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Réinscrire la relation aux contenus multimédia dans la dynamique des goûts médiatiques des goûts médiatiques

DANS UNE PRAGMATIQUE DE L'USAGE

Chapitre 1. Inscrire les usages des services multimédia dans la constellation des goûts médiatiques

II. Réinscrire les utilisations fonctionnelles dans la dynamique des goûts médiatiques

2. Réinscrire la relation aux contenus multimédia dans la dynamique des goûts médiatiques des goûts médiatiques

Nous allons maintenant isoler les variables clés à partir desquelles les études sur les HCI abordent la relation aux contenus multimédia. Il s'agit d'insister sur l'intérêt de resituer leur consommation dans la diversité des modes de consommation médiatiques. Cette entrée prend tout son sens dans une démarche sociologique soucieuse de tisser des liens entre les appropriations successives des innovations technologiques et des grappes de services.

a) La petite taille des écrans et les logiques de réception individualisées

Prendre acte d'une évidence peut conduire à des surinterprétations imprégnées d'une idéologie technophile. En effet, il tombe sous le sens que la petite taille des écrans des téléphones mobiles contraint la réception des programmes télévisuels. Elle rend d'une part la réception inconfortable72 dans la mesure où il peut être désagréable de froncer les sourcils pour décrypter ce qui se joue à l'écran. Cette contrainte explique en partie pourquoi les utilisateurs développent des usages très courts. Et, d'autre part, elle rend problématique la co-réception. En effet, s’il est difficile de regarder seul son petit écran, l'entreprise devient encore plus inconfortable si elle est réalisée à plusieurs.

Pourtant, certains chercheurs ont montré que cette contrainte technique de la taille des écrans constitue au contraire une ressource interactionnelle. Cette observation a pu être faite autour de la réception des émissions de karaoké73. En effet, si l'essentiel dans la réception de la Mobile TV n'est pas ce qui se déroule à l'écran mais les interactions que ce dispositif permet de créer, alors la petite taille des écrans devient une ressource qui rapproche les co-récepteurs dans la chaleur exiguë de sa zone de réception. On peut lire entre les lignes de cette étude le problème majeur sur lequel butent les études sur les HCI. Même un paramètre aussi simple que la taille de l’écran peut donner lieu à des appropriations différenciées. La seule arme qui peut alors être mobilisée pour les expliquer est formée par ce que l’on pourrait appeler, dans la lignée de ces travaux, des spécificités culturelles. Par exemple, comme les karaokés occupent une place de prédilection dans les soirées nocturnes des jeunes asiatiques, il existe de forte probabilité

72

Knoche, Mc Carthy, Sasse, 2005.

pour qu'ils s'approprient leur téléphone multimédia à cette fin. On peut donc déduire de ce contre exemple que la taille de l’écran n’est pas toujours une contrainte. Elle peut former une ressource interactionnelle si elle converge avec des spécificités culturelles.

Si cette spécificité culturelle peut prêter à sourire, il en existe d'autres qui donnent une toute autre ampleur à ce schéma explicatif. Par exemple, la faible diffusion des services mobiles multimédia aux Etats-Unis s'explique en partie par le fait que, dans ce pays, les personnes se déplacent majoritairement en voiture74. Dès lors, la Mobile TV ne leur est d’aucune utilité75, notamment parce que les voitures sont de plus en plus augmentées d'écrans L.C.D. A l'inverse, la forte diffusion de ces services, en Corée du Sud ou au Japon, peut s'expliquer par le fait que les habitants de ces pays empruntent quotidiennement les transports en commun ; ces transports étant équipés d'antennes relais qui donnent un accès gratuit et illimité à la Mobile TV76. Il est donc particulièrement pertinent de référer les usages de ces services aux spécificités culturelles77 d'un pays (au sens où ces études entendent le terme culturel), comme cela a été fait sur les usages différenciés du WAP entre la Corée du sud et le Japon78. Seulement, ces explications peuvent avoir des incidences néfastes. Dans l’exemple que nous venons de prendre, la dérive est saillante. La tentation consiste à rabattre la dimension culturelle sur la singularité des infrastructures techniques d’un pays, telles que ses réseaux de transports et ses réseaux de télécommunication79. A travers ce glissement, ces études « sociologisent » leur démarche en galvaudant la notion de culture. Elles rabattent l’analyse sur les questions techniques et évacuent le rôle des contenus médiatiques qui sont pourtant au cœur des spécificités culturelles en jeux dans l’appropriation des services innovants.

