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Saisir l'appropriation des services mobiles multimédia par le travail de l’attachement au genre journalistique

DANS UNE PRAGMATIQUE DE L'USAGE

Chapitre 2. Redéfinir le cadre social des usages autour des goûts médiatiques

II. Prendre comme observatoire l’attachement à un genre médiatique multi-support

2. Saisir l'appropriation des services mobiles multimédia par le travail de l’attachement au genre journalistique

En laissant la définition du genre journalistique ouverte, nous nous démarquons également de la manière dont la sociologie de la culture mobilise les genres culturels. Comme les genres médiatiques, les genres culturels sont définis a priori pour constituer des référents qui vont être hiérarchisés en fonction de la place qu'ils occupent dans la

consommation culturelle des classes sociales supérieures. Une fois ces référents stabilisés, ils vont être inscrits au principe de la formation et de la circulation des goûts culturels. Dès lors, en laissant cette définition ouverte, nous n'abordons pas la formation des goûts en fonction des propriétés des genres médiatiques qui sont socialement et culturellement valorisées. Nous aborderons la formation des goûts médiatiques sous une orientation pragmatiste, en les appréhendant à travers leurs effets.

« Que fait la musique ? Et non : qu'est la musique ? Que fait-elle faire ? Et non :

comment la fait-on ? (…) Une telle orientation, pragmatiste, évite de poser au départ l'existence de son objet. Elle cherche non à définir – c'est-à-dire à limiter – ses propriétés, mais à le cerner à travers ses conséquences, ses effets, ce qu'il permet, ce qu'il fait devenir. »160

Cette orientation propose de ne pas chercher à définir de manière abstraite l'objet culturel étudié, comme la musique ou les informations journalistiques en tant que produits finis, mais à les cerner à travers leurs effets, à travers ce qu’ils font faire. Quelqu'un qui est fortement attaché aux informations journalistiques va s'engager dans diverses activités. Pendant qu'il prend son petit déjeuner, il écoute les informations à la radio. Avant de prendre le métro, il fait un détour par un kiosque pour acheter un quotidien. Puis, il le lit pendant qu'il est confortablement assis dans le métro. Une fois dans le RER, il profite de son téléphone multimédia pour regarder le flash info de LCI. Face à son poste de travail, il s'autorise une « pause actualité » en allant jeter un œil à un site Internet d'information. Lorsqu'il arrive chez lui, sa femme prépare le dîner tout en accordant une attention distraite à une émission télévisée. Ils discutent, s'affairent, le temps passe et l'heure du JT arrive. Ils dînent alors en famille en écoutant le discours du présentateur. Au fil de ces journées médiatiques bien remplies, cet individu développe toute une série de préférences. Il est plus particulièrement attaché à son quotidien matinal, au JT du soir et, depuis peu, au flash info qu'il peut visualiser sur son téléphone mobile multimédia. Plus le temps passe et plus il préfère l'interactivité et la diversité des contenus que lui propose ce nouveau support. Dès lors, comme il peut récupérer des quotidiens gratuits tous les jours, les éditions du matin et celle du soir, il a décidé de ne plus acheter son quotidien « payant » pour s'offrir, pour 6 euros par mois, un forfait Mobile TV. Comme il passe beaucoup de temps dans les transports, il pourra désormais maintenir son attachement aux informations journalistiques tout en y associant la vidéo du « Journal du sport ».

A travers cet exemple, caricatural mais proche de la réalité, nous voyons comment l'approche du goût par ses effets consiste à retracer toutes les pratiques, les lieux, les moments, les supports et les dispositifs médiatiques au travers desquels un individu va réaliser son attachement à un Objet culturel, tel que les informations journalistiques. En ciblant les effets de cet attachement, on peut remonter à la diversité des préférences qui vont lier un individu à sa pratique. L'étude de ces préférences serait insignifiante s'il s'agissait de les définir autour de la valorisation sociale des différentes sources d’information. Ceci est d'autant plus évident que ces préférences, formulées à l’égard des contenus journalistiques, ne collent absolument pas à la haute idée que l'on peut se faire des goûts culturels les plus nobles. Pourtant, ces petites préférences, qui ponctuent le quotidien des utilisateurs, restent terriblement attachantes. Elles lient les acteurs à leurs pratiques et elles les lient à tout un répertoire d'objets. Lorsque nous parlerons de l'univers des goûts médiatiques, nous renverrons à cette multitude de préférences individualisées. Dans la continuité d’Antoine Hennion nous parlerons alors d'attachement :

