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Élaboration progressive d’un modèle de recherche, d’enseignement et de pratique

Chapitre 1 - Parcours et origine d’une thématique de recherche

4. Élaboration progressive d’un modèle de recherche, d’enseignement et de pratique

Nos différentes expériences d’intervention en entreprise et de formation nous conduisent à des réflexions sur l’intervention comme acte pédagogique, au croisement de la réflexion sur l’intervention et de celle sur la formation. En effet, l’intervention sur l’organisation, essentielle à une prévention plus durable des RPS, nécessite une implication telle des acteurs de l’entreprise, que l’action d’intervention est proche de celle de formation.

Finalement, l’influence des modèles opérants a été très importante pour moi, au point de structurer d’abord un modèle de recherche, puis un modèle d’enseignement, le tout en lien avec la pratique de l’intervention en ergonomie.

La tradition scientifique de l’équipe, depuis 1993, est le développement de méthodes de conduite de projet permettant à des acteurs d’entreprises de faire face à des problèmes émergents dans le domaine du travail et de la santé. Principalement à partir de demandes d’entreprises relatives à des problèmes de santé et/ou de production, ou d’accompagnement de projets de conception, l’équipe participe à la production de deux domaines de connaissances :

- L’homme au travail et le fonctionnement des entreprises, en particulier les liens entre les modes d’organisation et les atteintes à la santé,

- Les méthodes d’intervention en entreprise, allant des outils d’analyse du travail aux moyens d’élaboration de solutions en conception.

Ainsi, durant les dix dernières années, compte tenu des évolutions de la demande sociale, les recherches de l’équipe ont porté sur la prévention des troubles musculosquelettiques, des risques psychosociaux, et des accidents industriels, par des actions visant spécifiquement l’organisation du travail. Un accent particulier a été mis sur les formes de mise en débat du travail et sur l’activité des managers et des représentants du personnel, notamment dans les entreprises de type PME.

Durant ces années, j’ai développé des pratiques de la recherche, de l’enseignement et de l’intervention en entreprise étroitement liées, au point qu’il m’est difficile de les envisager autrement pour qu’elles soient efficaces, compte tenu des objectifs fixés.

- Le premier de ces objectifs est de maintenir une forte proximité entre objet de recherche et demande sociale, de façon à ce que le chercheur puisse répondre à la demande sociale, de façon opérante, et en faire un objet de recherche. Pour cela, il ne s’agit pas seulement de déployer une recherche appliquée mais il faut développer une recherche de terrain. Si l’on accorde la primauté à la production de connaissances sur le travail et sur l’homme, l’action devient secondaire et l’ergonomie s’inscrit alors dans le paradigme des sciences appliquées (Dejours, 1996). Si l’action de transformation est prioritaire, la production de connaissances sur l’homme devient secondaire, « et c’est de l’analyse, dans l’après-coup, de l’action, de ses effets, de ses conséquences sur la situation, que

l’on extrait des connaissances sur le travail et sur l’homme. » (Dejours, 1996, p. 203). Selon cette approche l’ergonomie se situe dans le paradigme épistémologique des sciences de terrain. Je défends donc aujourd’hui une vision de la recherche en ergonomie orientée sur l’action sur le milieu professionnel, vision qui lie fortement la recherche et la

pratique. Je me prononcerai pour une épistémologie de l’action ergonomique (Hatchuel,

2005) dans le chapitre 10.

- Le second objectif est de maintenir à jour les enseignements et formations en fonction de l’avancée de mes recherches. Pour cela il est nécessaire de modéliser en permanence les interventions menées en milieu professionnel pour les confronter à la communauté scientifique et à la communauté professionnelle (Daniellou, 2015a), dit autrement, maintenir une proximité entre recherche et enseignement.

En conséquence, mes recherches de terrain m’ont conduit à développer des liens importants avec le réseau professionnel (les entreprises et la profession en ergonomie) et me permettent de renouveler régulièrement le contenu des enseignements, notamment en master. Ceci donne un caractère très professionnalisant au master d’ergonomie, apprécié par les entreprises, les institutions et les cabinets d’ergonomie qui recrutent nos jeunes diplômés11, lui permettant ainsi de maintenir un taux d’employabilité très satisfaisant. A ce propos, le Master 2 Spécialité « Ergonomie » forme des ergonomes possédant une capacité d’intervention généraliste avec un accent mis sur la contribution des ergonomes à la conduite de projets. Le programme est basé sur la définition des critères du Titre d’Ergonome Européen en exercice (dits critères HETPEP), avec deux points forts : (i) les ergonomes doivent posséder un ensemble large de connaissances sur le fonctionnement de l’homme, des organisations, et des processus de conception ; (ii) les ergonomes doivent être capables de s’insérer dans une équipe de conception, travaillant à la création d’espaces de travail, de dispositifs techniques et/ou à la mise en place de modifications organisationnelles.

De plus, maintenir un lien avec le réseau professionnel me permet :

- D’être informés des problématiques émergentes que rencontrent les professionnels, les entreprises, les services de prévention,

- De tester la solidité de mes modèles et de les diffuser, assurant ainsi un transfert des résultats de mes recherches.

11 Les emplois visés sont les métiers d’Ergonome. Exemples : Cabinets de consultants en ergonomie, Ergonomes d’entreprises (EDF, PSA, EADS, SNCF, France Télécom, Aéroports de Paris, Air France…), Structures institutionnelles dans le champ des conditions de travail (ANACT, INRS,CRAM, Mutualité Sociale Agricole), Services interentreprises de santé au travail (pluridisciplinarité introduite par la réforme de la médecine du travail), Ergonomes en centres de formation ou d’expertise mis en place par les partenaires sociaux, Ergonomes membres de structures régionales de soutien aux PME, Ergonomes en établissements hospitaliers ou structures de réinsertion des personnes handicapées.

Ainsi, pour entretenir ces liens, l’équipe d’ergonomie organise depuis vingt-cinq ans un congrès intitulé Les Journées de Bordeaux sur la pratique de l’ergonomie qui réunit, chaque année en mars, 300 à 350 participants12 et qui permet de traiter un thème en lien avec la pratique du métier et la discipline. Les thèmes13 des quatre dernières années reflètent mes préoccupations de recherche :

- 2017 : L’innovation dans le travail : quels enjeux aujourd’hui pour la pratique de l’ergonome ?

- 2018 : Méthodes d’accompagnement et démarches participatives : nouvelles pratiques et nouveaux enjeux pour l’ergonome ?

- 2019 : Évolutions des contextes et des pratiques d’intervention : vers différents métiers d’ergonome ?

- 2020 (reporté 2021) : La formation dans l’intervention en ergonomie : quand l’acte pédagogique devient stratégique.

Ainsi, au cours des dix dernières années, j’ai développé une pratique professionnelle qui s’appuie sur le triptyque suivant (figure infra). Tant pour l’efficacité de ma recherche que des formations auxquelles je participe ou dont j’ai la responsabilité, le maintien de liens et d’un équilibre entre recherche, pratique et formation est essentiel.

12 Ergonomes consultants, ergonomes internes en entreprises ou collectivités, ergonomes de services de santé, responsables d’entreprises, médecins du travail, conseillers en prévention, chercheurs et étudiants.

13http://jdb-ergonomie.fr

Formation

Recherche Pratique

Ergonomie

Partie I -