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Chapitre 3 - Présentation de la démarche en 2 étapes : cadres théoriques,

1. Les approches du fonctionnement technique et de l’organisation du travail

1.1. Analyser le fonctionnement d’un système d’élevage du point de vue de

1.1.4. Fonctionnement de système d’élevage : étude des combinaisons de

pratiques

Le fonctionnement du système d’élevage est appréhendé comme « la logique d’organisation

des interventions humaines, ce qui renvoie clairement à la finalisation du système de

production » (Landais et al., 1988, p147). Son étude consiste à étudier des combinaisons de

pratiques des éleveurs en fonction de la question à laquelle on souhaite répondre. Ainsi s’il

s’agit de l’« étude de l’efficacité alors on s’attachera à décrypter l’enchaînement logique des

opérations réalisées en se référant à l’élaboration des produits. C’est donc le niveau

d’intervention des différentes pratiques dans le processus de production qui va permettre de

les ordonner, les classer» (Ibid., p143). Landais et al. mettent en garde quant au risque de

nous perdre dans les détails et de perdre de vue le fonctionnement global du système

d‘élevage : « Attention à ne pas tomber dans trop de détails… « on s’exposerait à ne rien

saisir des liens essentiels pour nous, qui unissent les pratiques au « fonctionnement » des

systèmes étudiés : en effet, comme nous le verrons plus loin, ce n’est pas au niveau des

modalités de chaque pratique prise isolément, mais de la combinaison des pratiques, que l’on

s’accorde à rechercher et à caractériser la spécificité du système mis en œuvre par un

agriculteur donné » (Ibid., p 134).

« Concrètement que recouvre le terme de « pratiques » ? des « manières de faire »… ou

parfois des manières de ne pas faire. […] Des manières de faire quoi ? Nous l’avons vu,

agronomes et zootechniciens privilégient la plupart du temps les activités productrices. Il

s’agit pour eux des manières de produire » (Ibid., p132). Les zootechniciens distinguent trois

caractéristiques des pratiques pour les analyser : leurs modalités techniques, leur efficacité en

terme d’élaboration de la production, leur opportunité, c’est-à-dire la justification de la

pratique. Landais (1987, p15-16) exprime ces trois caractéristiques par les questions: « Que

fait l’éleveur ? et comment fait-il ? Quels sont les résultats de son action ? Pourquoi fait-il

cela ? ». Landais (Ibid., p137) insiste sur le raisonnement de type « fin-moyen » pour analyser

les pratiques des éleveurs et en particulier leurs déterminants : « les effets et conséquences que

l’agriculteur attend de la mise en œuvre d’une pratique en sont les principaux déterminants ».

Caractériser la modalité (Landais et al., 1988, p134) consiste à « identifier les pratiques

observées, en privilégiant l’aspect descriptif. Au-delà de l’identification de l’objet même de

l’action (que fait l’agriculteur ?) qui est en général aisée, on s‘attache véritablement ici à la

manière de faire, jusqu’aux gestes effectués par l’acteur. […] il sera nécessaire, pour

qualifier les pratiques, d’en évaluer certaines caractéristiques, comme leur durée ou d’autres

traits quantitatifs etc. » L’ensemble des modalités techniques des pratiques est appelé

conduite. Sont distinguées la conduite du troupeau et la conduite des surfaces.

Caractériser l’efficacité (Ibid., p135) consiste à « examiner les résultats de l’action de

l’objet directement et matériellement concerné. Les conséquences s’observent sur des

éléments du système non directement concernés par la pratique en question. » Caractériser

l’opportunité (Ibid., p136) consiste à « éclairer les déterminants de la mise en œuvre d’une

pratique donnée, à un instant donné, par référence :

- au projet de l’agriculteur. […] L’opportunité des décisions de l’agriculteur doit être évaluée

dans les termes de ses objectifs propres. Le système fait-il ce qu’il veut faire quitte à ne pas le

faire efficacement.

- à l’ensemble du système qui est géré par l’agriculteur. Cette référence globale permet seule

d’apprécier l’opportunité de la décision (ce n’est peut-être pas la meilleure décision, dans

l’absolu, mais c’est peut-être la moins mauvaise possible, compte tenu des contraintes

propres au système). Il ne s’agit pas tant, pour l’agriculteur, de maximiser une fonction

d’objectifs que de parvenir à un ensemble de « solutions satisfaisantes ».

