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L'ÉPREUVE DE L'APPROPRIATION DES SERVICES MOBILES MULTIMÉDIA

Chapitre 4 : L'appropriation des services multimédia par le travail des attachements aux genres médiatiques

V. Conclusion du chapitre 4

Lors de la première phase de cette étude, les entretiens nous ont permis de dégager deux moments clés pour saisir l’appropriation des services mobiles multimédia :

1. Il apparaît tout d’abord à quel point il est problématique de construire une étude d’usage à partir de la désignation technique et commerciale d’un service. En effet, les utilisateurs n’identifient pas, et ne restituent pas, leurs utilisations des services multimédia à travers leurs noms : WAP, VOD ou Mobile TV. Ils les catégorisent autour des contenus auxquels ces services donnent accès. Comme la rubrique « News » regroupe à la fois des dépêches écrites du WAP ainsi que les flashs infos, les reportages, les bulletins sportifs et la météo de la VOD, les utilisateurs assimilent ces deux formats de contenus et ces deux services sous le fait de s’informer. Autrement dit, ils se les approprient comme de nouveaux supports de leurs pratiques d’information. Dès lors, cette étude d’usage ne peut pas partir de la désignation de ces services sous peine de segmenter une modalité d’appropriation transversale. Il convient, dans le prolongement d’une pragmatique du goût273, de retranscrire comment les utilisateurs catégorisent un nouveau service par le travail de leur attachement à des genres médiatiques, comme nous l’avons réalisé ici avec le genre journalistique.

Cette question de la catégorisation ne renvoie pas à un simple contournement des prescriptions d’usages274, telles qu’elles sont médiées par les offres commerciales et la configuration des services. Elle pose les jalons de l’étude de l’appropriation de ces

273

Hennion, 2004 A, 2004 B.

services en les inscrivant d’emblée dans le prolongement des autres pratiques médiatiques. C’est ainsi que nous avons appréhendé l’appropriation de la Mobile TV comme un nouveau moment de la pratique télévisuelle.

Nous avons dès lors mis en évidence la performativité des attachements aux genres médiatiques. Lorsque des individus font face à des dispositifs technologiques multifonctionnels, il est intéressant de relever comment ils en catégorisent les utilisations à partir des attachements qu’ils leur permettent de réaliser. Celui qui se sert de son téléphone pour écouter de la musique dit que son téléphone fait lecteur MP3. Celui qui s’en sert pour regarder des programmes télévisés dit que son téléphone fait télévision. D’autres diront qu’il fait radio, appareil photo, etc. Dès lors, il n’est plus pertinent de procéder comme la sociologie des usages le faisait jusqu’à maintenant en répertoriant les usages qui sont fait d’un tel support. Il est dorénavant nécessaire de saisir comment un usager va inscrire ce dispositif dans la gamme de ceux qu’ils mobilisent pour réaliser un attachement culturel ou médiatique.

Cette lecture permet de saisir les « significations d'usages »275 qu’il va assigner à ce dispositif. Elles renvoient habituellement aux « représentations et aux valeurs qui s'investissent dans l'usage d'une technique ou d'un objet »276. Par exemple, « Les multiples significations exprimées à propos du seul usage de la télévision sont riches et très diversifiées : outil contre la solitude, repos, détente, divertissement, culture et information, recherche de sociabilité, plaisir du jeu, interactions familiales. Elles ne se ramènent surtout pas au seul passe-temps »277. Il apparaît clairement à quel point la sociologie des usages évacue le rôle des préférences médiatiques dans l’attribution des significations d’usage. Cette question devient centrale avec la Mobile TV car ces préférences jouent un rôle central. Les utilisateurs n’investissent pas uniquement des représentations ou des valeurs dans cet écran de poche. Ils y investissent des centres d’intérêt. Il leur permet de regarder tel ou tel contenu. Le téléphone multimédia joue aussi la fonction de tel ou tel support. On voit donc qu’il n’est plus possible de suivre une sociologie qui a été développée autour du minitel et d’Internet. Ces nouveaux médias ont fait passer les préoccupations techniques au premier plan. Ils ont incité à laisser de côté les contenus. Comme ces supports se démarquaient des « anciens » médias, en étant des technologies de communication plutôt que d’information, ils ont invité les sociologues à

275 Chambat, 1994, p.262.

276

Ibid.

désinvestir la problématique du transfert des préférences médiatiques. Avec les écrans de télévision de poche, cette problématique redevient centrale. Elle prime sur les préoccupations techniques dans la mesure où les modalités de l’appropriation sont moins orientées par les prescriptions techniques d’usage qu’elles sont induites par le travail des attachements aux genres médiatiques.

2. Il apparaît ensuite à quel point il est nécessaire de référer l’appropriation des services multimédia aux situations d’usage. En effet, la pratique télévisuelle n’est pas tant renouvelée par la Mobile TV que par les situations où elle peut désormais être réalisée. Puisque ce service diffuse les mêmes chaînes que les télévisions domiciliaires, les utilisateurs renvoient la nouveauté de leur pratique aux nouvelles circonstances pratiques où ils peuvent regarder leurs programmes préférés. Que ce soit au domicile, sur le lieu de travail ou en situation de mobilité, les créneaux d’utilisation sont brefs. Les utilisateurs doivent alors sélectionner leurs préférences télévisuelles qui sont conciliables avec cette brièveté. C’est pourquoi ils se tournent majoritairement vers les JT et les chaînes d’information en continu. Ces contenus ne sont pas produits autour d’une structure d’intrigue, leur réception peut être initiée ou interrompue à tout moment sans que cela ne soit problématique. De plus, comme le zapping est difficile sur la Mobile TV et comme le chargement des programmes est long, les usagers se tournent vers ces contenus clairement identifiables en évitant ainsi de se laisser disperser dans des zappings hasardeux.

Cette préférence pour les informations journalistiques peut être qualifiée d’opportuniste. Ces contenus sont les plus opportuns au regard de leurs préférences télévisuelles, de la durée de leur créneau d’utilisation et des contraintes du zapping. Nous avons mis en évidence trois formes de propension qui permettent de caractériser le format d’attachement opportunisme. La première est liée aux formes de multi-activité et aux types d’interaction qui rendent le déploiement des usages opportun. La deuxième renvoie au degré d’opportunité du support qui est fonction de sa disponibilité dans la situation vécue et de l’accessibilité du contenu qu’il véhicule. Et la dernière renvoie au degré d’opportunité du support qui est fonction de son attractivité et de l’engagement cognitif que sa réception sollicite. Ces trois formes de propensions, identifiées à l’aide des entretiens, vont maintenant nous servir de base pour analyser les enregistrements vidéo des usages de la Mobile TV en situation de mobilité.

PARTIE III

L'APPROPRIATION DES SERVICES MULTIMÉDIA

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