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L'ÉPREUVE DE L'APPROPRIATION DES SERVICES MOBILES MULTIMÉDIA

Chapitre 4 : L'appropriation des services multimédia par le travail des attachements aux genres médiatiques

III. L'appropriation de la Mobile TV comme épreuve traversée en opportuniste

1. Panorama des usages de la Mobile TV

a) L’audience observée de la Mobile TV

Afin de donner un aperçu général de ce que les utilisateurs font avec la Mobile TV, il est intéressant de commencer par traiter les informations recueillies à l’aide des questionnaires250. Nous avons évalué la fréquence selon laquelle chaque genre d'émission de télévision est regardé à l’aide de ce service. Pour faciliter la présentation des résultats, et pour aller dans le sens de notre propos général, nous avons distingué deux types de contenus : les programmes de divertissement et les programmes ayant trait, de près ou de loin, à l'actualité générale251 (se reporter aux deux figures ci-dessous).

Le traitement de ces données reste très problématique notamment parce que la fréquence des utilisations, rapportée ici par les utilisateurs, paraît bien plus importante que celle que nous avons pu observer à partir des enregistrements vidéo. Malgré cette limite, ces données permettent tout d’abord de corroborer un constat transversal à l’ensemble des études internationales252

. En effet, parmi les genres de programme référencés, les journaux télévisés sont les programmes les plus regardés, que ce soit en

249 De Certeau, 1980.

250 Comme cela a été dit (cf. Présentation de l’étude, p. 124), les données présentées concernent les 36 utilisateurs ayant accès à la Mobile TV (soit les 21 usagers de la première phase de cette étude associés aux 15 participants à la seconde phase)

251 Précisons que cette distinction n'a pas été effectuée lors les entretiens, nous l'avons réalisée au moment de l'analyse. De plus, si nous avions regroupé les contenus sportifs sous la thématique « News » de la VOD, il n’en va plus de même ici car les nombreux programmes sportifs de la Mobile TV, dont la chaîne Orange Foot, peuvent difficilement être rapprochés des actualités générales.

termes de nombre de téléspectateurs ou de fréquence : 28 personnes les regardent plusieurs fois par semaine. Même si elles ont amplifié leur utilisation, nous pouvons identifier le fait que la place que les news occupent dans leur consommation de la Mobile TV est centrale. Elle est bien plus importante que la place qu’elle occupe dans leur pratique télévisuelle domiciliaire.

Figure 14 : Fréquence d'écoute des programmes de divertissement

Si l'on précise l'audience de chaque journal télévisé (cf. la figure ci-dessus), on peut observer une nette préférence pour l'édition de TF1, notamment le « 13 heures » qui est regardé au bureau, ainsi que pour l'édition de France 2, notamment celle de 8 heures qui est diffusée pendant l’émission Télématin. De plus, on peut observer qu’un même utilisateur peut regarder différents JT d’un jour sur l’autre. Il apparaît également qu’il peut en visionner plusieurs au cours d’une même journée. Il peut par exemple regarder le JT de Télématin à 8h lors de son trajet aller, celui de TF1 pendant qu’il déjeune et le « 6 minutes » de M6 lors de son trajet retour. On notera au passage que 9 personnes regardent ce dernier régulièrement. Là encore, nous allons référer cet engouement à la convergence entre ces 6 minutes et la brièveté des créneaux d’utilisation. Et, de manière plus générale, si les utilisateurs reconnaissent regarder plusieurs éditions par jour, rien n’est dit sur la durée de cet usage qui peut très bien s’apparenter à un simple coup d’œil d’une à deux minutes.

Les programmes de divertissement tels que les séries, les talk show, les films, les rencontres sportives et les jeux télévisés sont secondaires par rapport la place qu’ils occupent dans la consommation domiciliaire. Ceci est d’autant plus évident avec les films. Parmi les limites d’une telle démarche, il convient d’insister sur le fait que la fréquence n’apprend rien sur la durée des utilisations. Comme nous allons le décrire, la réception des séries devient pertinente lors des créneaux d’utilisation les plus longs. C’est pourquoi, les utilisateurs privilégient plutôt les JT car la durée de leur déplacement, et les horaires auxquels ils se déplacent, convergent davantage avec la diffusion de ces programmes.

b) Les logiques d’utilisation : entre un principe de plaisir et des effets de

substitution

Parmi les logiques d’utilisation de la Mobile TV que nous avons pu observer, deux tendances se démarquent : soit les utilisateurs cherchent à distraire une situation en visionnant un programme auquel ils sont attachés, soit ils l’utilisent comme substitut à la télévision domiciliaire quand ils ne veulent pas manquer un événement qui leur tient à cœur.

