organisation du travail. Je vais d’emblée distinguer la

rationalité économique, et la rationalité technique. Je vais essayer de ne pas avoir d’idée

préconçue de ce qui fait « contrainte d’organisation du travail », de ce qui fait « objectif » ou

« moyen ». Je vais étudier de manière plus approfondie chaque cas pour lui-même, pour

essayer de comprendre ce qui est marquant pour chaque cas, ce qui est structurant, ce qui

permet de le comprendre et non plus caractériser une diversité. Mon objectif est de faire une

place à la subjectivité de l’éleveur dans l’analyse zootechnique des choix d’organisation du

travail d’un éleveur. Pour cela, je vais utiliser le deuxième cadre théorique fondé sur le

concept de travail vivant que j’ai présenté dans le chapitre 3. En ce qui concerne le regard sur

l’organisation du travail au sens large (le contenu, le qui, le quand, le combien de temps), il

portera sur les ajustements réalisés par l’éleveur entre les différents éléments de l’organisation

du travail, et non plus sur l’analyse de l’organisation réalisée, qui lisse les choses, qui ne

montre pas bien ce qui est difficile pour l’éleveur, ce sur quoi il peut ou veut jouer ou ce à

quoi il tient vraiment, ou ce sur quoi il ne peut pas jouer pour organiser son travail. Je vais

donc reprendre l’idée d’un regard sur l’organisation du travail en tant que combinaison de

leviers présentée au chapitre 3, en considérant comme leviers, la conduite, le collectif de

travail et les équipements (comme les zootechniciens le proposent mais aussi le

dimensionnement des activités, le choix des activités du système d’activité, la gestion du

temps, c’est-à-dire le temps que les éleveurs sont prêts à consacrer à telle ou telle activité,

éléments qui ressortent de cette enquête. La construction de ce cadre fait l’objet de la

deuxième étape de ma recherche, dont je rends compte dans le chapitre suivant, le chapitre 5.

Chapitre 5 - Construction du cadre d’analyse de l’aménagement des