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Les grandes étapes des discussions du Comité des experts

Parcours d‘un financier (1877–1929)

B. La conférence des experts

1. Les grandes étapes des discussions du Comité des experts

Deux types de questions se posent aux experts. Les questions techniques concernent la mobi- lisation et la capitalisation de la dette allemande, la création de la Banque des Règlements Internationaux, la division des annuités en parts inconditionnelle et conditionnelle et la clause de protection des transferts. Ces aspects techniques sont résolus assez rapidement par les ex-

perts, même si les débats sont parfois houleux. Mais ils dépendent d‘une autre question, fon-

damentalement politique : la définition du montant des annuités, c‘est-à-dire la remise en cause ou non du montant défini en 1921 de 132 milliards de Reichsmark. Les négociations se déroulent en trois phases : en février et mars, les questions discutées sont techniques. Dans les semaines suivantes, la question des annuités est abordée sans être résolue. Mais au début du mois de mai, Schacht et l‘Allemagne finissent par céder et permettent la signature du rapport final.

a. La première phase des travaux des experts : les questions techniques

Les questions techniques sont négociées en deux temps : en février et en mars pour les aspects qui ne dépendent pas du montant des annuités et à la fin du mois de mais pour ceux qui en dépendent. Pendant la première phase, sont émises diverses idées reprises par le rapport. Le 18 février, par exemple, la délégation française propose la division des annuités en deux parts,

l‘une conditionnelle, l‘autre inconditionnelle. La première, en cas de difficultés, pouvait ne

pas être payée ; la seconde devait l‘être.

Au cours des deux premiers mois de travaux des experts émerge également la clause la plus originale du plan des experts : la création de la Banque des Règlements Internationaux. Cette

idée est issue d‘une réflexion des délégués sur diverses fonctions bancaires qui devaient être

attribuées à des instituts indépendants. Mais les regrouper en une seule banque dont les ac-

tionnaires sont les instituts d‘émission lui donne une portée originale. Schacht s‘est donné la

paternité de la BRI211. En réalité, le 25 février 1929, il a suggéré à Young une Clearing House, une sorte de caisse de compensation212. Bien que cette idée soit à l‘origine de la BRI, la lecture des archives de la Banque de France sur le Comité Young amène plutôt à penser que la BRI est

une création commune de l‘ensemble des experts et particulièrement d‘Owen Young, qui,

même s‘il n‘est pas le père de l‘idée d‘une banque internationale, en a fait la promotion. Pour

211

Hjalmar Schacht, 76 Jahre… op. cit., p. 313

212

BRI, BR07, « Committee of experts, Draft regulations of the ―Clearing House‖ », Schacht‘s Memo.

Schacht, la Banque des Règlements Internationaux doit permettre de placer les réparations et éventuellement les dettes interalliées sur un plan strictement économique. De plus, les profits de la banque seraient utilisés pour combler la différence entre ce que l‘Allemagne estime pouvoir payer et ce que les Puissances créancières demandent. La BRI participerait également au financement du commerce international, aidant ainsi l‘Allemagne à payer les réparations

par l‘amélioration des exportations213

. La BRI correspond à la logique énoncée par Schacht pendant la préparation des travaux du Comité, puisqu‘elle peut aider à changer les structures

de l‘économie allemande pour accroître sa capacité de paiement.

Lord des cinq premières séances, les délégués allemands essayent d‘attirer l‘attention de leurs

confrères sur la difficulté que risque d‘éprouver l‘Allemagne pour effectuer des paiements

trop lourds, sans grand succès. Les premiers contacts sont pris, notamment entre Schacht et Stamp, délégué britannique, pour la définition du montant des annuités214. Les deux hommes

constatent qu‘un gouffre les sépare et ajournent la discussion.

b. La deuxième phase des travaux des experts : quelles annuités ?

À partir du 22 mars 1929, la question du montant des annuités devient néanmoins la préoccu-

pation essentielle de la délégation française, d‘autant plus que les travaux sur les autres ques-

tions comme la banque internationale sont très largement avancés. Comme Schacht l‘a indi-

qué au gouvernement, les Allemands ont alors tout fait pour qu‘aucun reproche ne puisse leur

être faits en cas de rupture de la conférence 215. Peut-il encore maintenir cette position ? Devant les très grandes différences séparant les propositions de Schacht d‘un côté, et celles de Stamp ou Young de l‘autre, les créanciers décident de définir une position commune, ce qui aboutit au dépôt devant le Comité du premier mémorandum Young, le 4 avril. Schacht en connaît le contenu avant le week-end pascal et le communique au gouvernement allemand le 29 mars 1929216. Les chiffres avancés par les représentants des gouvernements créanciers dévoilent que le point de vue allemand n‘est pas pris en considération. Le Président de la

Reichsbank est désormais pessimiste.

