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Schacht et Hugenberg : le front de Bad Harzburg

De la démission au ministère de

C. Schacht et Hugenberg : le front de Bad Harzburg

Alfred Hugenberg est un nationaliste de longue date, puisqu‘il a été cofondateur de

l‘Alldeutscher Verband en 1891. À partir des années de guerre, il a construit un groupe mé-

diatique, comprenant des entreprises d‘édition, des agences de presse, de publicité, des socié- tés de production cinématographique et de nombreux journaux. Il amorce une activité poli- tique en adhérant en 1918 à la DNVP, qu‘il représente en 1919 à l‘assemblée nationale (Natio-

nalversammlung) qui élabore la constitution de Weimar. Il est membre du Reichstag de 1920

à 1945. À la faveur d‘un échec électoral en 1928, il accède à la présidence de son parti et l‘engage sur une voie développant un antirépublicanisme très prononcé. En 1929, il mène

campagne contre le plan Young, en association avec d‘autres partis, dont la NSDAP. En 1931, il est le principal initiateur du front de Bad Harzburg qui met en place une opposition natio- nale allemande et qui inclut les nazis.

Parallèlement, le front de Bad Harzburg est fortement lié à une crise ministérielle. Le 7 oc- tobre, le ministre des Affaires Étrangères Julius Curtius démissionne et le cabinet Brüning chute. Deux jours après, le chancelier forme un second gouvernement et prend lui-même la

charge des affaires étrangères. Le 11 octobre, l‘opposition nationaliste allemande se réunit à

Bad Harzburg, ville connue pour sa station thermale, au sud-est de Hanovre, dans l‘actuelle Basse-Saxe.

1. Contenu du discours

Lors de la réunion de Bad Harzburg, les nazis, invités, se distinguent du reste de l‘opposition

de droite et ont ainsi fortement marqué l‘Allemagne et l‘étranger. Cependant, les autres dis-

cours de cette journée à Bad Harzburg ne sont pas passés inaperçus : le discours de Schacht, notamment, a été particulièrement remarqué.

Son discours insiste d‘abord sur la crise et ses conséquences : le chômage, la chute de la pro- duction allemande d‘un tiers par rapport à 1928, l‘endettement intérieur et extérieur, des ren- trées d‘impôts qui diminuent, un marché monétaire dans une situation catastrophique et une

monnaie

« qui ne sert plus la circulation régulière des biens mais qui dissimule plutôt

l‘insolvabilité de notre institut de finance et de l‘État »500

500

D‘après Schacht, le moratoire Hoover sur les dettes n‘a pas permis une amélioration de cette

situation. Mais surtout, il insiste sur les mauvais fondements du système financier et écono-

mique issu de la Grande Guerre, qu‘il considère comme artificiel (Unaufrichtigkeit), marqué

par une incertitude juridique (Rechtsunsicherheit), et manquant d‘esprit commercial (Hand-

lungsfähigkeit).

Schacht remet donc en cause le système lui-même, alors que les faits ont été travestis, no-

tamment en ce qui concerne la situation de la politique financière. Par exemple, l‘endettement

extérieur est, selon Schacht, bien plus élevé que ne le suggère le rapport de Bâle.

« Par peur que le public ne devienne nerveux, on ne lui dit pas que le porte- feuille de la Reichsbank ne repose qu‘en partie sur des effets réescomptables et

l‘on inclut dans le calcul de la couverture or quelque 100 millions de devises

empruntées qui doivent être remboursés à court terme. »501

Schacht fait référence ici au crédit-or de réescompte de juin 1931 de 100 millions de dollars,

prêtés par la Banque de France, la Banque d‘Angleterre, la Réserve Fédérale et la BRI pour un

mois et renouvelé jusqu‘en 1933 pour des durées allant de un à trois mois. Or, ce fait mine la confiance sur le marché interne et à l‘étranger.

L‘incertitude juridique du système est son second défaut. En effet, la propriété privée est me- nacée par des décrets d‘urgence, et les coûts de production dépendent de facteurs politiques. D‘après Schacht, il n‘y a ainsi pas de cadre juridique pour le long terme en Allemagne.

Enfin, il y a dans ce système un manque d‘esprit commerçant qui fait d‘abord appel à soi car l‘aide des autres n‘engendre pas le commerce. Schacht met ensuite en cause le système syndi- cal qui n‘a pas dans ses objectifs le succès de l‘économie et cherche à mettre en place ses points de vue par des moyens politiques, c‘est-à-dire par le vote de lois au Parlement.

Schacht, habilement, achève cette partie sur la menace marxiste, les syndicats, et rappelle que chaque individu est responsable du succès de l‘ensemble. Il poursuit sur Frédéric le Grand : le

programme d‘un parti national doit être celui de l‘illustre roi après la Guerre de Sept ans, qui s‘est appuyé sur le marché interne et sur la confiance en soi et en Dieu. L‘économie ne peut vivre de la mendicité et de l‘endettement.

Illiquidität unsere Finanzinstitut und der öffentlichen Hand zu verbergen [...] » BARCH Berlin

Deutsche Reichsbank, R2501/6494, discours de Bad Harzburg, p. 16 à 21

501

« Aus Angst, das Publikum könnte nervöse werden, sagt man ihn nicht, daß das Reichsbankporte- feuille nur noch zu einem Bruchteil aus reichsbankfähigen Wechsel besteht und man schließt in die

« L‘assainissement de l‘Allemagne n‘est pas une question qui peut être résolue par quelques points dans un programme, ni une question d‘intelligence ; mais plutôt une question de caractère. »502

Cette notion de « caractère » est somme toute très proche de la notion de Führer, alors en vogue en Allemagne dans toute la droite et non uniquement au sein de la NSDAP.

