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La régulation comme enquête et résolution de problèmes

Modèle de l’organisation pour l’action ergonomique

6. La régulation comme enquête et résolution de problèmes

La lecture des travaux de Dewey (1938, 2003) et la relecture de ceux d’Argyris et Schön (2002) nous conduisent à rapprocher cette vision des régulations de celle de l’enquête chez Dewey et de la détection/résolution de problèmes chez Argyris et Schön.

Pour Dewey (1938), l’enquête permet la résolution de situations problématiques. Elle commence avec une situation indéterminée, problématique, une situation où le conflit inhérent, l’opacité et la confusion interdisent l’action. Pour lui, le doute, mais aussi sa résolution, sont des propriétés transactionnelles de la relation entre l’enquêteur et la situation. Chez Dewey, comme chez Pierce, le doute est une propriété de la conscience humaine. Le doute, associé à la possibilité de le réduire ou de l’éliminer, devient alors une caractéristique intrinsèque du développement de l’activité (Davezies, 2008). Dans ce dessein, la personne et sa situation sont pensées comme un ensemble interactionnel, mais à double sens. La situation seule ne peut influencée l’action de la personne. L’enquêteur participe à la construction de la situation à laquelle il réagit par ailleurs. L’enquête combine raisonnement mental et action.

La régulation telle que présentée précédemment, renvoie très largement à cette conception de l’enquête. Si l’on souhaite penser simultanément le développement de l’organisation et de l’activité des personnes au travail, ces personnes doivent alors être considérées comme des enquêteurs. Un dispositif de régulation donne un cadre à la manière dont le salarié peut émettre un doute sur une situation, une erreur, et la résoudre, individuellement et collectivement.

Pour Argyris et Schön (2002), l’erreur est considérée comme l’écart entre les résultats et les attentes, ce qui déclenche une prise de conscience de la dimension problématique d’une situation et qui met en route l’enquête chargée de corriger l’erreur (figure 25). Mais pour penser et agir différemment l’enquêteur devra faire l’expérience de la surprise. Comme nous l’avons vu au chapitre précédent et le verrons dans le suivant, dans le travail ce processus de déclenchement de la surprise, et donc de détection d’une erreur, ne renvoie pas nécessairement à l’idée de faute, de non-respect de la procédure. Cette surprise peut provenir d’un désaccord sur la manière dont l’organisation demande de traiter une situation, un client, un patient par exemple. La gestion de l’erreur pourra alors s’apparenter à une régulation collective visant une manière différente de traiter ce type de situation. Argyris et Schön insiste sur le rôle de la surprise comme stimulus pour penser et agir autrement, dans un processus d’apprentissage organisationnel.

Enfin, pour Dewey, l’enquête ne fait pas simplement disparaître le doute, elle institue de nouvelles conditions d’environnement qui occasionnent de nouveaux problèmes, ce que l’on retrouve sur la figure précédente. Cela attribue un caractère processuel à l’enquête de la même manière que la régulation. D’ailleurs, Dewey (1938) considérait l’enquête comme un processus social.

Synthèse de la partie

Cette partie, sans la dénommer ainsi, a été l’occasion de définir notre approche de l’organisation. Ceci nous a permis, à travers les deux chapitres, de mettre en lumière les liens entre travail et organisation.

Le chapitre 6, avec un parti pris d’un manque de connaissance et de reconnaissance du travail pour la conception et le fonctionnement des organisations, s’est attaché à pointer les liens entre activité de travail, qualité du travail, santé et organisation. Pour cela, nous nous sommes d’abord appuyés sur une approche organisationnelle des risques psychosociaux. Ceci nous a permis d’identifier les liens entre organisation et effets sur la santé. L’engagement subjectif prend une place essentielle dans le développement de l’activité de travail. Le nier revient à amputer une partie de ce qui constitue l’essence même du travail pour les individus et les collectifs. Lorsque les organisations mettent de côté la mobilisation subjective, elles amputent leur pouvoir d’agir, synonyme d’efficacité dans le travail, notamment des régulations, et de construction de sa santé. Nous y avons également pointer l’importance de la qualité du travail et les effets négatifs sur la santé d’une qualité empêchée par l’organisation. Plus généralement, nier le travail renvoie à l’idée de silence organisationnel, processus au sein duquel la ligne hiérarchique s’éloigne du travail réel, perdant la capacité à prendre soin du travail et de ceux qui le font. Les décisions organisationnelles qui en découlent sont de fait sur des représentations erronées du travail. Questionner ainsi la place du travail et des salariés dans l’organisation oriente les réflexions sur le caractère démocratique des organisations et les modèles sous-tendus. Nous nous sommes positionnés sur le modèle d’une organisation comme un système complexe à double-visages, structurel et processuel.

Dans ce sens, le chapitre 7 s’est attaché à dépeindre l’organisation comme un système régulé. Pour cela, nous nous sommes ancrés sur les éléments constitutifs du principe de subsidiarité, à savoir une prise de décision au plus bas niveau pertinent. À partir de là et d’exemples de nos propres terrains de recherche, nous avons tenté de caractériser les régulations. Nous avons identifié que :

- Les régulations sont à la fois ancrées dans l’activité individuelle et collective et dans l’organisation,

- Elles sont le moteur du développement de l’organisation et de l’activité, - Elles sont gage d’efficacité organisationnelle et de santé,

- Elles doivent être reconnues comme un travail à part entière,

- Le travail des managers est à la fois constitutif des régulations et doit les favoriser. Il nous reste à présent à aborder les façons dont il est possible d’intervenir pour concevoir de tels systèmes de régulation.

Partie IV -