213

Müller II, Band 1, n° 152 « Bericht des Reichsbankpräsidenten über die Pariser Sachverständigen- konferenz. 12. März 1929 ».

214

Sur la correspondance entre les deux hommes, v. BRI,BR07, « Committee of experts »

215

Müller II, Band 1, n° 152

216

Müller II, Band 1, n° 164, « Bericht der beiden deutschen stellvertretenden Delegierten über die Pariser Sachverständigenkonferenz. 29. März 1929 ».

Après la soumission du mémorandum Young, Schacht rencontre chacune des délégations créancières sous la présidence de Young. Ces discussions aboutissent à un désaccord majeur

entre l‘Allemagne et les autres pays car l‘ensemble des demandes des créanciers totalise 2,9

milliards de Reichsmark par an, soit 400 millions de plus que ce qui était prévu sous le plan Dawes. Schacht refuse de donner sa propre estimation, tant que les chiffres des créanciers ne sont pas abaissés et, peu avant le 22 mars, communique à Young les chiffres et les conces-

sions qu‘il propose217

. Les délégués allemands demandent d‘abaisser le nombre d‘annuités à

37 au lieu de 58. Ils divisent l‘annuité en 4 parts. La première n‘est pas protégée. Le transfert

en devises de la seconde est protégé. La troisième est complètement protégée (transfert et paiement). La quatrième part est constituée de livraisons en nature. Enfin, le montant moyen des annuités est abaissé à 1500 millions de RM.

En réponse, les créanciers proposent le 13 avril 1929 un nouveau mémorandum, prévoyant un montant moyen de 2198 millions de Reichsmark par an. Le 16 avril, Schacht refuse de consi- dérer ce mémorandum comme base de négociation et fait connaître le lendemain le premier mémorandum de la délégation allemande218.

Ce texte repose sur deux principes, annoncés dans la première partie : d‘une part mettre en accord les demandes des nations créancières avec la capacité de l‘Allemagne à payer, d‘autre

part éviter que le paiement des réparations n‘entraîne une diminution du niveau de vie du

peuple allemand. Le mémorandum rappelle ensuite le principe le plus important aux yeux de la délégation allemande : le paiement des réparations n‘est possible que sur la base d‘un excé-

dent d‘exportations. Or, depuis 1924, la balance des paiements allemande est déficitaire de

16,5 milliards de Reichsmark, dont 10 pour le commerce extérieur, et le Reich s‘est endetté de 15 milliards de marks-or à court et long termes. Les paiements se sont donc traduits, d‘après ce mémorandum, par une perte de substance économique et par un endettement exceptionnel

de l‘économie allemande. Schacht et Vögler écrivent que le niveau de vie général a diminué,

que le chômage est fort (2,5 millions de chômeurs) : l‘activation de la clause de protection du plan Dawes n‘est qu‘une question de temps. Ainsi, en acceptant un nouveau plan,

l‘Allemagne prend un risque, qui doit être compensé par des contreparties, comme la fin des

217

Müller II, Band 1, n° 160, « Bericht der beiden deutschen Hauptdelegierten über die Pariser Sach- verständigenkonferenz, 22. März 1929, 16 Uhr ».

218

BARCH Koblenz, Nachlaß Schacht, N/1294/3, « Reichsbank, 1923-1930, Bemerkungen zur Kolo-

nialfrage », document signé par Kastl. Ce dernier s‘y interroge sur les possibilités pour l‘Allemagne de récupérer des colonies et conclue que le seul endroit possible est en Afrique et estime que, même sans résultat, le Reich doit régulièrement utiliser cette question.

contrôles étrangers et des charges pesant sur l‘économie et les finances allemandes, afin de

dégager des sources de financement et de paiement.

La troisième partie du rapport s‘attache à énoncer les conditions de réussite d‘un nouveau plan. L‘économie allemande a besoin d‘être renforcée pour augmenter la capacité de paiement

de l‘Allemagne. Le Reich souffre depuis la guerre d‘un déficit d‘approvisionnement en ma-

tières premières, conséquence de la perte de ses colonies en 1919, qui entraîne une augmenta- tion des importations. Le mémorandum suggère ainsi que l‘on rende des colonies à Berlin. De

plus, l‘Allemagne souffre d‘un problème agricole, car son territoire oriental, essentiellement

agraire, lui a été retiré. La conséquence est double : d‘une part, l‘approvisionnement agricole

est moins bien assuré, d‘autre part la région orientale restée allemande nécessite des subven-

tions de plus en plus importantes pour survivre. Cela revient à poser implicitement la question du corridor de Danzig219.

