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DE LA THEOLOGIE AUX SCIENCES RELIGIEUSES

II. LES SCIENCES RELIGIEUSES

On pourrait difficilement désigner ou définir toutes les autres disciplines s’intéressant à l’étude des phénomènes religieux par l’expression « sciences religieuses »1 même si les travaux issus de ces sciences se caractérisant par un « objet » religieux, en réalité profondément intégré à l’ensemble de la vie sociale, prennent souvent le qualificatif « religieux » : sociologie religieuse, anthropologie religieuse, psychologie religieuse, etc. Les phénomènes religieux ne sont pas traités différemment des objets profanes2 par ces sciences :

« Les procédures de l’analyse y sont les mêmes que pour tout autre objet. Ce sont elles qui spécifient ces études comme sociologiques ou psychologiques. L’adjectif “religieux” devient une énigme. Il cesse tout à fait de déterminer les méthodes employées, les vérités considérées et donc aussi les résultats obtenus. De ce point de vue, la difficulté de “penser”les faits religieux en termes de sciences humaines ne provient pas seulement des critiques locales qui résultent d’un examen sociologique ou psychanalytique, mais, plus fondamentalement, d’une nouvelle situation épistémologique. Un nouveau statut du “comprendre” s’édifie sur la cohérence entre les procédures de l’analyse, les postulats qu’elles impliquent et les objets qu’elles déterminent. Il fait du “religieux” un matériau, et non plus un “objet scientifique”, encore moins la détermination des pratiques. Il donne sa véritable portée à ce qu’on a appelé la sécularisation. C’est le pensable qui est “sécularisé” »3.

En effet, il s’agit « d’une nouvelle situation épistémologique » car l’intérêt de ces sciences pour les religions est marqué dès leur naissance par une opposition à la théologie, à la foi ou à des orthodoxies, ayant comme objectif de reprendre selon des méthodes historiques, sociologiques, etc. les « objets religieux » dont les Eglises ou les clercs s’étaient réservé la connaissance comme le montre J. Seguy4 ou E. Poulat:

« “Sciences religieuses”, l’expression est, en France, une appellation contrôlée et comme une marque déposée, même si l’usage actuel n’en montre pas grand souci. C’est en effet le nom donné en 1885 par le Parlement français à la Ve section de l’Ecole pratique des hautes études dont il décidait la création, ( …) en remplacement des cinq facultés de théologie catholique qu’après des nombreux atermoiements il avait rayé de la carte universitaire. A cette date, trois traits les caractérisaient donc.

L’un était structurel : les sciences religieuses se définissent par opposition à la théologie et l’excluent de leur champ. Le deuxième était institutionnel : la nouvelle section était créée au sein d’un établissement public, donc laïque, même si aucune obligation de laïcité

1

Cf. pour la section de Sciences religieuses de l’Ecole Pratique de Hautes Etudes le volume de Mélanges Problèmes et méthodes d’histoire des religions, Paris, 1968.

2

La question du rapport sacré/profane est présentée par P. BORGEAUD, « Le couple sacré/profane. Genèse et fortune d’un concept “opératoire”en histoire des religions », in Revue d’histoire des religions, 211 (1994), p. 387-418.

3

M. DE CERTEAU, La faiblesse de croire, 1987, p. 196.

4

J. SEGUY, « Panorama des sciences religieuses », in H. DESROCHE, J. SEGUY (éd.), Introduction aux

n’était faite aux professeurs (directeurs d’études) concernant leur état ou leur enseignement. Le dernier (trait) était conjoncturel : cette création intervenait dans le climat de laïcité républicaine et de polémique anticléricale qui aboutira à la Séparation de 1905 »1.

L’expression française « sciences religieuses » a été consacrée lors de la création de cette Section et sa spécificité est « d’autant plus paradoxale qu’elle semble vouloir concilier deux ennemies irréductibles du XIXe siècle, la science et la religion »2, l’histoire et la théologie. F. Laplanche au moment du centenaire de cette Section a publié dans le volumineux Dictionnaire du monde religieux dans la France contemporaine le volume 9, Les

sciences religieuses. Le XIXe siècle 1800-1914, entièrement consacré aux sciences religieuses

où il inclut la théologie3. La revue Recherche de science religieuse a dans son titre le terme « science » au singulier. Au sujet de l’emploi du singulier et du pluriel il y a aussi débat : la science ou les sciences religieuses ? A l’Institut Catholique de Paris il y a une Faculté de théologie et des sciences religieuses (au pluriel). En outre, l’expression « sciences religieuses » ne désigne pas la même chose à la section de Sciences religieuses de l’Ecole Pratique des Hautes Etudes, à l’Institut Catholique de Paris, à Rome, à Louvain ou dans les pays anglo-saxons : elle peut inclure la théologie ou au contraire s’en distinguer.