La première tendance renvoie au fait que certaines situations ne sont pas toujours agréables à vivre. A force de manger seule chaque midi au restaurant, V. B., animatrice en

parfumerie, a tendance à s’ennuyer fermement. Lorsque J. R., une employée d’entreprise, mange seule dans son bureau, elle trouve souvent les minutes longues. Quant à J.J.S., antiquaire, il trouve parfois l’attente des clients beaucoup trop longue. En ce qui concerne J.S., elle a parfois du mal à trouver des occupations en soirée car son fils monopolise la télévision du salon, pour regarder du sport, et sa fille monopolise son ordinateur pour chatter avec ses copines. Alors, comme tous les autres, elle apprécie de passer quelques minutes à regarder la TV sur son mobile. Ces motivations renvoient toutes au vécu de situations spécifiques qui mérite d’être distrait par la réception de la Mobile TV. Et, elles renvoient au fait que cette distraction est convoquée quand les autres supports médiatiques sont inaccessibles ou indisponibles.

En effet, lors des situations de mobilité, la Mobile TV est utilisée quand les personnes n’ont pas pu récupérer un quotidien gratuit ou, ce qui est fréquent, quand elles l’ont déjà lu et qu’elles ont envie d’accéder à un autre type de contenu. Par exemple, chaque jour J.R. écoute la radio pendant son trajet en voiture, d’une vingtaine de minutes, pour rejoindre le métro. Ensuite, elle lit Métro et / ou 20 minutes dans le métro puis prolonge sa lecture au bureau quand elle a du temps devant elle. Pendant qu’elle mange seule entre midi et deux, elle navigue sur Internet et consulte au passage quelques sites de presse. Ensuite, elle se connecte au WAP où elle jette un œil aux news et au flash info. Dès lors, vers 13h elle a le sentiment d’avoir fait le tour de l’actualité du jour. Il peut arriver, si l’actualité est exceptionnelle, qu’elle regarde le JT de 13 heures de France 2 depuis son téléphone. Mais, en tendance générale, elle préfère occuper cette dernière demi-heure de temps libre en regardant des séries ou des comptes rendus d’émissions de télé réalité.

Au domicile, les usages de la Mobile TV sont fortement corrélés à la possibilité de pouvoir regarder la télévision. L’exemple de J.S. est particulièrement caractéristique. Elle vit seule avec ses deux enfants qui ont tendance à prendre leurs aises. Il est fréquent que son fils passe ses soirées dans le salon à regarder des émissions sportives ou des séries de sciences fiction. Comme J.S. n’apprécie pas particulièrement ces programmes, elle préfère « des émissions débats, des choses comme ça », elle ne peut pas profiter de sa télévision. Elle aimerait également passer plus de temps devant son ordinateur mais depuis que sa fille l’a installé dans sa chambre, elle y a rarement accès… Dès lors, J.S. est devenue une grande lectrice. Elle lit beaucoup de romans et un nombre considérable de magazines. Mais, lorsqu’elle n’a plus envie de lire, elle se tourne vers son téléphone mobile. Dans ces

moments là, la Mobile TV n’est pas qu’un simple substitut à la télévision du salon, elle lui donne un bon prétexte pour s’isoler dans sa chambre afin de se détendre :

J.S. : « J’ai trouvé que c’était… parce que j’estime que, justement, je prends pas

assez de détente donc, des fois, je… j’essaie de me donner des moments où personne ne peut m’embêter, je veux être tranquille. »

Ses usages ne sont pas stabilisés, elle suit une logique d’utilisation que nous avons qualifiée de « découverte » :

J.S. : « Je découvre un peu. J’ai regardé, pour l’instant, certaines chaînes

classiques, mais, là, je suis en train de… de me perfectionner à regarder d’autres chaînes, etc., donc euh… c’est la découverte. Pour l’instant, c’est pas mal, ça a l’air très bien, y a l’air d’avoir plein de chaînes à découvrir, mais j’ai pas encore tout découvert. »

Pour J.G., c’est différent. Il a bien une télévision dans sa chambre mais, à la différence de la télévision du salon, elle n’est pas reliée au câble. Dès lors, J.G. va utiliser son téléphone 3G pour regarder des programmes diffusés par une chaîne câblée quand la télévision du salon est occupée par un autre membre de la famille :

J. G. : « (…) même le soir, des fois, quand il est un peu tard, plutôt que d’allumer la télé, parce qu’il n’y a que la télé du salon qui est sur le câble, quand vous voulez regarder un programme, vous, qui n’intéresse que vous, les gens sont pas forcément d’accord et vous pouvez le regarder tranquillement sur votre téléphone. JF : Pour quel type de programme ?

