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Intervention sur l’organisation

Chapitre 8 - Concevoir des processus pour agir sur l’organisation

1. Expérimenter pour concevoir et stabiliser les régulations

1.1 Présentation du cas Mutua

Le contexte

Mutua est une mutuelle de santé qui, par le nombre important de ses adhérents, gère les régimes obligatoire et complémentaire, par une délégation de service public de la sécurité sociale. Elle compte près de 8000 salariés, seulement 3500 pour le périmètre qui nous concerne. Elle est structurée par un siège national, situé à Paris, 101 sections départementales (une par département) et 6 centres de traitements (CT) (voir organigramme figure infra). Le siège est composé des instances politiques décisionnelles, dont le bureau national (15 élus), et des différentes directions techniques support aux sections (informatique, logistique, organisation, RH, etc.). Les CT sont très récents au moment de notre venue et ils ont en charge la gestion industrielle des feuilles de soins. Les sections départementales ont pour fonction d’assurer le lien direct avec les adhérents pour toute demande, de gérer des dossiers spécifiques (comme l’habitat, la retraite), de développer les adhésions et la promotion de la prévention de la santé. Chaque section est rattachée à un centre de traitement.

Quelques mois avant l’intervention, Mutua avait entamé une réorganisation à l’échelle nationale. L’objectif de cette réorganisation était de rendre plus efficace la gestion globale du service en rendant plus efficace la gestion des remboursements et plus spécifiquement

96Nous sommes resté salarié de Mutua quatre ans et nous étions quatre intervenants : Christian Martin, François Daniellou et Bernard Dugué. Nous faisions régulièrement des points sur l’état d’avancement et sur la stratégie d’intervention.

la production des feuilles de soin papier et électronique, par une séparation stricte entre

back office et front office et une industrialisation du back office.

Mais la création des CT n’apportait pas pleine satisfaction aux dirigeants puisque les résultats de production restaient largement en dessous des objectifs fixés et les tensions entre les sections et les centres de traitement augmentaient. La demande du président de Mutua nous a été formulée une première fois de la façon suivante : « Notre mutuelle est en phase de profonde restructuration et réorganisation de son activité. Le contexte concurrentiel, les évolutions technologiques, la dynamique mutualiste elle-même, conduisent à un redéploiement des missions, des activités, des structures. La place des métiers et encore plus des personnes est à ré-identifier, repositionner, revaloriser, dans un environnement et une organisation dynamique ».

Il souhaitait que nous accompagnions les sections départementales dans leur mission de développement de nouvelles activités (répartition des tâches, nouvelles fonctions, nouvelles compétences). Pour réaliser cette intervention, quatre ergonomes sont intervenus à des degrés divers. Nous étions en première ligne et trois autres collègues intervenaient en support et ponctuellement sur le terrain. Avant de répondre directement à la demande, nous avons réalisé une série de diagnostics au sein de trois sections rattachées au même CT (sud-ouest) afin de mieux comprendre les difficultés (voir déroulé chronologique, figure infra).

La demande

Dès le premier diagnostic, nous avons été saisis par le fait que les difficultés rencontrées par la section provenaient des difficultés avec le CT : « manque de volonté de travailler avec les sections, difficultés liées au manque de compétences ou encore trop faible capacité de travail » comme souvent exprimé par des salariés de la section. Nous avons donc convaincu le président de Mutua de nous intéresser aussi aux CT, ce qui ne fût pas simple car il ne pensait vraiment pas que le problème pouvait venir de là. Durant quasiment une année, nous avons poursuivi nos diagnostics en sections et au CT. Ceci nous a permis de confirmer les difficultés entre le CT et les sections et de les qualifier plus précisément. En fait, pour de nombreuses raisons autres que le manque de compétences ou le manque de volonté de travailler avec les sections, le fonctionnement du CT alourdissait la gestion de nombreux dossiers. Nous avons donc établi avec précision un diagnostic pour chacune des trois sections et le CT en mettant en avant ce que représentait le travail et ses difficultés de part et d’autre. Ceci nous a permis de décaler la demande vers une amélioration de l’efficacité de fonctionnement des CT et de leurs liens avec les sections en s’appuyant sur une démarche participative. Quelques mois après le début de l’intervention, le président de Mutua a reformulé, au cours d’une communication, la demande ainsi

J’avais un objectif, un mobile et un support pour cette intervention ergonomique. - Mon objectif : je cherche des leviers de transformation de la culture et de l’activité vers le service à la personne. Je veux nourrir, provoquer une mutation, une dynamisation, une mobilisation de la structure.