Si nous revenons maintenant à la taille de l’écran, nous pouvons observer une dérive bien plus insidieuse. Comme les écrans des téléphones multimédia rendent problématique la co-réception, les usages de la Mobile TV se font en solitaire. La dérive consiste alors à en déduire que les modes de consommation télévisuels développés depuis ces supports sont totalement individualisés, coupés des goûts médiatiques et de leur bain

74 Chipchase, Yanqing, Jung Y, 2007.

75 Notons au passage que les prévisions de cette étude sont totalement contredites par les faits puisqu’on recense, début 2009, plus de 12 millions d’utilisateurs de la Mobile TV aux Etats-Unis. Et, « 62 % des interrogés affirment regarder, ou vouloir regarder, la télévision mobile pendant leurs déplacements ». http://www.servicesmobiles.fr/services_mobiles/mobile_tv/index.html

76 Ibid.

77 Blom, Chipchase, Lehikoinen, 2005.

78

Lee, Lee, Kim, Kim, 2002.

social et culturel. Cette dérive peut se lire en filigrane de la grande majorité des études internationales. Elle se retrouve également dans la manière dont les experts français ont baptisé la Mobile TV dans leurs différents rapports : la Télévision Mobile Personnelle. Le terme « personnelle » est jugé pertinent pour caractériser ce dispositif médiatique dans la mesure où le téléphone mobile donne lieu à une appropriation individualisée. A la différence des dispositifs médiatiques domiciliaires (les télévisions, les ordinateurs, les postes de radio…), il appartient à un usager qui en détient les droits exclusifs d'utilisations. L’appropriation de ce support se fait donc dans la solitude. Elle est désolidarisée du collectif familial et de ces contraintes normatives. L’utilisateur peut regarder ce qu’il veut, quand il veut, sans avoir à rendre de compte sur sa consommation.

C'est ainsi que les études internationales s'évertuent à décrire comment les mobinautes contournent, à l'aide de la Mobile TV, les contraintes de la programmation télévisuelle en développant une consommation ajustée à leurs attentes. Comme ils ne sont plus contraints de partager le choix des programmes avec des co-récepteurs et comme ils sont hors du champ de vision du contrôle parental ou conjugal, ces usagers peuvent développer des usages en phase avec leurs goûts « réels » et investir leurs programmes préférés. Ceci est tout à fait vrai, la Mobile TV permet d'individualiser la consommation télévisuelle. Mais nous irons dans ce sens avec prudence. Il ne faut pas pour autant en déduire que l'adoption de ce dispositif révolutionne les préférences télévisuelles. Si les usagers revisitent leurs préférences, ils ne les développent pas ex nihilo sans subir l'influence de leur entourage, tant celle de la sphère familiale que celle des sphères amicales ou professionnelles.

En d'autres termes, ces travaux insistent avec raison sur le fait que les utilisateurs veulent du changement. Ils souhaitent que la Mobile TV leur propose de nouveaux contenus, en leur donnant notamment accès aux chaînes télévisées payantes qu'ils ne peuvent pas regarder sur leur télévision fixe. Ils souhaitent également que le service de VOD soit développé, en parallèle de la Mobile TV, car il leur permet de regarder ce dont ils ont envie, au moment où ils en ont envie, dans des créneaux d'usage toujours plus inédits. Mais en insistant sur la manière dont la Mobile TV renouvelle la pratique télévisuelle, elles évacuent l'essentiel : ils veulent avant tout regarder dans des circonstances inédites les programmes auxquels ils sont les plus attachés. C'est avant tout sur cet aspect que la Mobile TV individualise la consommation car elle augmente le

temps passé devant le petit écran et permet à l’utilisateur de tomber nez à nez avec des programmes jusque-là inaccessibles dans certains créneaux horaires.

