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Directeur de la Danat et fondateur d’un part

Parcours d‘un financier (1877–1929)

C. Directeur de la Danat et fondateur d’un part

Après la parenthèse belge, Schacht revient à Berlin. Il quitte la Dresdner Bank en raison d‘un

conflit avec l‘un de ses dirigeants pour rejoindre la direction de la Nationalbank, un institut financier de taille moyenne. Ce retour est aussi marqué par la reprise d‘activités politiques.

1. À la Nationalbank

À la Nationalbank, Schacht est chargé de la section « crédits et affaires consortiales » (Kredi-

te und Konsortialgeschäfte). Il est l‘un des deux directeurs de la banque. Au milieu de l‘année

1918, Jakob Goldschmidt est recruté comme troisième directeur. Ce dernier s‘est imposé en

Allemagne comme l‘un des banquiers les plus importants et les plus contestés. Schacht entre

en conflit avec lui, contestant ses méthodes spéculatrices et, à la fin de 1918, lui vient en aide

et l‘appelle au calme. La Nationalbank élargit ensuite son capital. Goldschmidt recherche la

fusion avec la Deutsche Nationalbank de Brême, puis établit de solides liens avec les sociétés industrielles et de transport68. En 1921, il propose la réunion avec la Darmstädter Bank.

Schacht s‘y oppose car ce projet n‘assure pas suffisamment de sécurité aux clients de la

banque. Mais le conseil de surveillance de cette dernière suit Goldschmidt. Schacht ne peut empêcher la fusion et la Darmstädter und Nationalbank ou Danat naît69.

Son travail ne lui fournissant plus beaucoup de contentement en raison de ces désaccords avec Goldschmidt et avec les actionnaires, Schacht s‘intéresse aux questions d‘économie publique

et notamment à l‘inflation et aux réparations70

. Il semble bien qu‘il ait tiré quelques leçons de

la défaite et ait notamment déduit que certains aspects de l‘empire s‘étaient écroulés : le mili-

tarisme, le système de vote à trois classes, etc. Mais dans ses mémoires, il critique l‘arrogance

des Alliés et s‘insurge contre leur incompréhension du problème allemand. Pendant l‘inflation, Schacht publie dans deux journaux, le Berliner Tageblatt, dirigé par le démocrate

Theodor Wolff, et la Vossische Zeitung, journal de la bourgeoisie libérale. Il recommande

l‘introduction d‘une monnaie–or :

« J‘ai recommandé l‘introduction d‘une monnaie fondée sur la valeur de l‘or et dans une ampleur limitée, avec laquelle le travailleur pouvait lire continuelle- ment la valeur diminuant quotidiennement de l‘argent papier qu‘il recevait

68

Hjalmar Schacht, 76 Jahre… op. cit., p. 217

69

v. infra Chapitre 3. Sur cette période (1918-1923), Schacht fait également parti de nombreux Con- seils d‘Administration. Nous ne savons malheureusement pas lesquels. In Hans Luther, Politiker… op.

cit., p. 150

70

comme salaire. En outre, une telle monnaie fondée sur l‘or devait être un

moyen précieux pour le commerce extérieur. »71

En 1921, il s‘entretient avec le ministre français des Finances Charles de Lasteyrie sur les

Réparations72. Il rapporte également une discussion sur les réparations menée à Londres en 1923. À cette époque, Anglais et Français considèrent, d‘après Schacht, ces indemnités de guerre comme une bonne idée, malgré la publication des Conséquences économiques de la

paix de Keynes73. Il expose ses conceptions à ses contradicteurs : si l‘Allemagne lève plus

d‘impôts pour payer les réparations, les entreprises allemandes auront moins de marge de ma- nœuvre pour s‘autofinancer, elles exporteront moins, ce qui entraînera une diminution de la capacité de paiement de l‘Allemagne et donc un risque sur les Réparations74

.

Ces publications et ces entretiens montrent que Schacht intervient dans la sphère publique sur des sujets financiers politiquement sensibles. Le futur Président de la Reichsbank a d‘ailleurs une activité politique non négligeable.

2. Activité politique

À la fin de la guerre, Hjalmar Schacht fréquente le Club von 1914, fondé dans les dernières années de la guerre et où se rencontraient des journalistes, des avocats, des économistes et des banquiers75. Une fois la guerre terminée, Schacht estime, dans ses mémoires, que l‘Allemagne vivait alors un glissement vers la gauche76.

