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RESULTATS Chapitre 5 : Comment devient-on associé d'audit dans un

1. Le savoir : l’auditeur en tant qu’expert

Si l’auditeur est considéré comme un professionnel, c’est avant tout grâce à la maîtrise d’un savoir complexe qui le distingue des autres et lui confère son prestige.

Dans les années 80, la littérature en audit a cherché à caractériser les déterminants de l’expertise de l’auditeur : les capacités cognitives (Libby et Lipe 1992), la mémoire (Waller et Felix 1984), et principalement l’expérience (Hamilton et Wright 1982 ; Frederick et Libby 1986 ; Libby et Frederick 1990 ; Ashton 1991) ont largement été utilisées comme proxy de l’expertise de l’auditeur. Plus un auditeur est expérimenté, plus il est « expert » et meilleure est sa performance d’audit : on oppose ainsi les assistants aux seniors ou les managers aux associés, en terme de savoir et d’expertise. Bonner et Lewis (1990) sont les premiers à contester cette variable de substitution, constatant que l’expérience n’est pas suffisante pour caractériser l’expertise. A expérience égale, deux auditeurs n’ont pas nécessairement le même niveau de performance ou de spécialisation sur un sujet spécifique. Par ailleurs, les années d’audit ne sont pas révélatrices de la richesse d’une expérience personnelle préalable ou de capacités personnelles particulières. D’après eux, l’expérience et la formation créent du savoir et ce savoir, associé aux capacités

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personnelles permettent d’accomplir les différentes missions de l’auditeur et de distinguer la performance du professionnel.

Dans les années 90, plusieurs études convergent pour reconnaître que l’expertise de l’auditeur varie en fonction de sa tâche et donc de son grade hiérarchique (Abdolmohammadi et Shanteau 1992 ; Tan et Libby 1997 ; Tan 1999). Le rôle, les responsabilités et les attributions des auditeurs sont en effet très différentes en fonction des grades au sein du cabinet : la définition de la performance de l’auditeur est donc liée à son grade hiérarchique. Utilisant des approches psychométriques et des expériences de laboratoire, les auteurs montrent que l’expertise technique est le principal déterminant de la performance des juniors en cabinet car leurs tâches sont plus techniques et plus structurées que celles des autres grades. Pour les seniors, leur job devenant plus relationnel et moins défini, à la fois l’expertise technique et la capacité à résoudre des problèmes (“problem-solving ability”) sont importantes. Enfin au niveau des managers, le management des clients et des équipes devient central et le savoir managérial tacite fait la différence dans la mesure de la performance de l’auditeur (Tan et Libby 1997). L’expertise, variable selon les niveaux hiérarchiques et difficilement définissable avec une variable de substitution simple, reste au cœur de la définition de l’identité de l’auditeur :

“The accountant (…) is a full-time information professional, whose qualifications, if sufficient, are authoritatively recognized by a license.” (Elliott et Jacobson 2002, p. 75)

L’ère industrielle a promu l’économie capitaliste et la création d’entreprises financées par les marchés de capitaux. La continuité d’exploitation et la nécessité de calculer des dividendes précis et un profit net, d’établir un reporting fiable en direction des investisseurs, des banquiers ou des créanciers sont intervenues avec l’avènement de la société industrielle et de l’économie capitaliste et permettent d’expliquer l’importance de l’expertise et du savoir du comptable et de l’auditeur (Elliott et Jacobson 2002). Mais les auteurs s’interrogent : de quoi sera faite l’expertise du professionnel de l’information dans cette nouvelle ère de l’information et des services? Pour ne pas perdre son statut, il faut que la profession comptable évolue et fasse évoluer son savoir. En audit l’évolution des techniques avec l’échantillonnage, l’approche par les risques (Business Risk Auditing) et l’informatisation des techniques d’audit ont permis de remettre le savoir à jour et de continuer à jouir d’une reconnaissance de l’expertise de l’auditeur. Mais le monopole d’exercice de l’audit ne s’applique qu’à la certification des comptes et pas aux autres formes d’audit qui pourtant prolifèrent. Les auditeurs doivent veiller à ajuster leur expertise pour rester légitimes en tant que professionnels et crédibles en tant qu’experts (Robson et al. 2007).

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Le savoir devient alors une ressource stratégique pour acquérir du pouvoir. Or dès que ce savoir devient standardisé et peut être considéré comme un « produit », la profession ne peut plus faire de profit à partir de cette expertise, d’où l’importance des niveaux symboliques, abstraits et du monopole d’expertise qui confère une légitimité professionnelle.

“Knowledge work and knowledge workers are now key issues [because] (...) knowledge is a strategic resource of social power and control.” (Blackler et al. 1993, p. 851).

Dirsmith, Covaleski and al.(2003) étudient le processus de « ré-institutionnalisation » du « savoir » en tant qu’expertise des professionnels de l’audit pour donner une légitimité à leur volonté de s’imposer comme des experts pour l’audit du contrôle interne de leurs clients d’audit externe. Utilisant l’argument du « knowledge expert » revendiqué par la profession, les cabinets ont réussi à étendre leur champ d’actions malgré les oppositions marquées des autres acteurs du milieu et notamment la SEC et le Congrès US. La profession a eu recours à la création identitaire du « knowledge expert » pour s’approprier de nouvelles attributions d’expertise, cohérentes avec les attentes du marché et la globalisation des services.

Pourtant, dans ce savoir maîtrisé et « objectif », qui le distingue des autres et fait de lui un expert, un professionnel de son domaine, Hugues (1996) y voit un jugement de valeur et de prestige. Ce statut d’expert, définissant son identité autour de la maîtrise d’un savoir technique, va être critiqué par le courant interactionniste, qui met en avant l’importance des savoirs tacites, au-delà des savoirs codifiés et techniques. Pour les sociologues interactionnistes, l’essentiel n’est pas dans les savoirs reconnus, codifiés et certifiés, qui ont permis à la profession d’acquérir un statut mais dans ce qui est présent dans la société ou l’organisation sans être reconnu. Le savoir technique est contingent à la période, le savoir tacite est permanent et propre aux professionnels. Leur objectif va donc être de montrer les écarts entre les pratiques professionnelles et le strict respect des normes.

2. Le comportement et les valeurs morales : l’auditeur en tant qu’acteur

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