Là encore ce détail peut paraître dérisoire alors qu'il a de lourdes conséquences. Il alimente une forme d'idéologie technophile consistant à dire que la Mobile TV révolutionne les goûts, en les désocialisant pour les rendre plus aristocratiques, plus personnifiés, là où elle se contente avant tout d'individualiser les conditions d'accès aux contenus, de rabattre les grilles horaires de la programmation sur les attentes individuelles. Et ce détail alimente l'idée que la posture de recherche à adopter consiste à observer in situ ce qui change dans cette pratique télévisuelle, sans jamais se donner les moyens méthodologiques nécessaires pour observer le transfert des préférences télévisuelles vers ces supports mobiles. Autrement dit, ces études observent un changement sans jamais se donner les moyens pour comprendre ce qui change réellement.

C'est ainsi que ces photographies d'usage montrent comment ce service crée de nouveaux goûts télévisuels en occultant constamment le fait qu'il n'est le plus souvent que le réceptacle de préférences affirmées ; réceptacle dont l'accès est en revanche profondément individualisé, notamment en raison de la miniaturisation des téléphones et de leurs écrans. C'est pourquoi, à la différence de cette grille de lecture implicite des études sur les HCI, nous prenons le parti d'observer l'appropriation de la Mobile TV dans la continuité de la pratique télévisuelle.

Il apparaît clairement à quel point cette entreprise nous installe dans une position paradoxale. Alors que nous cherchons à libérer les goûts médiatiques des griffes de la sociologie de la culture, en cherchant à les désolidariser d'un modèle de la distinction et de la reproduction sociale pour insister sur leur individualisation par le travail des fans, le médiacentrisme « asocial » des études sur les HCI nous oblige à situer le transfert des goûts médiatiques au cœur de notre démarche. C'est pourquoi nous convoquons, à ce stade de notre étude, des notions renvoyant à la sociologie de la culture : les habitudes, les pratiques, etc.

b) La Mobile TV et le décloisonnement de la pratique télévisuelle de la sphère

domiciliaire

Cette lecture des modes de consommation des services mobiles multimédia ne prend pas uniquement acte du format contraignant des écrans des téléphones mobiles.

Comme nous venons de le décrire, elles s'appuient également sur le fait que ces dispositifs de communication se distinguent des autres TIC par leur possession et leur appropriation individualisées80. Ils donnent ainsi la possibilité aux utilisateurs de maîtriser seuls leur consommation. Ce potentiel est amplifié par le fait que ces dispositifs mobiles peuvent être utilisés en dehors de la sphère domestique qui forme le « contexte d'écoute »81 « naturel » des programmes télévisés. Ainsi, le choix de programmes télévisés est désolidarisé des relations familiales82 et des activités communicationnelles entre les membres du foyer83. Ces interactions autour de la programmation télévisuelle, quant interaction il y a, conduisent certains membres du foyer à mettre en avant les préférences télévisuelles au détriment de celles des autres. Ceux, dont la parole a le moins de poids dans les délibérations collectives84, sont alors contraints de rester assis devant un contenu moins intéressant que celui qu'ils souhaiteraient regarder. En ce sens, les téléphones mobiles85 individualisent l’accès à la consommation télévisuelle en permettant aux utilisateurs, notamment aux plus jeunes, de développer des usages davantage en phase avec leurs goûts.

Dans le cadre de cette étude, il va s'agir de décrire et d'exemplifier comment la Mobile TV favorise cette convergence entre les attentes de consommation et la consommation télévisuelle effective. Mais là encore, il convient d'insister sur un aspect qui va nous conduire à distinguer notre approche des travaux sur les HCI. Pour amorcer cette distinction, partons d'une étude86 sur les usages de la Mobile TV à Tokyo.

Elle montre que ce service est principalement utilisé dans les domiciles. Partant de ce constat, une question se pose d'elle-même : pourquoi les usagers utilisent ce dispositif dans un environnement saturé en supports médiatiques alors qu'il a justement été produit pour décloisonner la consommation télévisuelle des domiciles ? La réponse apportée à cette question est la suivante : les usages sont majoritairement développés dans les foyers, ces théâtres d'une grande variété de pratiques médiatiques, parce que la Mobile TV

80 Gonord, Menrath, 2005.

81

Morley, 1986.

