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RESULTATS Chapitre 5 : Comment devient-on associé d'audit dans un

1. La littérature économique et l’analyse du up-or-out

Le processus de up-or-out, inspiré du système Cravath (cf 1.1), a été particulièrement étudié dans la littérature organisationnelle, en ce qu’il distingue, entre autres, les PSF de l’organisation bureaucratique traditionnelle (Malos et Campion 1995). Cette règle permet de sélectionner les « meilleurs », en écartant ceux qui ne présentent pas les qualités pour devenir associés. Ainsi un individu est-il autorisé à rester à un certain niveau seulement pendant une période de temps donnée. Après cela, l’individu doit sortir de ce niveau, soit par le haut, en changeant de grade, soit en quittant la firme. Il nous apparaît donc que le système contient en lui-même la définition de critères non dévoilés et certainement changeants au cours du temps, qui définissent l’ « idéal type » ou le « corporate clone » entrevus dans la littérature comptable.

1.1. Le système Cravath

C’est l’avocat américain Paul Cravath qui a laissé son nom à ce système d’organisation et de développement des ressources humaines. Dans un contexte de croissance de l’activité

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industrielle et commerciale, à la fin du 19ème siècle / début du 20ème siècle, l’avocat associé dans

un cabinet observe un système professionnel libéral où les jeunes avocats sont rémunérés par la gestion individuelle de leurs clients, créant un climat de compétition malsain. Jugeant cette organisation inefficace, il décide de mettre en place, à partir de 1899 au sein du cabinet qui deviendra Cravath, Swaine & Moore LLP, une organisation reposant sur quelques éléments simples :

- Un recrutement des meilleurs étudiants avocats, issus des meilleures écoles de droit du pays. Le contexte s’y prête d’autant mieux que les écoles de droit sont en plein développement : on compte un tiers des avocats formés en 1870 dans ces law schools, deux-tiers environ en 1914 (Gand 2008). Cette élite estudiantine fournit une main d’œuvre compétente et motivée pour travailler dans les grands cabinets d’avocats. - Une formation intensive, généraliste et permanente tout au long de la carrière,

- Une hiérarchie claire, avec des échelons courts et identifiés en grade, qui permet de garder les meilleurs éléments, qui « tournent » au sein des équipes d’associés, afin de se constituer une culture et une expérience généralistes. Les éléments les moins bons sortent naturellement du système.

- Une promotion interne, interdisant les recrutements « latéraux », i.e. à l’extérieur du cabinet. Les associés (partners) sont donc issus des rangs des collaborateurs du cabinet (associates), désignés par cooptation de leurs pairs.

- La rémunération est garantie, pour les collaborateurs, par un salaire, augmentant essentiellement par ancienneté (lockstep compensation), jusqu’à l’accession au grade de

partner.

- Un leadership basé sur une collégialité d’associés, qui gèrent à la fois le fonctionnement du cabinet et la relation-clients.

Ce système développé par Cravath permet de rationaliser la production de services juridiques et va se diffuser, à partir des années 1920, au secteur juridique mais également dans d’autres domaines, en particulier dans les grands cabinets d’audit et de conseil (Gand 2008), en réponse à leur extrême degré de complexité en termes d’expertise professionnelle.

Appelé désormais up-or-out ce système a bien entendu subi quelques aménagements et assouplissements au fil des ans et en fonction du contexte économique, mais demeure toujours d’actualité dans les grands cabinets de droit, de conseil ou d’audit internationaux.

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1.2. L’analyse économique du système up-or-out

Ce système du up-or-out a été assez peu étudié dans les cabinets d’audit mais on trouve des études plus détaillées portant sur les cabinets de consulting ou bien les firmes de droit professionnel, notamment afin d’en expliquer le mécanisme (O'Flaherty et Siow 1992 ; Malos et Campion 1995 ; Morris et Pinnington 1998). L’explication économique du up-or-out se structure autour de deux types de modèles :

- Le modèle du tournoi (Galanter et Palay 1990 ; Galanter et Henderson 2008), qui voit la cooptation comme le résultat d’une compétition acharnée entre les candidats à l’association, qui se disputent, à chaque grade un nombre de positions limitées. Par conséquent, la performance n’est pas absolue mais relative, au sein d’une même génération. On juge les candidats les uns par rapport aux autres et non par rapport à une norme de performance standard. Celui qui perd le tournoi doit quitter la firme. Le tournoi final est celui de la cooptation à l’association, qui est désirable pour le candidat car il permet d’accéder au partage des profits, et donc maximiser son revenu et le prestige qui en découle. Le résultat de la compétition a des conséquences directes également pour le cabinet, car il permet, en cooptant les meilleurs, de garantir la réputation de la firme, gagner de nouveaux clients et ainsi, assurer des revenus croissants pour la communauté des associés.