J. G. : Par exemple, moi, je voulais regarder une émission sur Canal + et ma mère, par exemple, avec ma sœur voulaient regarder autre chose. Moi, je suis allé dans ma chambre la regarder sur le téléphone. »

Les logiques d’utilisation que nous venons de décrire relèvent donc de deux logiques :

- Un principe de plaisir : la Mobile TV est avant tout utilisée pendant des moments de temps libre qui vont être saisis pour se divertir, pour prendre un moment pour soi en regardant un programme télévisé. Ce mode d’appropriation est le plus courant car il se retrouve dans les usages occasionnels et réguliers. En effet, un usager peut décider de se tourner vers ce divertissement lors d’une situation très spécifique où il s’ennuie fermement. Il peut en revanche choisir de divertir de cette manière une situation quotidienne, comme ses déplacements dans les transports en commun. Il apparaît dès lors que ce mode d’appropriation commun à tous les usages n’en explique aucun en particulier. C’est du moins la critique que nous adressons aux travaux qui font de l’ennui la motivation première des utilisations. La recherche de plaisir pour distraire l’état

d’ennui forme bien une motivation mais elle peut très bien être transposée de cette pratique peu valorisée socialement aux pratiques les plus valorisées et les plus distinctives. De plus, la recherche du plaisir ne peut pas être réduite à la Mobile TV en tant que dispositif de diffusion. Si les usagers considéraient que ce service diffuse des contenus rébarbatifs, ils n’éprouveraient aucun plaisir à l’utiliser. C’est bien parce que ce service leur donne accès aux programmes auxquels ils sont attachés qu’il leur véhicule du de plaisir. C’est pourquoi nous décrirons, au fil des développements suivants, comment les individus hiérarchisent leurs « plaisirs médiatiques » en fonction de leurs préférences et du champ des possibles circonscrits par les situations vécues.

- Un principe de substitution : Ce service est souvent mobilisé comme un substitut qui vient combler l’indisponibilité du poste de télévision domiciliaire. Dans ce cas, cette démarche est très souvent orientée vers une finalité précise consistant à ne pas rater une émission. Cet art de faire est central pour comprendre les usages de la Mobile TV car il permet de comprendre pourquoi ce service est essentiellement utilisé au foyer. Nous ne l’analyserons pas en détail car il est très difficile de réaliser des observations ethnographiques au sein des domiciles. En effet, la présence de l’observateur en milieu de soirée devient très intrusive au moment où les différents membres de la famille se replient dans leur intimité. C’est pourtant ces moments de repli sur soi qu’il faudrait décrire pour comprendre l’appropriation de la Mobile TV. Comme ces observations sont difficiles à mettre en place, nous avons décidé de faire un focus sur les usages en situation de mobilité dans la mesure où leur observation dans l’espace public est bien moins intrusive. Nous décrirons dès lors en détail comment la réception de ce service vient se substituer aux usages des supports médiatiques consultés en situation de mobilité.

Nous venons de présenter deux logiques d’appropriation relativement superficielles au regard de celles qui seront mises en lumière à l’aide des enregistrements vidéo. Il est pourtant nécessaire de les relever pour rappeler que notre démarche s’inscrit dans la continuité des observations réalisées par les études sur les Human Computer Interaction. En appréhendant les situations d’usage comme des contextes qui accueillent le transfert de la pratique télévisuelle, des supports fixes à ces dispositifs mobiles, il apparaît clairement comment l’utilisateur priorise la recherche de plaisir et comment cette priorité le conduit à substituer de nouveaux usages à ces anciennes habitudes. Ce constat, tout aussi réel que superficiel, mérite d’être reproduit ici. Nous allons maintenant

l’approfondir en montrant comment ce plaisir est contrarié par les situations d’usage qui rendent la réception des news plus pertinente que celle des contenus les plus divertissants.

2. L’appropriation de la Mobile TV par l’attachement opportuniste

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