Les déterminants des pratiques d’élevage n’ont pas seulement été étudiés en relation avec les

finalités de production attribuées à l’éleveur, mais aussi en relation avec les valeurs de

l’éleveur, le sens qu’elles ont pour lui (Darré et Hubert, 1993 ; Hubert et al., 1993 ; Landais et

Lasseur, 1993a) notamment dans le cadre de recherches pluridisciplinaire et interdisciplinaire

avec l’anthropologue Darré. Les pratiques ont été étudiées du point de vue des connaissances

des éleveurs (Darré, et al., 2004) et comme objet de confrontation des connaissances des

agriculteurs avec celles des agronomes et des zootechniciens.

Les pratiques ne sont pas analysées les unes indépendamment des autres, mais en groupe en

s’appuyant sur une démarche d’analyse systémique : les zootechniciens parlent d’analyse des

combinaisons de pratiques mises en œuvre par les agriculteurs. Ainsi « le système de

production est considéré comme un assemblage de pratiques résultant de l’ensemble

structuré des choix retenus par l’agriculteur pour répondre à ses finalités, en tenant compte

des multiples contraintes liées à la fois à la structure du système et aux caractéristiques de

son environnement. Les pratiques mises en œuvre par un agriculteur à l’échelle de son

système de production sont donc mutuellement dépendantes » (Ibid., p142). Les auteurs

soulignent l’existence de « combinaisons privilégiées » par les agriculteurs qui ont

« suffisamment de qualités pour avoir une chance d’être sélectionnées ». L’objectif des

zootechniciens est d’étudier leur « logique », « leur plus ou moins grande cohérence ». « Dès

lors la cohérence de la combinaison des pratiques mises en œuvre va logiquement être

recherchée dans celles des décisions qui les sous-tendent » (Ibid., p147).

Les zootechniciens des systèmes d’élevage appellent fonctionnement du système non plus

« la dynamique biotechnique du sous-système opérant mais la logique d’organisation des

interventions humaines, ce qui renvoie clairement à la finalisation du système de production,

et ouvre des perspectives nouvelles en matière d’évaluation de l’opportunité globale du

système de pratiques et de gestion de l’exploitation ». Ce fonctionnement est étudié le plus

souvent en référence à des objectifs de production et de commercialisation et non à des

objectifs de revenu. Et même quand les zootechniciens travaillent avec des économistes pour

analyser les modalités d’élaboration du revenu, les objectifs de revenu des agriculteurs ne sont

pas explicités. En effet, chez les économistes de l’élevage, la vision « système de production »

domine, (Brossier et al., 1989a) p 11 : « L’exploitation agricole est d’abord vue comme un

système de production. Le seul objectif supposé de l’agriculteur est la maximisation de son

revenu net et la rémunération de son capital et de son travail. » Ils évaluent et comparent les

performances technico-économiques des systèmes mis en œuvre par les éleveurs (Benoit et

al., 1999 ; Laignel et Benoit, 2004) à partir de relevés quantitatifs les plus exhaustifs possibles

Les zootechniciens des systèmes d’élevage analysent le fonctionnement du système d’élevage

à partir de l’étude des combinaisons de pratiques mises en œuvre par les éleveurs, du point de

vue de leurs modalités techniques, déterminants et efficacité. A l’aide d’une analyse

systémique ils mettent en relation les finalités assignées au système et le fonctionnement du

système. Selon le problème traité, les pratiques et leurs caractéristiques étudiées ne sont pas

les mêmes. Dans ces approches, il n’y a pas d’éléments concernant l’organisation du travail,

la répartition des tâches, les travailleurs, leur disponibilité, celle des équipements. La

main-d’œuvre émarge au titre de moyen de production et permet d’évaluer la productivité du travail

et les revenus par unité de main-d’œuvre.

Pour résumer :

Les études se référant à cette approche s’intéressent aux dimensions productives du travail.

Ces dimensions peuvent être analysées quantitativement (performances de production) ou

qualitativement (régularité, flexibilité de la production). Je ne retiens que cette approche :

- représente l’éleveur comme un pilote technico-économique doué d’une rationalité

technico-économique, et considère l’atelier d’élevage comme un système piloté

- se situe tantôt au niveau d’un atelier d’élevage spécialisé, tantôt au niveau de

l’exploitation, mais parle peu des autres productions agricoles, et n’aborde pas le niveau

du ménage et de son système d’activités,

- suppose qu’il y a une cohérence technico-économique entre les objectifs, les décisions et

les pratiques des éleveurs et propose d’identifier les projets technico-économiques des

éleveurs à travers l’analyse des combinaisons de pratiques et des performances

- analyse explicitement les objectifs de commercialisation mais pas les objectifs de revenu

- les pratiques sont étudiées en référence à l’élaboration de la production, au projet de

commercialisation mais pas en référence à des contraintes ou des objectifs d’organisation

du travail ou à des objectifs de revenus.