Les spécialistes sont en accord pour accepter que les sciences religieuses ou les sciences non théologiques des religions ont été créées en France en opposition avec la théologie et que le principe de ces disciplines consiste dans l’application de la méthode historique et critique au phénomène religieux indépendamment d’une autorité théologique ou idéologique4. C’est exactement la tentative d’introduire l’histoire et la méthode critique dans

1

E. POULAT, « L’institution des “sciences religieuses”», in Cent ans de sciences religieuses en France, Paris, 1987, p. 49-50. M. VERNES, « Les caractéristiques de l’Ecole pratique des Hautes Etudes – Sciences religieuses – et sa place dans l’enseignement supérieur français », in Annuaire de l’Ecole Pratique des Hautes

Etudes, 1916-1917, p. 24 notait à ce sujet : « Au XVIIIe siècle encore, en France comme en Allemagne, toutes les questions relatives à la civilisation en étaient réduites à se mouvoir dans le cadre d’une conception de l’univers définie par la théologie (…). Ce n’était plus aux sciences historiques, physiques et naturelles qu’incombait la tâche de revendiquer la liberté de leur méthodes en face d’un dogmatisme dominateur, mais c’était la théologie elle-même qui était mise en demeure de justifier la place qu’elle a réclamée jusqu’ici dans l’ensemble des hautes disciplines de l’esprit, en fournissant la preuve qu’elle est capable d’appliquer à l’objet spécial de ses recherches les procédés d’enquête exacte et méthodique qui ont prévalu dans le domaine de l’histoire, de la philosophie et de sciences ».

2

P. CABANEL, « L’institutionnalisation des “sciences religieuses”en France (1879-1908). Une entreprise protestante ? », in Bulletin de la Société de l’histoire du protestantisme français, 140 (1994), p. 33.

3

F. LAPLANCHE (dir.), Dictionnaire du monde religieux dans la France contemporaine, 9, Les sciences

religieuses. Le XIXe siècle 1800-1914, Paris, 1996.

4

Sur l’institutionnalisation de sciences religieuses en France M. DESPLAND, « Les sciences religieuses en France : des sciences que l’on pratique mais que l’on n’enseigne pas », in Archives de Sciences sociales des

religions, 116 (2001), p. 5-25, article repris par l’auteur in Comparatisme et christianisme. Questions d’histoire et de méthode, Paris, 2002, p. 127-154 ; M. DESPLAND (dir.), La tradition française en sciences religieuses.

Pages d’histoire, Les Cahiers de recherche en sciences de la religion, vol. 10, Québec, 1991 ; P. CABANEL, « op. cit. », in Bulletin de la Société de l’histoire du protestantisme français, 140 (1994), p. 33-79, soulignent qu’elle est marquée par quelques dates importantes dont : 1879 l’année de la création de la chaire d’« histoire des

les études théologiques et bibliques qui ont déclenché la crise moderniste dans le catholicisme. Histoire et critique s’opposent à théologique et dogmatique, donc à l'autoritarisme et à ses liens avec une tradition catholique d’enseignement car, selon A. Reville, « pendant des siècles, l’édifice social parmi nous ne fit qu’un avec une religion déterminée (…) une religion détestée »1. En outre, la désignation « sciences religieuses » est différenciée à l’époque de ce que les catholiques appelaient « science sacrée », c’est-à-dire la théologie et ses branches (théologie dogmatique et morale, apologétique, droit canonique, exégèse, histoire de l’Eglise) et, en France, semble être d’origine protestante comme le montrent P. Cabanel et E. Poulat2.

