• Aucun résultat trouvé

Chapitre 4 - 1 ère étape (exploratoire) : Caractérisation de la diversité des

7. Avec les attributs, les axes de différenciation et les types de stratégies, retour sur

J’ai construit une approche pour mettre en évidence et caractériser les différentes façons dont

les pluriactifs mettent en cohérence leurs objectifs de revenu agricole et leurs contraintes

horaires et calendaires dues à l’exerce d’activités extérieures à l’exploitation, avec les

modalités d’élaboration de la production et de gestion de la main-d’œuvre. L’approche a

consisté à :

- construire 6 attributs qualitatifs permettant de décrire les mises en cohérence, grâce à la

notion de stratégie d’élevage,

- mener une analyse factorielle en composante multiple permettant d’identifier 2 axes de

différenciation des stratégies d’élevage

- mobiliser la méthode graphique de Bertin pour identifier 6 types de stratégies d’élevage

J’ai effectivement observé une diversité de stratégies d’élevage et donc une diversité de

façons de mettre en cohérence les objectifs de revenu agricole, les contraintes temporelles, les

modalités d’élaboration de la production et de gestion de la main-d’œuvre.

Toutefois, l’hypothèse centrale selon laquelle les objectifs de revenus agricoles et les

contraintes temporelles s’appliquant à l’élevage seraient déterminants des modalités

d’élaboration de la production et de gestion de la main-d’œuvre, a été réfutée. Les 3

hypothèses secondaires suivantes ont été réfutées :

- les objectifs de production sont subordonnés aux objectifs de revenu agricole.

- l’activité d’élevage est souvent subordonnée aux autres activités, notamment dans les

situations d’activités extérieures exercées à titre salarié,

- l’exercice d’activités extérieures à titre indépendant laisse plus de marge de manœuvre

temporelle

Souvent, les cohérences observées ne relèvent pas de la seule rationalité technico-économique

de gestion du temps de travail des membres du ménage.

7.1. Les objectifs de production ne sont pas toujours subordonnés aux objectifs de

revenu agricole, ce qui est structurant de l’organisation du travail, c’est la

combinaison des objectifs de production et de revenu agricole

L’attribut « attentes de revenu agricole » (REV) contribue certes à expliciter la diversité des

stratégies. En effet, elle contribue au second facteur, « place et rôle de l’élevage dans le

système d’activité du ménage ». Mais les objectifs de production ne sont pas subordonnés aux

objectifs de revenu agricole. Distinguer les objectifs de revenu des objectifs de production et

analyser comment ils coïncident ou non permet mieux d’expliquer la diversité des stratégies

des éleveurs ovins pluriactifs.

La gamme de niveaux d’attente de revenu agricole que j’ai observée était plus étendue que la

gamme allant de « bas, moyen, ou élevé », comme évalué dans les études menées en sciences

sociales à partir du pourcentage que représente la revenu agricole dans le revenu total du

ménage (Mackinnon et al., 1991). Mes observations confirment que la pluriactivité en

agriculture peut relever davantage d’un choix de style de vie que d’un besoin économique

comme l’a déjà montré l’anthropologue Barlett (1986). En effet, j’ai rencontré des situations

dans lesquelles le pluriactif attendait de l’activité agricole juste qu’elle ne lui coûte pas

(stratégie « passion et ambition technique »), ou acceptait que l’activité agricole coûte de

l’argent (stratégie « amortisseur »). Cet attribut a seulement été renseigné à partir de ce que

l’éleveur a déclaré. Dans la suite de ma recherche, j’ai collaboré avec un économiste qui, par

une analyse microéconomique détaillée a montré que les performances technico-économiques

obtenues correspondaient relativement bien à ces déclarations (Laignel et al., 2008) (poster en

annexe 4). Pour comprendre les logiques de production des éleveurs pluriactifs, d’autres

objectifs économiques que les objectifs de revenu devraient être considérés, comme les

objectifs de capitalisation.

Considérer la variabilité des niveaux d’attente de revenu agricole n’est pas suffisant pour

expliquer la diversité des stratégies pour deux raisons. Premièrement, l’attribut « objectifs de

revenu agricole » (REV) contribue au second facteur (Tableau 7), et les objectifs de

production représentés par l’attribut « logique de production » (PROD) contribuent au

premier facteur : les attributs sont donc indépendants ; cela signifie qu’à un niveau d’attente

de revenu agricole peut correspondre une diversité d’objectifs de production et de

conduites associées. Deuxièmement, le premier et le second facteur expliquent le même

pourcentage de diversité, 14 et 13% respectivement.