Avec cette approche, l’analyse du fonctionnement des systèmes d’élevage et des objectifs de

l’éleveur se fait à partir de l’analyse des combinaisons de pratiques. Les pratiques sont

essentiellement caractérisées en référence à l’élaboration de la production et aux objectifs de

commercialisation, rarement aux objectifs de revenu.

Cette approche pose la question du choix des pratiques à étudier, mais aussi des

caractéristiques des pratiques analysées : quelles pratiques retenir pour étudier les pratiques

sous l’angle de l’élaboration de la production, du revenu, mais aussi sous l’angle de la durée

du travail et du temps libre, du rapport subjectif au travail ? Comment décrire les

combinaisons de pratiques en référence au travail dans ce qu’il se déploie à la fois dans le

monde objectif et subjectif et pas seulement en référence à l’élaboration de la production ou

au calendrier de travail ?

Cette approche est très centrée sur les aspects techniques de la production. Elle constitue

l’essentiel du cadre théorique utilisé pour la première étape de ma recherche. J’ai complété

cette approche par une identification explicite des objectifs de revenus assignés à l’activité

agricole dans le système d’activités. Je l’ai aussi complétée par des éléments concernant la

réalisation du travail d’élevage empruntés à l’approche « éleveur travailleur-organisateur »

que je présente ci-dessous.

L’analyse pluridisciplinaire des pratiques sous l’angle du sens qu’elles ont pour les éleveurs,

comme révélatrices des représentations des éleveurs, inspirera la seconde étape de ma

recherche.

1.2. Analyser le fonctionnement d’un système d’élevage du point de vue de

l’organisation du travail : les approches « éleveur travailleur-organisateur »

permettent d’intégrer les travailleurs et la dimension temporelle du travail

Cette deuxième approche résulte de la volonté des zootechniciens de prendre en compte la

dimension « organisation du travail » comme nouvelle dimension pour analyser le

fonctionnement des systèmes d’élevage. Par « dimension organisation du travail » du

fonctionnement des systèmes d’élevage, les auteurs entendent les éléments concrets relatifs à

qui fait le travail, quand, et pendant combien de temps, mais aussi des éléments relatifs aux

contraintes et objectifs en terme d’organisation du travail comme la disponibilité de la

main-d’œuvre et des équipements, ou la volonté d’étaler la quantité de travail sur l’année ou au

contraire d’alterner des périodes chargées et des périodes plus calmes. Cette approche s’est

développée depuis le début des années 90 avec l’élaboration de la méthode Bilan Travail

(Dedieu, 1993). Il s’est d’abord agi de mieux comprendre certaines pratiques des éleveurs,

notamment de gestion de leur système fourrager. Les agronomes et zootechniciens ont ainsi

mis en évidence que des choix de conduite étaient déterminés par des compromis entre des

éléments relatifs à l’organisation du travail tels que l’indisponibilité de la main-d’œuvre, du

matériel, la concurrence des travaux, la volonté d’étaler ou de réduire la quantité de travail et

des éléments relatifs aux objectifs de production (Dedieu et al., 1997a ; Josien et al., 1994).

Considérer que l’éleveur a des objectifs et des contraintes « de travail » qui déterminent pour

partie ses pratiques, et plus précisément les modalités techniques de ces pratiques, était

nouveau puisque les zootechniciens et les économistes ne considéraient le travail qu’en tant

que facteur de production sous l’angle de la main d’œuvre disponible et en tant qu’élément de

performance sous l’angle de la productivité du travail. Pour ma part, je préfère qualifier ces

objectifs et contraintes relatifs à la durée du travail, durée du temps libre, et à leur répartition

sur l’année, d’objectifs et contraintes de calendrier de travail et non d’objectif de travail ou

d’organisation du travail, étant entendu que dans les objectifs de travail, il y a aussi les

objectifs de production, de revenu, … et que l’expression « objectif d’organisation du

travail » n’est pas très explicite : s’agit-il d’objectifs relatifs au processus d’organisation ou

aux résultats du processus ? S’agit-il de répartition du travail sur l’année, de répartition du

travail entre les travailleurs, de durée du travail etc. ?

1.2.1. Les pratiques analysées comme des tâches et caractérisées par le