Toutes les difficultés pour trouver un nom commun à une « science » qui puisse exprimer une manière scientifique d’étudier le christianisme et les autres religions en se différenciant de la théologie et du parti pris confessionnel témoignent de la complexité croissante d’un champ d’étude qui a été un des plus conflictuels dans la société occidentale au tournant du XXe siècle :

« Si l’expression de science des religions flattait la confiance des contemporains dans les possibilités d’un savoir rationnel qui prendrait la relève d’une philosophie de la religion convertie à la positivité, elle occultait le rôle pionnier de l’histoire dans cette approche positive, sans que l’annexion proclamée de l’histoire à la science suffise à garantir sa scientificité. D’où la fidélité des beaucoup au terme histoire des religions. Il est plus modeste, mais il l’est peut-être trop, soit qu’on veuille se tenir à l’écart des débats philosophiques et se

religions » au Collège de France, chaire confiée à Albert Reville qui proposait un enseignement sans dogmatisme et polémique. Il souligne que le savant doit faire son travail sans se préoccuper de confirmer ou d’infirmer les positions défendues dogmatiquement par l’une ou l’autre des religions et qu’il ne doit pas se retenir d’exprimer des conclusions opposées à celles maintenues par les « dogmatismes » mais sans rentrer dans des polémiques ; 1880, l’année de la fondation de la Revue d’Histoire des Religions. C’est cette année qu’apparaît le premier numéro de la revue dont le directeur, Maurice Vernes, annonce les projets : l’étude des religions issues de la Bible ne sera pas mise à part ; l’étude scientifique rigoureuse « est invariable dans l’emploi des procédés de reconstruction exacte à l’aide desquels elle reproduit, de la façon approximativement la plus vraie, l’image du passé », cf. F. LAPLANCHE, « La méthode historique et l’histoire des religions. Les orientations de la Revue de

l’histoire de religions », in M. DESPLAND (dir.), op. cit., Cahiers de recherche en sciences de la religion, vol. 10, Québec, 1991, p. 92 ; 1886, fondation de la Cinquième Section de Sciences religieuses à l’École Pratique des Hautes Études.

1

A. REVILLE, « Préface » à C.P. TIELE, Histoire comparée des anciennes religions de l’Egypte et des

peuples sémitiques, 1882, p. X-XI.

2

P. CABANEL, « op.cit. », in Bulletin de la Société de l’histoire du protestantisme français, 140 (1994), p. 33-79 ; E. POULAT, « op. cit. », in Cent ans de sciences religieuses en France, Paris, 1987, p. 54 : « ... F.A. Lichtenberger et quelques-uns de ses amis strasbourgeois lancent, pour répondre au défi de la ‘science allemande’, un projet d’Encyclopédie des sciences religieuses, dont la publication, en treize volumes, va de 1877 à 1882 : sciences religieuses et non théologiques, précisera l’éditeur, tout comme on dit alors “sciences politiques”et “sciences sociales”. Et comme on crée aussi des écoles libres pour ces sciences, ils annoncent en 1873 une école libre des sciences théologiques, prélude à la future faculté de théologie protestante de Paris : elle ouvrira en décembre sous le nom, légèrement modifié d’’école libre des sciences religieuses’. La voie est ouverte. En 1885, le Parlement débattra d’une “section des sciences religieuses”ajoutée à l’Ecole pratique des hautes études. Et en 1896, fondant l’Année sociologique, Durkeim trouvera naturel d’y ouvrir une rubrique de ‘sociologie religieuse’. Ainsi s’est imposée l’expression, à défaut d’un sens arrêté, garanti contre les variations et les confusions : le P. de Grandmaison le retiendra en 1910 pour sa revue Recherches de science religieuse ».

limiter à l’érudition critique (mais le peut-on indéfiniment ?), soit qu’on sous-estime le rôle d’autres disciplines non historiques dans l’études des faits religieux. (…)

Si on ne sait les nommer exactement, c’est qu’en fait plusieurs disciplines s’en mêlent depuis longtemps (théologie, philosophie, histoire, ethnologie, philologie), que des terroirs des spécialisations nouvelles (Chine, Perse, Inde, égyptologie, assyriologie, primitifs) se sont ajoutés aux terroirs classiques (christianisme, luttes confessionnelles, religions antiques, voire islamologie) et que ces terroirs se divisent à leur tour, car ils sont inépuisables et les disciplines mères se démultiplient par d’étranges scissiparités ou des unions plus ou moins légitimes qui aboutissent tôt ou tard à l’autonomisation de leurs rejetons. Ce caractère multi et/ou pluridisciplinaire, étalé sur deux siècles, connaît un accroissement accéléré au tournant de deux siècles, en France du moins, et rend impossible l’unification de l’appellation et du champ »1.