Les pluriactifs avec une stratégie « forte productivité » et avec une stratégie « passion et

ambition technique » visent des niveaux élevés de performance, mais les premiers attendent

un revenu de l’élevage, contrairement aux seconds qui souhaitent seulement ne pas perdre

d’argent avec l’élevage. Les éleveurs avec ces deux types de stratégies mettent en œuvre le

même type de conduite avec des béliers à viande en race pure, 3 agnelages en 2 ans, plusieurs

contrats de commercialisation dans les filières de qualité ou à contre-saison (PROD 4). Ce

type de conduite correspond à la conduite emblématique localement, promue par les

groupements de producteurs et au sein des éleveurs à temps plein qui visent les niveaux les

plus élevés de productivité et de revenu (Benoit et al., 1999).

Les pluriactifs sans objectifs de revenu agricole, c’est-à-dire, soit qui visent « pas de perte »

(stratégie « avec passion et ambition technique ») ou qui acceptent des pertes (stratégie

« amortisseur »), couvrent toute la gamme des objectifs de productions de « pas d’objectifs »

(PROD 1, Tableau 4) à des « niveaux élevés de performances techniques » (PROD 4,

Tableau 4).

In fine, ce qui est structurant, c’est donc la combinaison d’objectifs de revenu et de

production, les deux n’étant pas liés de manière linéaire selon une rationalité strictement

économique.

7.2. L’activité d’élevage est loin d’être systématiquement subordonnée

temporellement aux activités extérieures, et ceci indépendamment du fait que

l’activité extérieure soit exercée à titre salarié et des attentes de revenu

agricole

J’avais fait l’hypothèse que globalement l’activité d’élevage serait subordonnée

temporellement aux activités extérieures, et que, de ce fait, la conduite constituerait un levier

dans l’organisation du travail : elle serait ajustée à la disponibilité réduite du pluriactif pour

mener son activité d’élevage. J’avais aussi fait l’hypothèse que l’organisation du travail

agricole chez les salariés serait soumise à davantage de contraintes horaires et calendaires que

les pluriactifs qui mènent une activité extérieure à leur compte. Ces deux hypothèses sont

réfutées.

En effet, des pluriactifs s’organisent pour se rendre disponible pour l’activité agricole, qu’ils

exercent leurs activités extérieures à titre salarié ou indépendant. La disponibilité pour

l’élevage repose sur les possibilités d’agrandir le collectif de travail et d’ajuster le rythme de

l’activité extérieure pour être pleinement disponible pour l’activité agricole à certaines

périodes critiques de la gestion du troupeau ou des surfaces : grâce aux journées de repos, de

congés, de RTT, ou au travail en équipe, les pluriactifs qui exercent une activité salariée sont

en mesure de lever la subordination temporelle de l’activité agricole par l’activité extérieure.

Cette disponibilité est organisée soit au jour le jour, de manière conjoncturelle, soit à l’échelle

de l’année, de manière plus anticipée et structurelle. Ces éleveurs anticipent les événements

des cycles de production exigeants en temps de travail, et les organisent de manière à ce qu’ils

coïncident avec les possibilités de congés de l’activité extérieure. Certains éleveurs salariés

bénéficient également du fait qu’ils travaillent « seulement » la nuit ou les week-ends, ce qui

leur permet d’être très disponibles pour l’activité agricole au quotidien. J’ai surtout observé

ces façons de se rendre disponible chez des éleveurs aux stratégies « avec passion et ambition

technique », « en famille simplement », dans lesquelles les attentes de revenu agricole sont

limitées ou inexistantes. Cela indique, que même sans attente de revenu ou avec des attentes

modérées de revenu agricole, des pluriactifs, y compris salariés, souhaitent consacrer du

temps à l’élevage : ils s’organisent pour être disponible pour l’activité agricole et ne sont pas

dans une logique de gagner du temps, de travailler plus vite en élevage. Cela confirme ce que

Fall (2004) a déjà montré : les pluriactifs en Europe n’allouent pas leur temps aux activités

agricoles et extérieures selon une simple rationalité économique d’optimisation, mais aussi,

semble-t-il selon des valeurs personnelles impliquées dans le travail agricole (Gasson, 1973 ;

Salmona et De Vries, 1974 ; Sens et Soriano, 2001).