À partir de novembre 1918, se pose la question d‘un parti réunissant les diverses tendances du

libéralisme allemand, divisé avant-guerre en nationaux-libéraux, dont Gustav Stresemann, et libéraux de gauche, comme Friedrich Naumann. Le 10 novembre, un petit cercle77 se forme autour du journaliste du Berliner Tageblatt Theodor Wolff. Ce dernier publie le 15 novembre un appel qui est signé dans les jours suivants par de nombreuses personnalités. Le texte sou-

71

« Ich empfahl die Einführung eines auf Goldwert abgestellten Geldes in entsprechend beschränkten Umfange, an dem der Arbeiter den täglich schwindenden Wert des Papiergeldes, das er als Entlöh- nung erhielt, fortlaufend ablesen konnte. Überdies mußte ein solches auf Gold abgestelltes Geld ein wertvolles Hilfsmittel für den Export– und Importverkehr sein. » Ibidem, p. 210

72

Hjalmar Schacht, 76 Jahre… op. cit., p. 220. Nous savons que ces discussions ne mènent à aucun résultat et nous ignorons pourquoi Schacht était à Paris et a été reçu par de Lasteyrie.

73

John-Maynard Keynes, Les conséquences économiques de la paix, 1919.

74

Hjalmar Schacht, 76 Jahre… op. cit., p. 221

75Nous n‘avons pas trouvé de renseignement sur ce Club. D‘après ce qu‘en dit Schacht, il s‘agit d‘un

club d‘élite libéral. Ibidem, p. 190

76

Ibidem, p. 190

77

tient la venue d‘un régime républicain et démocrate, garantissant la défense des libertés et l‘égalité de tous les citoyens. Il prône une nouvelle politique sociale et économique, la sociali-

sation des secteurs monopolistiques et le partage des domaines de l‘État à l‘Est du Reich. À la suite de cet appel, la Deutsche Demokratische Partei (DDP) est fondée le 20 novembre 1918.

L‘un de ses objectifs est de participer à des gouvernements de coalition avec les sociaux- démocrates, permettant d‘intégrer les représentants des masses populaires au pouvoir. Ce parti

peut se reposer sur une presse, la Vossische Zeitung, le Berliner Tageblatt, la Frankfurter Zei-

tung et le Morgenpost78. Présidé par Friedrich Naumann jusqu‘à sa mort en août 1919, il

compte parmi ses membres de nombreux représentants de l‘industrie : Walter Rathenau d‘AEG

et Carl Friedrich von Siemens.

La DDP est parfois « nationale » par certains aspects de son programme comme la revendica- tion de l‘Anschluß. De manière générale, l‘appellation « libéral de gauche » est ambiguë.

Avant et pendant la Grande Guerre, certains de ses membres ont soutenu la politique expan- sionniste du Reich wilhelmien, la Weltpolitik. Friedrich Naumann a ainsi publié en 1915 un

Mitteleuropa demandant la mise en place d‘une union douanière en Europe centrale dominée

par le Reich pour résister à la concurrence des blocs économiques britannique, américain et russe. Toutefois, la DDP croit en la sécurité collective.

Schacht, républicain de raison, est l‘une des « personnalités » qui ont répondu à l‘appel de

Theodor Wolff79. Ainsi, après avoir été élu Arbeiter- und Soldatenrat pour le quartier de Zeh- lendorf80, il participe à la fondation de la DDP, le 20 novembre 191881. Il justifie la fondation de ce parti par la nécessité d‘opposer une résistance au marxisme, alors qu‘en Allemagne se déroule une révolution qu‘il associe au meurtre. Dès la création du parti, Schacht en est un

membre influent82. En effet, entre le 20 novembre et le 15 décembre, il contacte les Natio- naux-Libéraux qui n‘ont pas déjà rejoint la DDP et qui projettent la fondation d‘un autre parti, la Deutsche Volkspartei (DVP). Les négociations achoppent sur le programme de la DDPd‘une part et, d‘autre part, sur le retrait des hommes politiques qui se sont compromis avec les an-

78

Louis Dupeux, Histoire culturelle de l’Allemagne, 1919/1960. PUF, Paris, 1989, p. 25-27. Le parti disparaît en 1928, victime de ses faibles résultats électoraux, pour fusionner avec un autre parti et de- venir le Staatspartei. Les 5 députés de cette formation votent les pleins pouvoirs à Hitler en mars 1933 et le parti se dissout au mois de juin suivant.

79

Hjalmar Schacht, 76 Jahre… op. cit., p. 194

80

Zehlendrof est un quartier aisé du nord-ouest de Berlin. Schacht raconte cet épisode (Ibidem, p. 197- 198) avec une ironie certaine : les habitants du quartier ont simplement élu un bourgeois à leur image.