En effet, il est difficile à définir avec exactitude ce que de nombreux auteurs nomment avec une certaine ambiguïté « la science » ou « les sciences » de la religion ou des religions2. Serait-elle une seule science ou plusieurs à la fois ? Serait-elle un substitut laïque ou des substituts laïques de la théologie ayant comme objet d’étude la religion chrétienne et toutes les religions ? En lisant les différentes études sur ce sujet on ne peut que se demander si les auteurs parlent de plusieurs « sciences » des religions ou de la religion ou d’une « science » de la religion ou des religions car les termes sont utilisés et au singulier et au pluriel. Ils ne donnent pas l’impression de distinguer entre ces diverses formulations possibles et lorsqu’ils le font il semble qu’histoire des religions et science de la religion au singulier ou au pluriel s’équivalent. Le contenu prêté à ces termes n’est pas clairement explicité. On a de la difficulté à saisir selon quelles disciplines et quelles méthodes spécifiques ces « sciences » de la ou des religions s’identifient précisément, d’autant qu’une division disciplinaire des branches du savoir (histoire, théologie, sociologie, anthropologie etc.) laisse supposer des frontières méthodologiques entre les disciplines.

Les expressions « sciences religieuses », « science des religions » ou « de la religion », « histoire des religions » ou « histoire comparée des religions », « histoire religieuse », renvoient à des débats sur la nature des religions, sur le statut de la théologie et la pertinence de la démarche scientifique en un tel domaine, sur le questionnement du statut des facultés de

1

C. TAROT, De Durkheim à Mauss, l’invention du symbolique. Sociologie et science des religions, Paris, 1999, p. 318. L’auteur montre que d’autres noms ont été proposés pour désigner ces sciences comme « science (au singulier) des religions », par exemple E. BURNOUF, La Science des religions, Paris, 1872, p. 1 : « Le siècle présent ne s’achèvera pas sans avoir vu s’établir dans son unité une science dont les éléments sont encore dispersés, science que les siècles précédents n’ont pas connue, qui n’est pas même définie, et que pour la première fois peut-être, nousnommons science des religions », mais l’expression ne s’est pas imposé en français du fait de son ambiguïté car on peut se demander si la religion est la source ou l’objet d’étude de ces sciences. C. Tarot consacre tout le chapitre 16 de son ouvrage à « L’institutionnalisation des sciences religieuses » bien que dans son sous-titre il emploie l’expression science des religions, le terme « science » au singulier.

2

Par exemple H.G. KIPPENBERG, op. cit., Paris, 1999 ; J. WAARDENBURG, Des dieux qui se

rapprochent. Introduction systématique à la science des religions, Genève, 1993 ; P. GISEL, La théologie face

théologie, sur la transformation de la religion et de la croyance en objet de science, sur l’interrogation des rapports de ces « sciences religieuses » avec les religions qu’elles étudient, leurs théologies et leurs théologiens en particulier1. Tout spécialement le terme « sciences religieuses » a suscité beaucoup de polémiques et continue aujourd’hui encore à conserver un aspect problématique, voire paradoxal : la « science » des religions selon des méthodes historiques, scientifiques, implique une distance à leur égard tandis que leur compréhension suppose une manière de contact et de proximité. Cela ne signifie pas toujours adhésion mais la compréhension nécessite cependant une certaine « participation » même si en principe elle suppose avant tout une distance critique.