Ces adaptations du rythme des activités extérieures sont peut-être soulignées et

surreprésentées dans mon étude pour deux raisons. Premièrement, l’échantillon comporte

beaucoup de salariés annuels qui disposent d’une certaine liberté pour poser leurs jours de

congés et de repos. L’échantillon comporte peu de pluriactifs salariés avec des horaires

imposés et très variables comme dans l’étude de Laurent et al. (2000) et pas de salariés

saisonniers qui n’ont aucune souplesse sur les jours et les horaires travaillés, comme les

moniteurs de ski ou les perchmen dans l’étude de Madelrieux (2004). Deuxièmement,

l’élevage ovin permet d’avoir des périodes successives avec une quantité variable de travail

quotidien et plus ou moins différable à faire sur le troupeau, contrairement à l’élevage laitier

qui impose un travail à heure régulière quotidien du fait de la traite.

Parmi les pluriactifs dont les activités extérieures étaient exercées à titre indépendant, certains

donnent la priorité aux activités extérieures et chez certains, comme le couple de

boulanger-pâtissier-éleveurs, l’activité d’élevage est subordonnée temporellement à l’activité extérieure.

Ces pluriactifs disposent de moins de marge de manœuvre temporelle que la plupart des

pluriactifs qui exercent une activité extérieure à titre salarié.

In fine, la gestion de l’activité agricole et plus particulièrement celle du troupeau n’était

pas systématiquement contrainte par la disponibilité réduite de l’éleveur du fait de

l’exercice d’une ou plusieurs activités extérieures, ni adaptée à cette disponibilité.

Ce qui apparaît structurant, c’est donc plutôt le temps que les pluriactifs ont envie de

dédier à l’élevage que les contraintes horaires déduites du statut de l’activité extérieure.

Le temps dédié à l’élevage ne se déduit pas directement du temps laissé disponible par

les activités extérieures. Il repose notamment sur la motivation pour l’élevage.

Pour comprendre comment les pluriactifs parviennent à dédier du temps à l’élevage, il

apparaît important de caractériser les horaires, les rythmes, les possibilités d’échange

d’équipes, le nombre de jours de congés, de repos, de RTT et les conditions pour poser

ces jours pour les salariés et de caractériser outre les horaires et le calendrier de travail,

les modalités de dimensionnement des activités exercées à titre indépendant.

7.3. Une combinaison de leviers mobilisés

J’avais fait l’hypothèse que les pluriactifs mobiliseraient essentiellement un seul levier de

l’organisation du travail, et cela selon une rationalité technico-économique. Je m’attendais à

observer deux types opposés de stratégie : d’une part des stratégies dans lesquelles le

principal levier de l’organisation du travail serait la conduite chez des pluriactifs pour qui

l’élevage ne serait pas important (sur le plan du revenu et du temps passé), et d’autre part, des

stratégies dans lesquelles le principal levier serait la main-d’œuvre, chez des pluriactifs pour

qui l’élevage serait important.

Certes j’ai mis en évidence ces deux types de stratégie : le type « amortisseur » et le type

« forte productivité ». La stratégie « amortisseur » se caractérise effectivement par l’absence

d’attente de revenu agricole (REV 1) et le fait que la conduite du troupeau soit adaptée au

rythme des activités extérieures au jour le jour, sous forme d’impasse, de simplification, de

report (TRAV 1). La stratégie « forte productivité » se caractérise notamment par des attentes

de revenu important (REV 4) et par le fait que le levier principal mobilisé est constitué par la

mobilisation d’un collectif de travail élargi et une délégation importante (TRAV 3), c’est le

cas des éleveurs avec mandats mais pas seulement.

Certes quelques stratégies sont fondées sur des conduites de troupeau dont les justifications

relèvent d’arguments relatifs à l’organisation du travail. J’ai rencontré deux types

d’argumentation. La première est de mettre en œuvre une conduite de troupeau dans laquelle

les béliers sont avec les brebis toute l’année (PROD 1 ou PROD 2 (Tableau 4)), pour étaler

les agnelages et éviter des pics de travail. La deuxième est de mettre en œuvre une conduite

de troupeau avec une seule période de lutte limitée dans le temps par brebis par an, planifiée,

de manière à ce que la période d’agnelage et celle des congés de l’activité extérieure

coïncident (PROD 3).

Mais pour rendre compte des ajustements entre les facteurs de l’organisation du travail, j’ai

du construire pour l’attribut « logique d’organisation du travail » des modalités

correspondant à la mobilisation de plusieurs leviers, et considérer que l’ajustement du temps

consacré à l’activité extérieure constituait aussi un levier.