Ce discours est une charge sans aucune nuance contre la Reichsbank et le gouvernement alle- mand. Goebbels note à son propos :

« Schacht lance sa bombe. Accusation massive contre la Reichsbank. Au-

jourd‘hui, c‘est la grande sensation. Peut-être que Brüning va trébucher. »503

L‘aspect polémique du discours est très efficace. Quelles sont les réactions de la Reichsbank,

de la presse et du gouvernement ?

2. Une nouvelle polémique

a. La réaction de la Reichsbank

La Reichsbank a fortement prêté attention aux propos de Schacht qui la concernent au premier chef. Elle est en effet implicitement, avec le gouvernement, accusée de fausser le calcul de la couverture or du Reichsmark par inclusion des 100 millions du crédit de réescompte. De plus,

une note d‘un fonctionnaire de la Reichsbank explique que Schacht a donné à un directeur de la banque à Munich le texte de son discours, en indiquant qu‘il se tiendrait à disposition à

Berlin504 : Schacht voulait un débat. Un démenti des propos de Schacht est publié le 11 oc- tobre à 11 heures du soir par la Reichsbank, après un entretien téléphonique avec Hans Lu- ther, retenu à Bâle.

Quelques jours plus tard, une autre note de la Reichsbank indique que les chiffres relatés par Schacht sont justes mais que jamais la Reichsbank n‘a voulu les cacher505. Outre le fait que la notion d‘« insolvabilité » est très difficilement applicable à la Reichsbank, le rédacteur de

Berechnung der Golddeckung einige 100 Millionen geliehener Devisen ein, die in Kürze zur Rückza- hlung fällig sind. » Idem.

502

« Die Gesundung Deutschlands ist nicht eine Frage von einzelnen Programmpunkten, ist nicht eine Frage der Intelligenz ; sondern ist eine Frage des Charakters » Idem.

503

« Schacht wirft die Bombe. Massive Anklagen gegen die Reichsbank. Heute die große Sensation. Vielleicht stolpert Brüning darüber. » Joseph Goebbels, Tagebücher, Teil I, Volume 2/11, 12 octobre 1931.

504

BARCH Berlin Deutsche Reichsbank, R2501/6494, p. 14-15

505

cette note insiste sur le fait que les actes de la Reichsbank, comme le soutien qu‘elle a accordé à certains instituts bancaires, sont connus et ont été relatés par la presse.

La Reichsbank n‘a pas cherché à poursuivre la polémique lancée par Schacht. Ce dernier at- teint cependant son but dans la presse.

b. La réaction de la presse

En France, Le Temps du 17 octobre et Capital du 16 estiment que l‘intervention de Schacht a été nuisible506. Selon le premier, le ministre des finances Dietrich a montré que le crédit alle- mand subirait les conséquences de ce discours. Le second affirme que c‘est d‘abord la

Reichsbank qui en fera les frais.

En Allemagne, les réactions sont partagées507. Certains journaux sont favorables au discours de Schacht. Pour Der Tag du 12 octobre, l‘ancien Président de la Reichsbank a prouvé que

l‘opposition nationale a compris la pensée économique. La Deutsche Allgemeine Zeitung re-

marque que Hitler a plusieurs fois applaudit Schacht alors qu‘il n‘a pas réagi aux autres inter- ventions. Par contre, Die Welt am Montag titre « Grande sensation à Harzburg : Schacht le

traître ! 508». Schacht est en effet susceptible d‘être poursuivi pour haute trahison, ayant ac-

cusé le gouvernement de mensonge. Ces propos, pense le journal, consacrent la rupture entre Schacht et Brüning.

c. La réaction du gouvernement

Le gouvernement publie un communiqué le 12 octobre 1931, peu après celui de la banque centrale, réfutant la théorie de Schacht. Il rappelle notamment que les réserves de la Reichs-

bank sont publiées et que la présence de l‘emprunt de réescompte, qui est contesté, est connue

du public. Le ministre des Finances Dietrich attaque Schacht le 14 octobre 1931, expliquant aux députés du Reichstag, que l‘ancien Président de la Reichsbank s‘est inspiré de gros titres de la presse norvégienne et danoise pour impliquer le gouvernement dans l‘insolvabilité de la

506

BARCH Berlin Deutsche Reichsbank, R2501/3386, Le Temps, 17 octobre 1931, Capital, 16 octobre 1931

507

BARCH Berlin Deutsche Reichsbank, R2501/3394, Der Tag, Deutsche Allgemeine Zeitung du 12

octobre 1931,

508

« Große Sensation in Harzburg : Hochverräter Dr. Schacht! », Die Welt am Montag, 12 octobre 1931

Reichsbank. Ces journaux reprochaient au gouvernement d‘avoir acheté l‘Union Télégra-

phique509. Schacht répond peu de temps après et attaque le ministre des Finances Dietrich, qui

est accusé d‘ignorer totalement les sommes pour lesquelles les instituts financiers publics et la

Banque de garantie et de dépôts figurent dans les livres de la Reichsbank510. Répondre à

Schacht sur le terrain des faits n‘est pas la seule préoccupation du gouvernement. Faut-il

poursuivre Schacht pour haute-trahison ? Le cabinet décide finalement d‘ignorer les éven- tuelles suites judiciaires. Malgré l‘intérêt de la presse, la polémique Schacht a fait long feu.

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