- un modèle basé sur la levée d’options (Gilson et Mnookin 1989 ; Malos et Campion 1995), qui voit dans l’embauche d’un junior un investissement tant de la part des associés, qui parient sur un portefeuille d’options pour acquérir la valeur future du capital humain de la recrue, une fois développée, que de la part du jeune embauché, qui dispose d’une période d’apprentissage pour faire ses preuves et montrer à la communauté des associés qu’il est digne d’en faire partie. A l’issue de cette période d’apprentissage, qui est une période de tri des meilleurs éléments, les associés décident ou non de lever l’option et de coopter la recrue s’ils jugent qu’il apporte suffisamment de valeur ajoutée à la communauté, par rapport à son coût marginal (embauche, formation, …). L’association est alors considérée comme un dispositif mis en place pour s’assurer de la fidélité des meilleurs éléments, attirés par le partage des profits, le prestige du statut et l’autonomie professionnelle. Par ailleurs, avec ce modèle, on comprend qu’un bon élément puisse être licencié même s’il est compétent comme l’abandon stratégique d’une option par l’associé, parce que le candidat n’a pas développé suffisamment de compétences requises pour investir dans son association ou bien si la firme n’a pas les niveaux de croissance suffisant au moment de sa promotion.

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Le modèle des options prend plus en compte les conditions conjoncturelles que le modèle du tournoi, puisqu’au moment de lever l’option, les associés tiennent compte des besoins de la firme et donc de la croissance ou non de l’activité.

Toutefois, les recherches les plus récentes prennent en compte les adaptations subies par le modèle du up-or-out et notamment le développement d’un parcours parallèle : en effet, dans les cabinets d’audit, de conseil ou de droit, l’existence de non-equity partner ou d’associate

director qui ne détiennent le plus souvent qu’une action leur permettant de signer les dossiers,

mais ne participant pas aux partages des bénéfices se développe afin d’offrir un parcours plus souple et moins risqué mais également moins rémunérateur et moins prestigieux aux bons éléments qui ne possèdent toutefois pas les qualités suffisantes pour devenir associés (Galanter et Henderson 2008). Les deux-systèmes coexistent au sein du cabinet, sans rien enlever du caractère motivant du up-or-out pour les candidats à l’association (Malhotra et al. 2010). Ces articles ont avant tout une portée économique explicative, pour comprendre ou justifier l’intérêt économique du système de up-or-out, et bien qu’ils étudient le processus de promotion à l’association dans les firmes de services professionnels, ils n’abordent quasiment jamais le « comment » on devient associé dans ces cabinets, ni quels sont les critères de cooptation. Gilson et Mnookin, dans leur article de 1989, mentionnent des critères subjectifs liés à une décision subjective, saisie par le concept théorique de l’incomplete contract. En particulier, ils insistent sur l’idée que pour que la cooptation reste un moyen de retenir les meilleurs (« bonding

mecanism »), le traitement de la décision de cooptation doit être perçu comme juste et loyal,

afin d’inciter les salariés à investir dans le « firm-specific knowledge ».

Cependant, la synthèse de ces études sur le « promotion-to-partner process » dans les firmes de services professionnels converge vers le passage à l’association comme le résultat d’un processus de sélection long et complexe, qui laisse apparaître l’association comme un aboutissement, symbole de réussite professionnelle. C’est d’ailleurs cette réussite qui pousse les apprentis associés à se surpasser pour se faire remarquer et être cooptés par leurs pairs. Le

up-or-out laisse entendre qu’une fois coopté, l’associé entre dans la structure et n’évolue plus

en termes de carrière. Ou du moins, cette évolution ne semble pas être un sujet d’étude pour les chercheurs économiques.

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