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Second niveau de régulation : rapports à l’organisation

Modèle de l’organisation pour l’action ergonomique

4. Second niveau de régulation : rapports à l’organisation

Dans un modèle de régulation (figure 18), Leplat (1997), repris par Falzon et Perez Toralla (s.d.), présente l’activité comme le fruit d’un couplage entre les conditions externes (la tâche) et les conditions internes (de l’agent). Ainsi, l’activité se régule par une double évaluation (conditions de l’agent et de la tâche) permettant de mesurer l’écart entre ce qui est attendu de l’activité et ce qu’elle « produit » réellement (conséquences pour la tâche et l’agent).

Le travail réel est ainsi le fruit d’une double régulation permanente qui modifie autant l’activité que les conditions de réalisation. Nous appellerons la boucle de régulation externe le second niveau de régulation qui est d’une autre nature mais néanmoins dépendant du premier. Il se manifeste à travers le travail d’organisation.

4.1 Apports de la sociologie des organisations

L’ergonomie a longtemps été marquée par une vision structurelle de l’organisation, imposée à ceux qui travaillent (Daniellou, 2015a) et Wisner (1996) a souvent manifesté une réticence à intervenir sur l’organisation.

Pourtant, au tournant des années 1990, au moment où l’évolution des modes d’organisation bat son plein dans les entreprises (Cf. Parties 1 et 2), des connaissances sur le fonctionnement des organisations vont venir déstabiliser des modèles « anciens ». Par ces travaux sur la « théorie de la régulation sociale », Reynaud (1979, 1989, 1995, 2003) met en avant le rôle des interactions dues à l’activité sociale de l’organisation. Il s’agit de considérer le fonctionnement organisationnel comme un jeu interactionnel complexe entre la structure organisationnelle et l’activité des acteurs qui la composent. Dans le fonctionnement de l’organisation, réside une activité de production de règles. Il nous donne ainsi à comprendre la relation entre conflit et régulation, à travers une « régulation conjointe » - entre ceux qui décident les règles et ceux qui les appliquent – en se démarquant du paradigme fonctionnaliste, celui du système social réglé. D’une certaine manière, les travaux de Reynaud procèdent d’un renversement épistémologique : les acteurs produisent le système et non l’inverse. En poursuivant dans ce sens, d’autres travaux sont venus alimentés les

Régulations froides Activités humaines Structure Régulations chaudes Règles de métier Règles officielles Règles effectives Coût Modification de règles

réflexions en ergonomie. Pour Terssac et Maggi (1996) et Hubault (1996), le travail n’est pas seulement « organisé », il est « organisant ». L’organisation est alors constituée comme un système vivant composée d’une « structure » et « d’interactions » évoluant au gré des « régulations chaudes » – qui ont lieu dans l’action au moment où c’est nécessaire d’y recourir – et des « régulations froides » – réflexions et modifications de la structure concertées et en dehors de l’action (Terssac et Lompré, 1994, 1996).

L’analyse des régulations chaudes a ainsi permis aux ergonomes d’ouvrir un champ d’action pour influencer les régulations froides (Carballeda, 1997). Cette façon d’envisager les liens entre la structure et les acteurs a aussi permis des évolutions sur les modèles d’action en considérant la participation des acteurs comme une nécessité au fonctionnement des organisations. Ainsi, la participation des salariés aux changements d’organisation – dans le quotidien ou dans des projets – a pris une dimension plus importante dans les modèles du fonctionnement organisationnel et d’action en ergonomie (Petit et Dugué, 2013a ; Dugué et Petit, 2018).

Ainsi, la sociologie des organisations a introduit l’idée d’une activité au cœur de l’activité qui vise à penser puis modifier l’organisation en fonction des besoins. Falzon (1994) avait développé cet aspect de l’activité en séparant activité fonctionnelle et activité méta-fonctionnelle.

