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RESULTATS Chapitre 5 : Comment devient-on associé d'audit dans un

3. L’identité : un concept réflexif

Pour saisir la construction de l’identité dans sa dynamique biographique et relationnelle, la recherche s’est intéressée plus profondément aux structures sociales et aux processus sociaux qui accueillent la construction de l’identité de l’individu. En particulier, la position actuelle des chercheurs est de prendre en compte l’interaction entre agents et discours (Bergström et Knights 2006), le discours étant le matériau d’analyse et d’observation principal de la construction identitaire.

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“Precisely because identities are constructed within and not outside discourses, we need to understand them as produced in a specific discursive formations and practices, by specific enunciative strategies.” (Hall et Du Gay 1996, p. 4).

Dans ce travail d’interprétation du discours, les chercheurs introduisent la notion de travail identitaire (identity work (Alvesson et Willmott 2002, p. 626)), travail par lequel l’individu cherche à internaliser les discours managériaux dans sa propre narration et dans la définition subjective de son soi (self-identity (Giddens 1991)). Le travail identitaire est alors conçu comme un processus par lequel les individus cherchent à donner un sens à leur identification à l’organisation, dans un processus réflexif entre sujet et structure. Le travail identitaire est donc le lien entre la dualité des conceptions de l’identité, et prend en compte la réflexivité entre identification à l’organisation et définition du soi.

Par ailleurs, ce concept interprétativiste d’identity work considère comme ressources identitaires, et donc matériaux d’analyse, les capacités langagières, les expressions et références qui permettent de mettre en œuvre des stratégies, plus ou moins complexes, d’identification des autres et de soi-même. Toutefois, ces ressources doivent être associées aux capacités relationnelles des professionnels, « permettant la découverte des autres, la gestion des coopérations et conflits avec eux, et des compétences biographiques, des apprentissages de soi, de la mise en récits des identifications passées qui ont permis la construction de son identité personnelle » (Dubar 2000, p. 55).

Suivant cette perspective, et pour comprendre le processus de construction de l’identité des associés des cabinets d’audit Big 4, il faut s’intéresser et comprendre le contexte et les institutions dans lesquels elle se forme, et mesurer la réflexivité du phénomène par l’étude du discours des auditeurs et la façon dont eux-mêmes se perçoivent.

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Figure 4 : les différents traitements du concept d’identité dans la littérature des sciences sociales.

INDIVIDU

Autonome Rationnel Essentialisme (Agency) Positivisme (Homo economicus) Fonctionnalisme (Identification)

STRUCTURE

Déterminisme Moule Post-structuralisme Critiques (Foucault –

reproduction des schémas de domination) Structuration du discours (auto-contrôle)

INTERACTIONS

individu / structure

Existentialisme Interactionnisme(identité pour soi/ identité pour autrui)

Interprétativisme (Identity Work) Dimension biographique et relationnelle Concepts de socialisation et de carrière

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En résumé, dans cette thèse, nous concevons l’identité non pas comme un concept à définir mais comme un processus à analyser. L’identité est sans cesse en mouvement, elle n’est pas un attribut fixe et définitif, de la même façon qu’elle n’est pas non plus déterminée uniquement par la structure organisationnelle. Elle est le fruit d’un processus réflexif entre acteur et structure, d’un travail permanent de l’acteur au sein de l’organisation, le produit d’une construction dynamique du sujet au sein de l’organisation. En s’intéressant aux logiques d’action et aux motivations des individus pour participer à l’action collective, on ne peut en effet extraire l’acteur de la structure organisationnelle, qui nécessairement, oriente sa construction identitaire, structure qui lui préexiste et donc guide son action. On comprend donc l’action et la motivation à agir comme conditionnées par la structure et les contraintes organisationnelles dans lesquelles elles s’inscrivent (Bajoit 2009). Toutefois, et bien que ces structures soient préexistantes à l’acteur, nous refusons le déterminisme qui conçoit l’identité de l’acteur comme façonnée par l’organisation, produit de contraintes fortes et immuables. La structure change dans le temps et dans l’espace, notamment sous l’effet de l’action des individus qui la constituent. C’est pour saisir ce processus de construction identitaire, cette réflexivité constitutive de l’identité de l’acteur au sein de l’organisation que nous concentrons cette thèse sur l’étude des relations sociales, encastrées dans un contexte organisationnel, et du sens

que les acteurs leurs donnent. Nous cherchons à définir l’identité de l’individu au travail en

tentant de comprendre ses actions, ses motivations et ses raisons d’agir comme étant le produit de la pratique de ses relations sociales encastrées dans le contexte professionnel dans lequel il les exprime.

Notre objet n’est donc pas de définir les grandes catégories permettant aux individus de se construire par identification (position fonctionnaliste) ni de dénoncer les effets négatifs et opprimant des dispositifs visant à orienter l’identité des salariés dans une direction donnée (position critique), mais plus de comprendre comment les individus se construisent sur la base de matériaux identitaires dont les identités sont une des principales ressources dans le contexte organisationnel (Welsh 1992). Pour aborder ce travail de recherche, nous adoptons une démarche sociologique, qui reconnaît aux acteurs une compétence légitime à rendre compte de leurs actions et à leur donner sens, cette capacité que le philosophe Paul Ricœur qualifie de « mise en intrigue » de leurs actions (Ricœur 1985). Pour saisir l’identité de l’individu comme processus social, nous voulons dépasser la description ou l’observation des comportements et des relations sociales, et accéder aux logiques subjectives d’action des individus, en explicitant leurs raisons d’agir et en s’intéressant à leurs représentations.

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Section 2 : Qu’est-ce qu’être un professionnel de l’audit dans la littérature ?

Dans la section précédente, nous avons défini le concept d’identité dans l’acception que nous souhaitons mettre en œuvre dans ce travail de thèse. Alors que nous avons tracé dans les grandes lignes les différentes conceptions de l’identité dans la littérature des sciences sociales (cf figure 4 ci-dessus), nous allons désormais nous concentrer sur la littérature comptable, qui concerne plus précisément la profession d’auditeur et la définition de l’identité des associés d’audit des grands cabinets internationaux, pour cerner les influences théoriques qui ont prévalu à l’analyse de l’identité des auditeurs et de comprendre les implications dans la compréhension du processus de construction identitaire de l’associé des cabinets Big 4.

Alors que pendant longtemps la vie quotidienne dans les cabinets d’audit a été ignorée, au profit de recherches plus institutionnelles ou macrosociologiques, une grande quantité de chercheurs, se basant sur des observations participantes ou des études ethnographiques, a pénétré à l’intérieur de la black box pour tenter de saisir le travail quotidien des auditeurs, leurs vies de tous les jours et leur façon de fonctionner. Que nous apprennent ces études sur l’identité des auditeurs, pour comprendre comment on devient associé dans un cabinet d’audit Big 4 ?

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