- Mon mobile : nous avons provoqué un choc « désorganisationnel ». Nous avons créé six structures nouvelles, ni régionales, ni interrégionales, à partir desquelles nous avons provoqué une partition de l’activité. Nous avons inséré un nouveau niveau structurel quelque part entre le départemental et le national, de nouveaux liens fonctionnels et créé une situation inédite. Du fait de cette structure, six pôles

200 5 Expérimentation régionale Construction de la demande nationale et locale Phase de diagnostics Autres projets 2001 200 4 200 2 200 3 Nouvelle structure régionale Diag section 2 Intégration de l’expérimentation dans un projet national Diag section 1 Diag section 3 Diag CT

d’activité importants dans les principales métropoles françaises, se sont trouvés dessaisis de leur activité traditionnelle – le traitement des feuilles de soins et d’assurance maladie – pour qu’ils puissent se tourner vers la mutation. Il ne s’agit plus de faire de l’administration et de la gestion mais il faut désormais réfléchir au service à la personne. Ces six structures sont appelées : centres de traitement. - Mon support : Nous avions une réelle perturbation dans notre schéma organisationnel. Il y avait une nécessité de régulation aux endroits où nous avions créé du nouveau et la structure nationale avait réellement besoin d’un appui pour exercer de façon nouvelle son rôle. Voilà quel était le support pour une intervention ergonomique. » (Laxalt et Petit, 2003, p. 72).

La démarche et des résultats

Ensuite, nous sommes entrés dans une phase de recherche de solutions aux problèmes révélés dans les diagnostics. Cette phase a duré plus de dix-huit mois et mobilisé le CT de la grande région « sud-ouest » ainsi que les vingt sections rattachées. Nous avons d’abord organisé des réunions entre une section (celle que nous connaissions le mieux) et le CT. Puis une seconde, puis nous avons progressivement intégré les sections 2 et 3. En parallèle, nous avons poursuivi nos diagnostics dans les autres sections – de façon plus rapide cette fois-ci – et continué le travail en commun avec le CT. Le périmètre de ces groupes de travail a réuni de une à cinq sections en plus du CT et réuni entre 10 et 25 personnes. Nous avons ainsi réalisé une vingtaine de réunions de ce type. Une dernière journée de travail, avec les directeurs et adjoints de chaque section ainsi que l’équipe de direction du CT, a permis de réaliser une synthèse et acter les changements.

Sans faire un inventaire de l’ensemble des résultats mais concrètement, ce travail a permis d’améliorer significativement la production au CT, ce qui a pu être mis en avant par : - À la fin de l’expérimentation, le CT atteignait les objectifs, à savoir traiter 90 % des

dossiers dans un délai de cinq jours et 100 % en dix jours. Le CT traitait les dossiers plus vite.

- Une diminution du taux de rejet des dossiers du CT vers les sections de 12 % à moins de 4 %. Le CT traitait mieux les dossiers.

- Le transfert de la gestion d’une vingtaine de types de dossiers des sections vers le CT, comme la gestion des transports, des lentilles de contact, des soins externes, etc. Ce transfert permettait aussi de libérer les sections d’une charge de travail et de varier les tâches au CT, ce qui était un souhait de la part de ses salariés.

- Théoriquement, le CT pouvait apporter de l’aide aux sections d’autres régions. Jusque-là, il n’avait quasiment pas pu. Après un an d’expérimentation, le CT traitait 50 000 dossiers par mois pour d’autres régions.

- Une possibilité pour le CT d’avoir des contacts avec des adhérents et professionnels de santé dans certains cas. Ceci permettait aussi de diversifier les tâches plutôt répétitives

au CT en remettant en cause le modèle choisi de séparation de la production entre back

office et front office.