On constate lors de l’analyse de situations de travail l’existence d’un autre type d’activités : les activités méta-fonctionnelles. Il s’agit d’activités non directement orientées vers la production immédiate, activités de construction de connaissances ou d’outils (outils matériels ou outils cognitifs), destinés à une utilisation ultérieure éventuelle, et visant à faciliter l’exécution de la tâche ou à améliorer la performance. Ces activités prennent place en marge du travail (elles viennent se greffer sur le temps de travail, en parallèle de l’activité fonctionnelle ou lors de phase de moindre activité), et trouvent leur source dans le travail : ce sont des faits se produisant lors du travail qui provoquent l’apparition d’activités méta-fonctionnelles. Ces deux aspects leur confèrent un caractère parasitaire (parasitisme temporel et génétique) par rapport à l’activité. (Falzon, 1994, p. 2).

Par la suite, nous nous intéresserons particulièrement aux activités méta-fonctionnelles qui permettent, par un retour sur sa propre activité ou celle d’autres, d’ajuster le processus ou l’action grâce à une régulation « proactive », « anticipatrice » : « […] ou bien le mécanisme régulateur porte sur le processus en cours ou sur l’action elle-même par opposition à son résultat, et comporte ainsi une dimensions anticipatrice » (Piaget, 1967, p. 239, cité par Leplat, 2006, p. 9)

4.2 La place des règles dans les régulations

Une règle est une proposition qui indique l’action à réaliser dans des conditions données. La règle apparaît alors comme une composante, certes essentielle, mais non unique du système de régulation. Ce qu’ajoute ce dernier, c’est la prise en compte des résultats de l’application de la règle et l’élaboration du diagnostic. On retiendra que la connaissance des règles ne suffit pas à définir la régulation d’une activité : celle-ci requiert que soient définies les autres fonctions du modèle. (Leplat, 2006, p.5, à propos du modèle de régulation de l’activité, figure 2)).

Pour Reynaud, les règles sont un produit de l’activité humaine. Nous partageons ce point de vue. La règle n’est pas un produit de la nature, elle est produite par l’homme et pour l’homme. Ne pas rester plus de quelques minutes sans les protections appropriées dans un environnement

à - 40°C n’est pas une règle de la nature. C’est une règle constituée par l’homme au fil des

expériences humaines et de l’avancée des connaissances scientifiques.

Par conséquent, en ce qui concerne le travail, si on considère une séparation stricte entre conception et exécution du travail (taylorisme) alors, il n’y a pas de difficulté à penser que le résultat de l’activité de certaines personnes (les managers) – en l’occurrence des règles – s’imposent à d’autres (les subordonnés). Dans ce cas, la règle est certes le produit de l’activité humaine de certains mais devient « un artéfact » qui aide ou contraint l’activité pour d’autres, un usage de soi par les autres (Schwartz, 2000). Notre point de vue n’est pas de considérer qu’une autogestion poussée à son extrême – où chaque individu produit ses propres règles – est la solution idéale à l’action collective et donc au fonctionnement d’une organisation. Nous adoptons une position nuancée qui considère que la règle doit être conçue comme un « instrument » (Rabardel, 1995), dans le sens où elle doit être conçue à l’aide des futurs utilisateurs (conception participative) et pouvoir être adaptée dans l’usage en fonction des variabilités des situations de travail (régulation).

La nuance porte aussi sur le type de règle. En effet, la règle Ne pas fumer dans une industrie

pétrochimique ne nécessite pas la participation de ceux qui l’utiliseront et ne se discute pas.

Par contre, Un éducateur ne peut pas laisser un jeune sortir de l’établissement sans le rattraper peut nécessiter des adaptations en fonction des circonstances.

Une distinction de règle qui nous paraît importante est celle portée par Caroly (2010) entre les « régulations structurelles », qui produisent des « règle de l’encadrement », faites par les managers et les « régulations opératives », réalisées individuellement ou collectivement par les opérateurs à partir des règles de l’encadrement pour produire des « règles d’action ». Cette distinction se rapproche de celle que nous avons faite plus haut entre premier et second niveau de régulation.