82 Ibid.; Proulx, Laberge, 1995.

83 Morley, 1986.

84Pharabod, 2004A, 2004B.

85

Cet accès individualisé aux chaînes télévisées a d'ailleurs conduit les pouvoirs publics, le 24 septembre 2007, lors de la rédaction de l’arrêté technique retenant la norme DVB-H pour diffuser des programmes télévisés sur le mobile, à rebaptiser la Mobile TV (ou TV Mobile) : la Télévision Mobile Personnelle (TMP).

86

Chipchase, Yanqing, Jung (2007). Voir également le blog de Jan Chipchase : http://www.janchipchase.com/mobiletv

permet de développer des usages alternatifs, plus intimes, constituant une expérience personnelle. Pourquoi cette expérience est-elle jugée plus intime ? Parce que la petite taille des écrans et le port des écouteurs permet aux utilisateurs de s’isoler, de protéger leur réception des regards indiscrets et des oreilles un peu trop curieuses. Soit. Mais pourquoi aller jusqu'à dire qu'il s'agit d'usages alternatifs, plus intimes, qui rendent l'expérience télévisuelle plus personnelle ?

Rentrons dans les extrêmes pour imaginer en quoi cette expérience pourrait-elle être plus personnelle ? Quels types de contenus sont susceptibles de faire perdre la face au récepteur si un curieux vient transgresser l’intimité de sa réception ? Serait-ce les contenus érotiques ? Mais pour pouvoir visualiser des pin-up sur un téléphone mobile, il est nécessaire de souscrire à un forfait qui leur est dédié ou de payer à l'acte le droit d'accès aux vidéos érotiques. Autrement dit, il est nécessaire de laisser des traces sur les factures téléphoniques qui ne font que déplacer, dans le temps, la question du contrôle parental (ou conjugal). En revanche, depuis la diffusion de la technologie Bluetooth87 qui

permet aux mobinautes de partager des fichiers multimédia, il est possible de consulter dans les cours de récréation des contenus érotiques ou violents téléchargés sur les plateformes d'échange de vidéos sur Internet. Si la réception de tels contenus peut faire des téléphones multimédia des supports médiatiques plus intimes, il est hasardeux de chercher à généraliser cette tendance en avançant qu'elle témoigne d'une individualisation de la pratique télévisuelle.

Comme nous le montrerons par la suite, ce n'est pas le cloisonnement de la réception, lié à la taille des écrans et au port des écouteurs, qui rend la réception plus intime. Il s'agit plutôt du fait que tous les adolescents n'ont pas de poste de télévision dans leur chambre. Dans ce cas là, il est vrai que la réception sur mobile est plus intime puisqu'ils peuvent regarder dans leur chambre des programmes dont la vacuité ne saurait franchir le filtre du contrôle parental. Mais là encore, il paraît plus réaliste de ne pas amplifier un tel phénomène, de ne pas en faire une expérience télévisuelle unique, car la délibération familiale autour des choix des programmes n'est peut-être pas si préjudiciable pour les plus jeunes dans la mesure où leurs goûts sont également pris en considération. Et, plus généralement, les programmes que les plus jeunes regardent sur la Mobile TV,

87 Bluetooth est une technologie radio, courte distance, destinée à simplifier les connexions entre les appareils électroniques. Elle permet de transférer des contenus entre les téléphones mobiles : des photos, des vidéos, de la musique, des sonneries, des fonds d'écran…

sans parler des plus âgés, ne sont peut-être pas si différents de ceux qu'ils regardent habituellement sur la télévision du salon.

Nous souhaitons donc distinguer notre approche des travaux antérieurs en ne nous contentant pas de faire une photographie des usages des services multimédia 3G. Se focaliser sur le temps court de l'adoption peut conduire à amplifier le renouvellement des goûts télévisuels. Il nous paraît plus pertinent de tenir compte de l'évolution des trajectoires d'usages dans le but de montrer comment les goûts télévisuels sont transférés d'un support médiatique à l'autre et comment ils sont renouvelés au cours de ce transfert. Le problème qui se pose à nous consiste à trouver un observatoire viable qui permet d'observer ce transfert et ce renouvellement des goûts médiatiques.

3. Réinscrire les paramètres contextuels des utilisations dans la

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