« Arrive ici le mot « Attachement », un peu ésotérique, mais qui neutralise le côté

très hiérarchique du mot goût, qui fait un peu trop connaisseur, amateur avisé d'un bel objet. Quand quelqu'un fait du vélo le dimanche, ce n'est pas un goût. Nous pouvons y reconnaître tous les traits de l'attachement, une pratique, la construction avec d'autres, l'effort sur le corps. Il fallait trouver un mot qui décale un peu. Passion n'allait pas non plus, ce n'est qu'un des formats de l'attachement. »161

La notion d'attachement permet de détourner l'analyse du goût, de la valeur des objets et des contenus, pour cibler l'acte de goûter afin de repérer ce qui attache un individu à ces objets et à ces contenus. C'est sous cette perspective que nous observerons ce que l'attachement à notre objet fait faire : c'est en fonction de la force de leur attachement au genre journalistique que les individus vont fragmenter leurs pratiques d'informations en de multiples usages successifs, sur des scènes différentes, à l'aide de supports médiatiques différents. L'attachement au genre journalistique forme dès lors un observatoire pertinent pour saisir comment un individu produit « le répertoire des objets auxquels il tient » pour se tenir informé et comment il peut l'ouvrir aux usages des services mobiles multimédia.

« Le but était de sortir la sociologie du goût d'une conception critique devenue

hégémonique, pour restituer à la pratique amateur son espace propre. Le goût est une modalité pragmatique d'attachement au monde. Il est possible de l'analyser, selon cette conception pragmatique, comme une activité réflexive, produisant dans

le même geste les compétences d'un amateur et le répertoire des objets auxquels il tient. »162

En suivant cette orientation, nous nous proposons donc de décrire comment l'appropriation de la Mobile TV s'opère par le travail des attachements aux contenus médiatiques et, plus précisément, au genre journalistique. C'est ainsi que nous inscrirons le moment de l'appropriation dans la continuité des autres activités médiatiques, à travers les goûts qui lient les individus aux contenus et, par conséquent, aux nouveaux supports médiatiques qu'ils adoptent. Cette entrée permet de considérer que c'est également à travers ce travail des attachements que le design des services multimédia est éprouvé. Si la configuration des services renouvelle les habitudes télévisuelles, comme les études internationales le montrent (cf. chapitre 1), c'est avant tout parce que les utilisateurs se rendent disponibles à la captation des interfaces. Ils s'ouvrent à la découverte, en opportunistes, pour mieux éprouver leurs préférences.

Synthèse du chapitre 2

En prenant acte de l'interopérabilité, inscrite dans le design des services mobiles multimédia, et de son rôle dans la navigation et dans la sélection des contenus, nous avons jugé pertinent d'inscrire cette dimension technique des utilisations dans le cadre, plus sociologique, de cette étude d'usage (Chapitre 1).

Pour atteindre cet objectif, nous nous sommes appuyé sur la sociologie francophone des usages dans la mesure où elle intègre cette dimension technique dans l'étude de l'appropriation des TIC. Seulement, son armature théorique ne permet pas de faire de l'univers de goûts, développé autour des contenus médiatiques, une modalité d'appropriation. (Chapitre 2, I).

C'est pourquoi, nous nous sommes tourné vers la sociologie des publics et sa définition des genres télévisuels autour des propriétés des contenus et des dispositifs de diffusion (Chapitre 2, II, 1). Nous avons choisi de prendre comme observatoire la circulation d'un genre médiatique multi-support : le genre journalistique. Grâce à lui, nous pouvons saisir comment les téléphones mobiles viennent s'articuler, ou se substituer, aux usages des autres supports médiatiques mobilisés dans les pratiques d'information.

Seulement, il n'est ni possible, ni souhaitable, de définir un tel genre multi-support de manière détachée. Il est préférable de laisser les individus le définir en balisant ses frontières autour de leurs propres pratiques. Cette entrée nous a conduit à faire reposer notre étude d'usage sur l'armature minimale de la pragmatique du goût d'Antoine Hennion. (Chapitre 2, II, 2).

Cette orientation pragmatiste nous permet tout d'abord de réduire les ordres de la légitimité culturelle et le design des interfaces (Chapitre I) à de simples modalités d'appropriation. Et, elle nous permet de réaliser notre objectif en faisant des attachements aux contenus médiatiques une des modalités de l'appropriation des TIC. Dès lors, c'est en observant le travail des attachements au genre journalistique que nous nous proposons de saisir l'adoption des services mobiles multimédia (Chapitre 2, II, 2).

Chapitre 3. La performativité des attachements au genre

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