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Schacht, les buts de guerre écon omiques de l’Allemagne et la Belgique occupée (1914-1915)

Parcours d‘un financier (1877–1929)

B. Schacht, les buts de guerre écon omiques de l’Allemagne et la Belgique occupée (1914-1915)

Lorsque la Grande Guerre éclate, Schacht n‘est pas mobilisé, car il a été déclaré inapte pour

myopie lors de son service militaire. Cependant, deux missions lui sont confiées en 1914 :

d‘une part, il participe en août à la définition des buts de guerre de l‘Allemagne vis-à-vis de la

Belgique et de la France et, d‘autre part, il est envoyé en Belgique en octobre pour régler des problèmes monétaires57.

1. Que faire de la Belgique ?

Au mois d‘août 1914, la possibilité d‘une victoire allemande encourage le Reich à définir ses

buts de guerre. Dans ce cadre, Hjalmar Schacht réfléchit au rôle économique et financier que devait jouer la Belgique dans une Europe d‘après-guerre dominée par l‘Allemagne. Il s‘agit

de déterminer comment la Belgique pourra aider le Reich à s‘affranchir de Londres, place

essentielle à son commerce d‘outre-mer avant la guerre. Dans cette optique, le rôle du port

d‘Anvers devient prédominant58

. Une alternative en découle : faut-il annexer la Belgique au Reich ou mettre en place une Union monétaire entre le Reich et le royaume belge ?

Dans un rapport adressé au gouverneur général en Belgique, Max Warburg discute de la pos-

sibilité d‘introduire le mark en Belgique59. Ce texte insiste sur l‘importance de la place de

57

Sur ce sujet, v. Georges-Henri Soutou, L’or et le sang… op. cit., premier chapitre.

58 Malheureusement l‘intervention de Christoph Schmidt-Supprian du Trinity College de Dublin lors

du colloque international organisé par la section d‘histoire de l‘Université libre de Belgique (Une

« guerre totale » ? La Belgique dans la Première Guerre mondiale. Nouvelles tendances de la re- cherche historique) ne semble pas encore disponible. Son titre : « German Economists and the ‖Ant-

werp Question‖ during the First World War ». V. http://www.ulb.ac.be/philo/histoire/collguerre.PDF

59

Londres dans le développement du mark et du crédit de l‘Allemagne avant le déclenchement de la guerre. Mais il repose sur l‘hypothèse que la capitale britannique ne pourra garder cette

position après la guerre car les maisons allemandes au Royaume-Uni ont été mises sous con- trôle étatique pour être progressivement liquidées. Pour résoudre le problème de la dépen-

dance du commerce allemand d‘outre-mer vis-à-vis d‘une place étrangère en cas de conflit, Warburg suggère d‘utiliser la Belgique qui dispose de capitaux excédentaires. Pour cela, il

faudrait un rapprochement économique et politique important entre le Reich et la Belgique. Anvers jouerait alors un rôle essentiel pour l‘Allemagne.

Un mémorandum de Schacht propose des réponses aux questions ouvertes par Warburg60. Il

n‘y préconise pas l‘annexion au Reich de la Belgique, car elle ne pourrait plus jouer le rôle d‘avant-poste économique allemand. En effet, jusqu‘en 1914, Berlin a pu faire passer des

compagnies britanniques ou françaises sous son influence par le biais d‘entreprises belges, comme les sociétés de tram de Barcelone, Buenos Aires et Rosario.

Schacht lance alors deux pistes. Il souligne la nécessité militaire et économique de contrôler les chemins de fer belges par le biais d‘une société contrôlée par les Allemands. Il réaffirme

l‘importance de la maîtrise d‘Anvers comme port et place commerciale pour les relations

économiques de l‘Allemagne avec l‘outre-mer. Le port belge est considéré comme le seul concurrent possible de Londres et de Rotterdam. Par son biais, le Reich pourrait exercer une

emprise sur les bourses et banques belges. En complément, Schacht suggère d‘introduire le

mark en Belgique, en créant, dès la fin de la guerre, deux filiales de la Reichsbank, à Bruxelles et à Anvers.

2. Les indemnités à demander à la France

Une autre question est discutée : quel montant d‘indemnités de guerre faut-il demander à la France ? Schacht estime qu‘il faut demander 50 milliards de francs en cas de victoire61. Cette somme couvre les frais de renouvellement et d‘élargissement de la marine et de l‘armée, les compensations pour les soldats tombés, les rémunérations pour les services des généraux (Heerführer) et une compensation pour ceux qui ont été touchés économiquement par la crise.

tachten erstattet Seiner Exzellenz dem Herrn Generalgouverneur ». Le rapport n‘est ni signé ni daté mais Schacht y fait référence dans un autre document du 26 août 1914, en citant Warburg.

60

BARCH Koblenz, Nachlaß Schacht, N/1294/1, « Wirtschaftliche Mindestforderungen betreffs Bel-

gien »

61

BARCH Koblenz, Nachlaß Schacht, N/1294/1, document sans titre daté du 26 août 1914, signé par

Il insiste aussi pour qu‘une partie de cette somme finance la politique culturelle allemande à l‘étranger. Pour le paiement de cette indemnité, Schacht exclut des versements réguliers pen- dant plusieurs années qui risquent d‘en rendre l‘Allemagne dépendante. Il ne souhaite pas non

plus un paiement rapide car il est possible que le krach boursier de 1873 ait été provoqué par

l‘afflux de liquidités lié au paiement français de l‘indemnité de guerre de 5 milliards de francs. Il propose enfin que la France s‘acquitte de sa dette politique par les titres qu‘elle dé- tient à l‘étranger, notamment lorsqu‘ils proviennent de pays sous influence allemande,

comme la Hollande, la Scandinavie, l‘Italie, l‘Autriche-Hongrie, les Balkans et la Turquie.