J’ai aussi mis en évidence d’autres types de stratégies. Et ces autres types de stratégie ne sont

pas caractérisés par une seule modalité de l’attribut « logique d’organisation du travail ». Par

exemple parmi les 7 exploitations avec la stratégie « passion et ambition », 4 mobilisent

plutôt la conduite et le temps travaillé à l’extérieur comme leviers de l’organisation, 2

mobilisent plutôt la conduite et la main-d’œuvre comme leviers de l’organisation, et un

surtout le temps travaillé à l’extérieur. Cela rappelle les résultats de Dedieu et al. (1997b)

obtenus en Montmorillonnais chez des éleveurs ovins à temps plein.

En outre, le dimensionnement des activités constitue également un levier de l’organisation du

travail, thème sur lequel je reviens dans le paragraphe suivant.

In fine, les pluriactifs adaptent rarement seulement la conduite du troupeau au rythme

de l’activité extérieure. Le plus souvent, ils combinent aussi des adaptations du rythme

de l’activité extérieure et la main-d’œuvre disponible sur l’exploitation.

Les liens entre les objectifs de revenu, les objectifs de production et la mobilisation des

leviers de l’organisation ne sont pas univoques et ne renvoient pas forcément à la

rationalité technico-économique.

7.4. Le dimensionnement de l’activité agricole

J’ai construit un attribut caractérisant l’évolution de la taille du troupeau ovin au cours

d’histoire du système d’activités (DYN) avec l’idée de rendre compte de l’importance

attribuée à l’activité d’élevage dans le système d’activité. En questionnant les pluriactifs sur la

façon de dimensionner les activités de leur système d’activité, j’ai observé que limiter la taille

du troupeau (DYN 2, 3, 4) pouvait être une façon de réussir à mettre en œuvre une conduite

exigeante en temps de travail comme la modalité (PROD 4) qui vise une forte productivité de

l’animal malgré une disponibilité limitée pour l’élevage. C’est le cas des éleveurs avec les

stratégies « le troupeau conduit avec passion et ambition technique » (S3) et « le troupeau

conduit avec passion et compromis » (S4). Dans ces cas là, limiter la taille du troupeau, ne

signifie pas que l’activité d’élevage n’est pas importante pour le pluriactif : certes les attentes

de revenu sont modestes voir parfois limitées à « pas de perte », la disponibilité pour

l’élevage est limitée, mais l’importance est d’un autre ordre, plus personnel, relatif au goût de

l’élevage, dont l’approche développée lors de cette première étape ne rend pas compte. Il est

ainsi remarquable que le niveau de motivation vis-à-vis des performances de production

animale est indépendant de la taille du troupeau (Tableau 8) : des gros et des petits troupeaux

sont menés avec les stratégies « forte productivité » et « le troupeau conduit avec passion et

ambition technique », des gros et des petits troupeaux avec la stratégie « amortisseur ».

En considérant le dimensionnement des activités comme un des facteurs de l’organisation du

travail au même titre que les trois facteurs que sont la main-d’œuvre, la conduite, et

l’équipement (Dedieu et al., 2006), je vais plus loin que les zootechniciens qui évoquent

seulement les choix de dimensionnement de l’activité d’élevage dans leurs interprétations de

l’organisation du travail réalisée. Ainsi Madelrieux (2004, p155-156) explique que « JCG a

dimensionné son troupeau par rapport aux bâtiments et à la main-d’œuvre

61

pour éviter les

mises en pension (délocalisation) et élever ses bêtes « comme il l’entend » » et que chez JFG

(Ibid., p157-158), « ils n’ont pas conçu leur système pour être autonomes et que le troupeau

est surdimensionné par rapport à la place dans le bâtiment. Ils mettent 15 génisses à

l’hiverne. Le manque de surfaces au siège se traduit par le fait qu’ils mettent génisses et

veaux sur le site éloigné au printemps et à l’automne, ce qui nécessite des organisations

particulières ». Les observations d’ajustement de la dimension de l’élevage d’une année sur

l’autre et à court terme, diffèrent des réflexions des agronomes qui considèrent de fait le

dimensionnement essentiellement comme un élément structurel, relevant de choix

stratégiques sur le long terme (Aubry, 2007 ; Bonneviale et al., 1989 ; Capillon et Manichon,

1991) et non d’un levier ajustable d’une année sur l’autre. Ces observations rappellent celles

de Cristofini (1978) en Corse.

In fine, il me semble important de considérer le dimensionnement comme un levier

potentiel de l’organisation du travail. Il n’est pas forcément subordonné au temps

disponible pour l’élevage : il ne répond pas forcément à une logique d’optimisation

technico-économique du temps du ménage.

8. Conclusions & conséquences pour construire le cadre d’analyse de