81

Ibidem, p. 198-199

82

nexionnistes pendant la guerre, comme Gustav Stresemann. Ce dernier refuse les conditions de la DDP, soutenu par des représentants des groupes nationaux-libéraux de province.La DVP

est alors fondée le 15 décembre 1918. Stresemann a expliqué à Schacht qu‘il y a entre les deux partis une divergence de fond : « L’idée internationaliste [DDP] combat ici le sentiment

allemand [DVP] 83. »

En janvier 1919, les élections ne donnent pas la majorité à la SPD. Cette dernière accepte de gouverner avec la DDP qui obtient 18,5 % des voix et envoie des ministres au gouvernement. Hugo Preuß, ancien membre du Fortschrittliche Volkspartei, devient ministre de l‘Intérieur et Walter Rathenau accède au ministère des finances en 1921. Pendant la campagne de janvier 1919, Schacht a tenu quelques discours, parfois devant un public hostile84. Le succès de son

parti lui aurait suffit et il dit ne pas s‘être engagé plus. Cette affirmation paraît douteuse : la commission pour le commerce, l‘industrie et les métiers (Reichsausschuß für Handel, Indust-

rie und Gewerbe), qui dépend de la DDP,est créée en avril 1920 par Carl Friedrich von Sie-

mens85, qui la dirige jusqu‘en 1924. L‘industriel choisit un délégué : Hjalmar Schacht. Cette

commission devient une sorte d‘organisation parallèle au parti, menant des campagnes électo-

rales directement dans les entreprises86. Après les élections de 1919, l‘histoire de la DDP est celle d‘une très lente agonie, qui se termine par sa transformation en Staatspartei en 1930. Dès l‘été 1919, ses adhérents partent vers la DVP. Gustav Stresemann avait raison.

*

À l‘été 1923, Schacht envoie son épouse, sa fille et son fils à Lausanne, car la situation est

tendue en Allemagne. Se conjuguent à ce moment la tension liée à l‘hyperinflation, le putsch

de la Brasserie, l‘occupation de la Ruhr et les révoltes communistes.

II. Commissaire à la monnaie et Président de la Reichsbank

À l‘automne 1918, la défaite approchant, la situation politique allemande se dégrade jusqu‘à

Presses Universitaires de Strasbourg, Strasbourg, 1996, 926 pages, p. 208

83

Ibidem, p. 212.

84

Hjalmar Schacht, 76 Jahre… op. cit., p. 195-196

85 Carl Friedrich Siemens, troisième génération des Siemens, a très tôt conçu son rôle d‘industriel dans

un cadre politique.

86

Alfred Wahl, Les forces politiques en Allemagne. Armand Colin, Collection U Histoire, Paris, 1999, 368 pages, p. 191. Pour le récit de la création de la DDP, nous nous sommes largement inspiré du cha- pitre 15 de cet ouvrage, p. 188 et suivantes. Nous n‘avons cependant pas plus d‘indications sur le con- tenu idéologique des travaux de cette commission de la DDP.

provoquer l‘abdication de l‘Empereur, le 8 novembre. L‘armistice est signée le 11 novembre,

dans une atmosphère révolutionnaire. En janvier 1919 de nouvelles institutions, républicaines et démocratiques, naissent sous la houlette du chancelier social-démocrate Friedrich Ebert. Grâce à la collaboration entre le nouveau régime et la Reichswehr, le mouvement révolution-

naire des Conseils qui s‘était développé en Allemagne depuis novembre est réprimé.

Le 28 juin 1919, la République de Weimar signe le traité de Versailles sans connaître le mon- tant des indemnités de guerre. En 1921, la conférence de Paris fixe un premier montant de Réparations de 269 milliards de Reichsmark. Au printemps suivant, la conférence de Londres réduit ce chiffre à 132 milliards. En Allemagne, on dénonce les Réparations et le traité de

Versailles, dont l‘article 231 la rend unique responsable de la guerre. En 1922, le gouverne-

ment du chancelier Zentrum Joseph Wirth accepte l‘ultimatum de Londres sur les réparations pour permettre au Reich de participer à la conférence de Gênes. Néanmoins, l‘accord signé à

cette occasion par l‘Allemagne et les représentants de la Russie soviétique à Rappalo a un

effet désastreux.

À partir de l‘été 1922, le gouvernement du Reich accumule les retards de paiement87

. Dans les mois qui suivent, se développe en conséquence une crise franco-allemande. Alors que les Al-

lemands débattent de la politique à adopter face aux Alliés, l‘inflation s‘accroît, accentuée par l‘occupation franco-belge de la Ruhr. Lorsque les négociations internationales reprennent

pour trouver un dénouement à la crise, Schacht est nommé commissaire à la monnaie du Reich puis Président du directoire de la Reichsbank.

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