Le commerce extérieur du Reich étant ainsi entravé par le manque de colonies et la situation agricole allemande, les autres puissances doivent accepter les biens allemands pour améliorer ce commerce extérieur et la capacité de paiement du Reich :

« Il [le Comité] devrait affirmer que l‘on ne peut attendre des paiements d‘un pays industriel sans lui permettre de vendre ses biens sur les marchés étrangers,

et qu‘en chiffrant les sommes à payer par l‘Allemagne, la différence existante

ici a été prise en considération. »220

Dans la 4e partie du mémorandum, la délégation allemande expose deux schémas d‘annuités. Dans les deux cas, 37 annuités de 1650 millions de marks-or en moyenne sont prévues. Dans la première hypothèse, les puissances créancières ont accepté les conditions du mémorandum,

un retour des colonies et une diminution des entraves aux exportations allemandes. L‘annuité

est alors divisée en quatre. Schacht reprend ici une proposition déjà faite oralement à Young. La première partie, de 450 millions, est inconditionnelle. La seconde partie est de 225 mil-

lions la première année et augmente jusqu‘à 650 millions la 11e

année. Son transfert est pro-

tégé, c‘est-à-dire qu‘en cas de difficultés, l‘Allemagne pourrait payer en marks et non en de- vises. Le paiement d‘une troisième partie de l‘annuité est sujet à une protection complète. La

219

ADAP,Serie BBand XI, n° 75 « Der Präsident des Reichsbank-Direktoriums Schacht an den Reichsminister des Auswärtigen Stresemann, 16.02.1929 » et n° 94 « Der Präsident des Reichsbank- Direktoriums Schacht an den Reichsminister des Auswärtigen Stresemann, 26.02.1929 ».

220 « […] it [the committee] should state that one cannot expect payments from an industrial country

without permitting it to sell its goods on foreign markets, and that by figuring the amounts to be paid by Germany the here existing discrepancy has been taken into consideration.‖ BRI, BR07 « Committee

4e partie de l‘annuité, qui diminue de 750 millions la première année à 200 millions la 11e année, est inconditionnelle et en nature.

Si les conditions énoncées dans la troisième partie ne sont pas acceptées, seules les livraisons en nature ne sont pas protégées. Le reste est divisé en deux : une part avec protection des transferts, une part avec protection sur les paiements, sans limite de temps à un éventuel mo- ratoire. Les annuités, dans les deux hypothèses, doivent couvrir toutes les créances de

l‘Allemagne vis-à-vis de ses créanciers.

Inacceptable pour les représentants des puissances créancières, ce mémoire déclenche une réelle tempête au sein du Comité. La première hypothèse qui implique des concessions colo-

niales et douanières à l‘Allemagne est écartée par tous les délégués des pays créanciers, en raison de son contenu politique qui s‘écarte de la mission attribuée au comité. La seconde

hypothèse suscite une levée de boucliers. Elle ne fait pas de lien entre les dettes interalliées et

le paiement des réparations alors qu‘il semblait acquis. Elle écarte une thématique importante,

celle de la mobilisation et de la commercialisation, condition essentielle pour la France et

n‘inclut même pas un paiement inconditionnel de l‘emprunt Dawes. Enfin, Moreau, soutenu

modérément par Revelstoke et abondamment par Pirelli, pense que le mémorandum sous-

estime la capacité de paiement de l‘Allemagne et n‘essaye même pas de satisfaire les besoins

minimums des créanciers221. L‘incompréhension est telle que Young tente une médiation. Il

propose que l‘on discute des 10 premières annuités car il est impossible de prévoir l‘évolution d‘une économie au-delà de ce délai. Malgré l‘opposition de Moreau, cette procédure de dis- cussion est acceptée. C‘est le début de la crise grave qui secoue le Comité et se prolonge jus- qu‘au début du mois de mai.

Le 19 avril, Schacht explique à Young que le gouvernement allemand lui reproche son intran- sigeance222. Le même jour, la mort du délégué britannique Revelstoke rend possible une sus- pension inespérée des travaux du Comité. Cet ajournement vient à point nommé et permet aux experts allemands de se rendre à Berlin pour discuter avec leur gouvernement223. De plus, Schacht demande une entrevue à Moreau qui la lui refuse. Pierre Quesnay, secrétaire de la délégation française et directeur des études générales de la Banque de France, accepte de le

of experts, Annexe 13, Memorandum by the German group dated April 17th 1929 », p. 4

221

BDF, 1489200303/11, Comité d'experts, documents de réunions de Mr. Moret. Février-juin 1929,

Mercredi 17 avril 1929.