Ainsi, Schacht suggère d‘utiliser l‘indemnité de guerre pour renforcer la présence allemande à l‘étranger aux dépens de la France.

3. En Belgique occupée

Si Schacht n‘évoque pas dans ses mémoires les tâches décrites ci-dessus, il précise en re-

vanche qu‘il est envoyé à Bruxelles en octobre 1914 afin de régler le délicat problème des

coûts d‘occupation de la Belgique62

. Le Reich ne peut alors plus compter sur une victoire ra- pide, car la France et le Royaume-Uni ont bloqué sa progression sur la Marne, du 6 au 9 sep- tembre 1914. La Belgique occupée est alors organisée dans la perspective d‘une guerre longue. Schacht participe au projet de von Lumm, membre du directoire de la Reichsbank, qui propose d‘introduire dans le royaume occupé une nouvelle monnaie. Le gouvernement belge ayant émigré, les neuf provinces belges émettent un emprunt à la hauteur des coûts

d‘occupation pour gager la monnaie. En 1915, la Deutsche Bank ouvre une agence à

Bruxelles. La Dresdner Bank, pour ne pas se laisser distancer, demande à être également pré- sente en Belgique. L‘intérêt pour les deux banques était de payer les clients belges avec la

nouvelle monnaie, leur permettant de faire d‘importantes économies par rapport à un paie-

ment en marks. Schacht accorde une autorisation à la banque saxonne, provoquant ainsi son départ forcé de Bruxelles, étant soupçonné de favoriser son employeur. Il a reproché à von Lumm son goût des intrigues. Cet incident a été utilisé contre Schacht à chaque nouvelle étape de sa carrière.

*

Dans les premiers mois de la guerre, Schacht a ainsi participé au travail de préparation de

l‘après-guerre. Malheureusement, les archives consultées sur cette période n‘ont pas permis

62

de connaître le cadre de cette activité. L‘ouvrage de Georges-Henri Soutou ne parle que peu

des buts de guerre des banques allemandes, et ne le mentionnent pas du tout pour le mois

d‘août 191463

. Il insiste surtout sur la démarche et la réflexion du chancelier Bethmann-

Hollweg dans l‘élaboration du plan du 9 septembre 1914 qui est essentiellement économique.

Ce plan prévoit une annexion des terres orientales belges, rattachées à un Luxembourg qui

serait intégré au Reich, et une extension à l‘Ouest aux dépens de la France. La Belgique serait

intégrée à un système économique et politique plus vaste regroupant la Mitteleuropa autour

de l‘Allemagne et deviendrait un État vassal du Reich64

. La France devrait subir des pertes territoriales, une lourde indemnité à payer à ses opposants et devait signer un accord commer- cial la rendant dépendante du Reich.

L‘union douanière en Europe centrale prévue dans ce plan a un dessein politique, assurer la

sécurité du Reich. Les personnalités issues du monde économique la souhaitent par contre pour se prémunir contre la puissance des autres blocs économiques, russe, anglais et améri-

cain. Un indice permet de situer Schacht dans ces débats. Le ministre de l‘Intérieur du Reich

et suppléant du chancelier est Hans Delbrück qui a été député des Freikonservativen et qui appartient, pour la politique sociale, au groupe des Kathedersozialisten, comme Schmoller. Delbrück, critique vis-à-vis du projet de son chef de gouvernement sur l‘union douanière, mène toutefois les négociations avec les autres administrations pour son éventuelle mise en place. Or Schacht cite Hans Delbrück comme faisant partie des hommes qui l‘ont influencé avant la guerre65. Comme Schacht, il refuse, contrairement à Alfred Hugenberg par exemple, une annexion de la Belgique mais plaide pour une forme de protectorat66. Delbrück avait fon- dé la « société du mercredi » qui a formulé des buts de guerre modérés, sans « annexions aveugles »67. L‘universitaire Max Weber, l‘industriel Walter Rathenau ou bien le Président de la Deutsche Bank et son adjoint Helfferich participaient à cette société. Peut-on en déduire des liens entre Schacht et Delbrück que le premier a travaillé pour la « société du mercredi » qui a présenté à Bethmann-Hollweg le 3 septembre un plan modéré de buts de guerre ?

63

Georges-Henri Soutou, L'or et le sang… op. cit., premier chapitre.

64

René Girault, Robert Frank, Turbulente Europe et Nouveaux mondes 1914-1941, Armand Colin collection U HIstoire, Relations internationales contemporaines tome 2, 1998 (2e édition), 287 pages, p. 18 ; Raymond Poidevin, L'Allemagne et le Monde… op. cit., p. 65 et suivantes. Et le 1er chapitre de Georges-Henri Soutou, L’Or et le Sang… op. cit.

65

Hjalmar Schacht, 76 Jahre… op. cit., p. 121

66

Pour Hugenberg, v. par exemple, Georges-Henri Soutou, L’or et le sang… op. cit., p. 60 et sui- vantes.

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