La recherche historique sur les religions en contexte universitaire laïque doit traiter toutes les religions de manière égale sans considérer les unes comme « vraies » les autres comme « fausses », sans parler d’infériorité ou de supériorité. C’est une démarche qui a pour exigence la nécessité d’abandonner tout a priori confessionnel mais aussi idéologique2. Donc ces « sciences religieuses », s’il s’agit des diverses disciplines qui ont accolé l’adjectif « religieux », ne peuvent être considérées comme des théologies sécularisées ainsi que le prévoyait M. Vernes pour la section de Sciences religieuses de l’Ecole Pratique des Hautes Etudes. Il note dans l’Annuaire de l’Ecole : « L’Ecole des Hautes Etudes religieuses est donc une faculté de théologie “laïcisée”, c’est-à-dire une faculté de théologie qui s’est adaptée aux conditions de l’enseignement supérieur moderne, en acceptant l’évolution qui a transformé du tout au tout les vieilles universités et en substituant la critique historique à l’exposition doctrinale »3. A l’occasion du centenaire de l’Institut Catholique de Paris C. Bressolette notait aussi au sujet de la section de Sciences religieuses : « Née au cours d’un conflit avec l’Eglise qui irait jusqu’à la Loi de Séparation de 1905, la nouvelle institution d’enseignement des “Sciences religieuses” marquait symboliquement une étape : l’approche culturelle et laïque du phénomène religieux dans la civilisation »4. C’est dire combien la tradition chrétienne et la théologie conditionnaient les questions portant sur l’étude du christianisme et des religions en général :

1

J. JONCHERAY(dir.), Approches scientifiques des faits religieux, Paris, 1997, actes d’un colloque tenu à l’Institut Catholique de Paris le 13 et 14 décembre, 1996 sur la question : qu’appelle-t-on « sciences des religions » en France aujourd’hui du point de vue d’une démarche scientifique et religieuse. Le colloque a porté sur la nécessaire interaction entre des disciplines représentées par d'éminents chercheurs en théologie, anthropologie, histoire, sociologie, philosophie, psychologie.

2

P. GISEL, L’excès du croire. Expérience du monde et accès à soi, Paris, 1990, p. 35.

3

M. VERNES, « op. cit. », in Annuaire de l’Ecole Pratique des Hautes Etudes, 1915-1916, p. 34-35.

4

C. BRESSOLETTE, « Sur l’enseignement supérieur de la théologie à Paris », in J. DORE (dir.), Les cent

« Aussi longtemps que la religion était exclusivement un thème de la théologie elle n’avait pas rang de thème théologique particulier. Elle n’est devenue un thème théologique qu’au moment où, au début des Lumières, la religion est devenue par-delà la théologie, un thème dont traitaient les juristes, les philosophes, les historiens et les voyageurs. Plus des sciences étrangères à la théologie s’occupaient aussi de la religion, plus se posait la question d’un traitement de ce thème dans le cadre d’une science qui serait spécifiquement compétente pour cela, étudiant ce champ phénoménal complexe de la vie humaine dans une optique non pas théologique, mais historique et empirique. La constitution de l’histoire des religions et de la science des religions au cours du XIXe siècle fut la réponse à cette question »1.

C’est en effet le siècle des Lumières qui a amorcé une nouvelle conceptualisation de la religion la thématisant en dehors de la théologie notamment par le biais de la philosophie, mais c’est par des approches historiques que l’on commence à s’intéresser à la description et à la compréhension du christianisme et des phénomènes religieux d’autres cultures, en tentant de les saisir rationnellement et empiriquement. La controverse et la rupture confessionnelles concrétisées par la Réforme et la Contre-Réforme ont contribué à l’élaboration des règles de la critique historique2. Ce qui a émergé lentement, dans un processus complexe et laborieux, est une nouvelle conception de l’histoire fondée sur la critique et la méthode historique. Ce processus a donné une science du passé au-delà des chroniques et annales qui se limitent à enregistrer le présent vécu ou remémoré : « L’histoire savante – l’historiographie – naquit ainsi d’un mariage entre l’érudition, avec son lieu documentaire (les archives), et la critique, qui ensemble mettaient en œuvre une méthode d’investigation, d’examen et de raisonnement »3.

La construction d’un objet propre, le « champ religieux » et des nouvelles disciplines – l’histoire des religions, les sciences des religions – intégrant le christianisme dans leur champ au même titre que les autres religions, les mettant toutes sur le même plan et ne tenant plus compte de leurs revendications transcendantales ou de leurs vérités révélées, a été à l’origine du protestantisme libéral au XIXe siècle et de la « crise moderniste » dans le catholicisme au début du XXe siècle. Depuis l’apparition de ces disciplines, la nature, l’objet et l’utilité d’une histoire de l’Eglise, ont été beaucoup discutées4. L’étude des origines du christianisme et de son culte selon des méthodes historico-critiques libérées de tout présupposé dogmatique et

1

I. DALFERTH, « La théologie dans le contexte de la science des religions. Compréhension de soi,