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RESULTATS Chapitre 5 : Comment devient-on associé d'audit dans un

3. La place centrale de l’associé dans les partnerships.

Ce qui nous semble particulièrement intéressant, dans l’organisation des Partnerships, et qui est au cœur de notre travail de thèse, est la place de l’associé, un parmi ses pairs mais au centre de la structure de gouvernance. Il est celui qui décide, à la fois manager, actionnaire et employé du cabinet.

« A partner is an owner of a firm, is involved in its overall management, and is a key production worker. » (Greenwood et al. 1990, p. 730)

Dans ce format de gouvernance, l’associé est au cœur du management, et la partnership sous- entend une connexion entre propriété et contrôle. La mutation des Professional Partnerships en Managed-Professional-Businesses (cf Partie 2) n’affecte pas la place centrale de l’associé au sein de la structure, qu’il contribue à définir et dont le travail repose quasi essentiellement sur son jugement de professionnel. Dans une « partnership », l’autorité reste collégiale, partagée par l’ensemble des associés, qui individuellement et de façon autonome, œuvrent à l’enrichissement commun. Greenwood et ses co-auteurs voient dans ce système un puissant moyen de motivation et d’engagement des professionnels dans leur travail et au sein du cabinet.

« We surmise that the P²-form effectively promotes professional satisfaction and commitment and maintains and develops professional standards. » (Greenwood et al.

1990, p. 751)

La mutation, de la « P2-form » à la « MPB-form » s’accompagne certes de modifications organisationnelles mais elle est portée par un glissement dans les valeurs et les discours (Cooper et al. 1996), elle est donc portée par les acteurs eux-mêmes, à savoir les associés. La mutation de sens se produit donc au sein de l’associé, qui dans la partnership, constitue en quelque sorte la structure, puisqu’il est celui qui prend, collégialement, les décisions et les orientations stratégiques. Cooper et ses co-auteurs précisent que dans le « MPB », le sens du mot « partner » change : celui-ci devient un « team-player », qui adhère aux valeurs plus « business-oriented » de l’organisation mutante, et accepte un raisonnement plus collectif dans le partage du travail, et une spécialisation de son travail dans un objectif de rentabilité. Or ce transfert des valeurs

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n’aurait jamais été possible sans une adhésion des associés, qui portent, en leur sein, cette nouvelle orientation.

« Archetypes need to be understood as structures in process, as part of a historical process by which firms and the people who work in them not only accumulate wealth, but

also obtain their identity. The study of professional firm is important because the idea of being a professional and being a partner has been so central to lawyers and accountants that specific configurations have developed. Over time, conceptions of

partnership and professionalism have changed to accommodate changing cultural values, such as the importance of being businesslike. » (Cooper et al. 1996, p. 644)

En conclusion, la mutation des valeurs et le glissement de sens dans le discours modifient la structure organisationnelle, comme observé par les théoriciens des organisations, mais ils affectent également l’identité des associés, qui composent la structure décisionnelle. Le changement se produit donc également au niveau microsociologique, et c’est à ce niveau que nous avons choisi de placer notre étude. Si le rôle de l’auditeur devient de plus en plus commercial et son esprit plus entrepreneur, on peut penser que la nature des associés change également et que cela affecte les schémas de carrières et de promotion à l’association. Les associés sont ceux qui forment le « management » de ce « MPB », et donc à ce titre sont les décideurs de l’évolution de l’organisation. En particulier, ce sont les associés qui, tant dans la forme originelle de la « professional partnership », que dans sa version mutante de « MPB », cooptent les nouveaux associés et les invitent à rejoindre la structure en mutation. Les critères de cette cooptation sont certainement révélateurs de ce transfert de valeurs et c’est notamment ce que nous explorons dans la suite de notre travail. A ce titre, plusieurs chercheurs s’inscrivant dans l’épistémologie interprétative reconnaissent le besoin d’approfondir le rôle des professionnels dans la mutation des structures organisationnelles et appellent à des études ethnographiques approfondies sur les pratiques et leur diffusion pour comprendre le développement et les évolutions du modèle économique professionnel contemporain.

“There is a need for more in-depth ethnographic studies of the role of the professions in the development of contemporary business practices, the re-regulation of financial markets, and the unfolding of the recent financial crisis. (…) At the more micro-level, the relationships between institutional work and identity work are also an important direction for future research. This connects to the important body of work on the micro- foundations of institutions (Powell & Colyvas 2008), asking questions if how shifts in

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institutional logics are enacted at the individual level, how professional projects carry projects of the ‘self’ as they constructs, maintain and disrupt individual identities and how organizations seek to institutionalize appropriate professional roles and identities as part of their attempts to motivate and manage their workforces.” (Muzio et al. 2013,

p. 715)

Alors que la théorie des organisations reste trop souvent aux niveaux méso ou macroscopiques pour étudier les mutations du secteur et de sa structuration, nous nous proposons d’entrer plus précisément et au plus près des acteurs principaux, les associés, pour mieux comprendre cette même évolution, à un niveau plus microsociologique.

La littérature organisationnelle concernant les firmes de services professionnels est dominée par l’idée d’une structure en mutation, passant de la Professional Partnership classique, à une forme plus business, baptisée Managed-Professional Business par Cooper & al. (1996). Toutefois, en se penchant plus précisément sur cette mutation structurelle, nous constatons qu’elle est essentiellement portée par l’évolution des valeurs professionnelles, se traduisant par une modification du discours des acteurs. Ces transformations affectent, in fine, les pratiques quotidiennes et les décisions prises par le management de la firme. Or, ce qui est intéressant dans l’organisation des firmes de services professionnels en partnership, c’est que le

management du cabinet est occupé par les associés, qui sont au cœur de la gouvernance, à la

fois actionnaires, salariés et managers.

Dans cette section, nous voulions montrer que dans ce format de gouvernance, l’associé d’audit est le personnage central. Il convient donc de s’intéresser à qui il est pour mieux comprendre le fonctionnement des cabinets et l’organisation de la structure décisionnelle. Pourtant la théorie des organisations ne permet pas l’étude de l’associé en tant qu’acteur et reste au niveau organisationnel, où élite professionnelle et organisation sont confondues. Nous proposons alors d’adopter un point de vue microsociologique, pour pouvoir considérer l’associé en tant qu’acteur décisionnel, en nous penchant en particulier sur le système de promotion à l’association.

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Section 3 : le Promotion-to-Partner Process

Dans les sections précédentes, nous avons établi un lien entre analyse de l’organisation et étude de la profession, puis, nous avons constaté que bien que la structure organisationnelle des cabinets soit en pleine mutation de forme, elle conserve un rôle central à l’associé au cœur de la gouvernance. Toutefois, cette revue de littérature nous renseigne sur la place de l’associé une fois coopté, mais pas sur le processus de cooptation à l’association.

Alors que la littérature comptable n’a pas véritablement traité le sujet, la littérature sur les firmes de services professionnels s’est intéressée au « Promotion-to-Partner Process » dans les cabinets. Notre revue de littérature a fait émerger deux axes d’appréhension de ce processus de promotion à l’association, une approche économique très centrée sur le up-or-out et sa justification économique (Partie 1) et une approche critique dénonçant le biais de genre dans la décision de cooptation (Partie 2). Nous allons détailler ces études dans les deux parties suivantes, avant de conclure dans une troisième partie sur la nécessité d’une approche différente, pour prendre en compte le processus dans sa globalité et cerner plus précisément l’identité de l’associé (Partie 3).

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