222

ADAP Serie B Band X, n° 161, 164 et 165, échange de lettres Schacht-Stresemann et commentaires

recevoir. Ces discussions n‘aboutissent pas. Le 23 avril, le comité de rédaction du rapport

final est créé, ce qui revient à admettre un éventuel échec de la conférence pour faire pression sur les membres du Comité.

Le contexte monétaire allemand change alors le rapport de force au sein du comité Young car le Reichsmark subit une forte pression. En effet, la couverture du Reichsmark en or et devises diminue et approche la limite des 40 %224. Cette crise monétaire allemande rend possible dé-

but mai une solution acceptable par tous les délégués, parce qu‘elle donne un aperçu de l‘une des possibles conséquences d‘un échec de la conférence : la déstabilisation des monnaies et en

premier lieu du Reichsmark225.

c. La troisième phase des travaux des experts : l’Allemagne cède

Le 2 mai 1929, Schacht propose une annuité de 2050 millions de Reichsmark. Le 4 mai, Young prépare un mémorandum utilisant ce chiffre, refusé par Moreau pourtant soumis à de fortes pressions. Schacht promet une réponse à cette proposition, mais, pour tomber d‘ avec Stamp, délégué britannique chargé du rapport final, retarde sa publication au 17 mai.

Dans l‘intervalle Schacht envoie une lettre à Young où il accepte son mémorandum, malgré

quelques réserves. Les créanciers ne peuvent se mettre d‘accord et publient le 20 mai une nouvelle proposition, à hauteur de 2198 millions par an, soit environ les deux milliards propo- sés par Young et certains paiements supplémentaires comme le remboursement de l‘emprunt extérieur de 1924. Moreau et Francqui estiment que cette offre est à prendre ou à laisser. Alors que le 21 mai, les délégués des pays créanciers apprennent la démission de Vögler226, second délégué allemand, après des discussions entre Schacht et plusieurs représentants des pays créanciers dont Quesnay, les négociations reprennent sous un aspect désormais essentiel- lement technique, car le Président de la Reichsbank a accepté les chiffres du mémorandum

223

Müller II, Band 1, n° 175, « Ministerbesprechung vom 19. April 1929, 18 Uhr ».

224

Müller II, Band 1, n° 190, « Besprechung über die Reparationslage. 1. Mai 1929, 17.30 Uhr ». Schacht explique qu‘en trois jours à la fin du mois d‘avril la Reichsbank a perdu 320 millions de RM en devises. La couverture est tombée à environ 42 %. Mais Schacht refuse de relever le taux de l‘escompte pour ne pas donner un signal d‘alarme.

225

Müller II, Band 1, n° 185, « Besprechung über reparationspolitische Angelegenheiten. 29. April 1929, 12 Uhr », en note

226

Müller II, Band 1, n° 203 « Reparationspolitische Besprechung. 18. Mai 1929 ». La démission de Vögler s‘explique entre autre par les pressions exercées quelques jours auparavant par des membre du Reichsverband der Deutschen Industrie, à savoir von Borsig, Thyssen, von Siemens, Kraemer, Bücher, Pietrkowski (AEG). Thyssen a apparemment demandé la démission du délégué allemand de ses fonc-

allié. Cependant, la démission de Vögler pose la question de la démission de Schacht lui-

même. Ce dernier l‘évoque en présence de Quesnay le 23 mai mais repousse finalement cette

possibilité227. Le 29 mai intervient un accord de principe sur les chiffres des créanciers228. Le

31 mai, l‘épineuse question des Marks belges et certaines questions techniques comme la su-

perposition des plans Dawes et Young pour l‘exercice financier allemand 1929/1930 retardent encore la conclusion des travaux du Comité. Une solution au conflit sur les marks belges est trouvée le 4 juin. Certaines questions techniques pendantes sont laissées à l‘appréciation des gouvernements. Le 7 juin 1929, le rapport est signé.

*

Deux types d‘explications sous-tendent l‘évolution des discussions au sein du Comité Young. D‘une part, les relations entre la délégation allemande et au premier chef Schacht et les autres

délégations éclairent certains aspects des négociations. D‘autre part, des raisons plus « struc- turelles » expliquent le comportement de Schacht : ses relations avec le gouvernement du Reich lui-même soumis à certains impératifs, les rapports de force monétaire entre la Reichs-

bank et la Banque de France et l‘évolution générale de l‘économie allemande.

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