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Recomposer l’organisation séquentielle des activités médiatiques dans une mobilité augmentée

environnement médiatique concurrentiel

II. Appréhender les activités de réception et de déplacement comme une forme de multi-activité

2. Recomposer l’organisation séquentielle des activités médiatiques dans une mobilité augmentée

Dès lors, cette lecture située de l’appropriation de la Mobile TV ne se limite pas, comme le font la plupart des études sur les Human-Computer Interaction, à relever les contextes au sein desquels la Mobile TV est regardée pour en déduire, a posteriori, les traits contextuels qui rendent sa réception pertinente213: le temps mort des transports, l’ennui, la présence anxiogène des co-présents, etc. En survolant le concret, ces approches réduisent les situations à des cases vides qui accueillent de manière indifférenciée des motivations d’usage. Elles font notamment des déplacements des cases vides des emplois du temps, des interstices temporels que les utilisateurs traversent en aveugle sans se projeter vers d’autres finalités que celle d’échapper à l’ennui, que ce soit à l’aide de la Mobile TV ou de n’importe quel autre subterfuge. C’est sur cette conception de la mobilité, caractéristique du paradigme du déplacement, qu’il est possible de faire de l’ennui la motivation première des usages de la Mobile TV214. Si l’on conçoit maintenant le déplacement d’un point de vue pragmatique, comme une activité215 prenant la forme d’un cours d’actions, ponctué de tâches et de « regards dirigés »216, il apparaît alors à quel point la référence à l’ennui nie les objectifs visés par les utilisateurs. A travers l’ennui, ces lectures ne se contentent pas de voiler le travail des acteurs pour se donner

212

Sudnow, 1972.

213 Se référer à la première étude sur les HCI, qui aborde les utilisations du design d’un prototype de Mobile TV (Södergard, 2003), dans la mesure où elle a fortement balisé le champ des travaux ultérieurs.

214 Södergard, 2003.

215

Urry, 2000 ; Scheller, Urry, 2006.

l’apparence de l’inactivité217 et de l’ « inattention civile »218, elles désolidarisent les logiques d’usage des situations219 et masquent leur production mutuelle.

C’est pourquoi, nous allons suivre le paradigme des nouvelles mobilités220 en considérant le déplacement comme une activité. Il va s’agir de décrire comment la conduite de cette activité s’articule avec la conduite des activités médiatiques. L’objectif est double.

Il consiste tout d’abord à montrer comment les ressources exploitées, et les contraintes contournées, pour conduire l’activité de déplacements vont interférer sur la réception télévisuelle réalisée à partir des téléphones multimédia. C’est bien à travers l’attention déployée pour gérer la mobilité, à travers les « regards dirigés » 221 sur les repères (le nom des stations) et les indices de lieux, que l’horizon temporel de l’activité de réception va être balisé. C’est du moins ce que nous décrirons (cf. chapitre 5, p. 197).

Il consiste ensuite à décrire comment la conduite des déplacements va venir s’encastrer, rétroactivement, autour d’une ressource/contrainte propre à l’activité médiatique : la disponibilité du réseau téléphonique. En cela, nous prolongerons, au sein du paradigme des nouvelles mobilités, la perspective d’une mobilité augmentée par les usages des TIC222 : l’orientation du déplacement n’est plus seulement produite autour des deux destinations à relier, soit autour du calcul stratégique du trajet le plus performant, elle est aussi coproduite par les objectifs visés de l’activité médiatique (faire un détour pour recueillir un des objets virtuels du jeu Mogi223 ou opter pour un trajet en bus, moins rapide que le métro, pour pouvoir se connecter à la Mobile TV).

En prenant comme observatoire la conduite conjointe de ces deux activités, notre objectif consiste dès lors à repérer comment les problèmes de connexion émergent aux cours des situations de mobilité et contraignent les usagers à déployer des tactiques qui vont modeler leur appropriation de la Mobile TV. C’est bien autour de la connexion aux réseaux téléphoniques qu’ils vont peu à peu identifier des zones où il leur sera possible de regarder leurs programmes favoris. Ils vont donc s’approprier des « espaces » 224, comme

217 Sacks, 1992.

218 Goffman, 1973.

219

O'Hara, Mitchell, Vorbau, 2007.

220 Urry, 2000 ; Scheller, Urry, 2006.

221 Sudnow, 1972. Notion extraite de la traduction française : Thibaud, 2002, p. 76.

222 Licoppe, Inada, 2005.

223

Ibid., p. 139.

des « lieux pratiqués »225, en délimitant des « places »226 dans l’espace physique des villes (« space »227) autour des opportunités/contraintes d’utilisation des TIC, au premier rang desquelles nous situerons la Mobile TV. Nous allons donc montrer comment cette médiation technique attache les usagers aux programmes télévisés en les incitant, sur le modèle des technologies de représentation228 (les GPS), à se réapproprier et à requalifier leurs espaces vécus. C’est pourquoi, nous défendons l’hypothèse selon laquelle l’appropriation de ces téléviseurs de poche ne saurait être dissociée de l’appropriation continue de ces « places » et, par conséquent, de l’activité de déplacement, tant elles s’encastrent l’une dans l’autre dans des formes de multi-activité229 et s’hybrident dans la définition des situations.

225

Ibid.

226 Harrison, Dourish, 1996 ; Dourish, 2006. Les auteurs reprennent les travaux de De Certeau en recentrant ce processus d’appropriation des espaces sur le rôle joué par les TIC. C’est pourquoi, nous prolongeons ici leur démarche en convoquant la notion de « places ». Nous démarquons cependant notre approche en montrant comment cette appropriation des espaces, par les usages des dispositifs technologiques, n’est pas tant à référer aux TIC proprement dites qu’à la disponibilité des réseaux qui en conditionnent l’usage, comme c’est le cas avec les téléphones mobiles.

227 Ibid.

228

Ibid.

Synthèse des deux principaux axes de la problématique générale

Notre démarche est structurée autour de deux registres de questionnement complémentaires auxquels il va s'agir d'apporter des éléments de réponse à travers deux études et deux dispositifs méthodologiques.

1. La problématisation de l'appropriation des services mobiles multimédia par le

travail des attachements aux genres médiatiques.

Nous partons d'un usager faisant face à un support médiatique multifonctionnel qui lui ouvre une large palette d'activités et qui lui donne accès à une grande diversité de contenus. Ce champ des possibles pose la question des préférences des utilisateurs dans la sélection des fonctions ou des types de contenus. Pourquoi vont-ils choisir de consulter, de visionner ou d'écouter un contenu plutôt qu'un autre ? Qu'est-ce qui les attache à ces contenus ? Qu'est-ce qui les attache plus particulièrement aux news ? Qu'est-ce qui les attache à ce support médiatique ? Quels plaisirs en retirent-ils ?

Nous défendons donc l’hypothèse selon laquelle l’appropriation des services mobiles multimédia est réalisée à travers le travail des attachements aux genres médiatiques. En prenant acte de la diversification de l'offre médiatique, à la fois des supports et des genres, nous considérons que le format d'attachement opportuniste au genre journalistique forme un observatoire, transversal aux différents supports médiatiques, permettant d'analyser comment les pratiques médiatiques sont remodelées autour des ces enjeux concurrentiels (cf. Saisir l’attachement au genre journalistique dans un

environnement médiatique concurrentiel, p. 75).

C'est autour de ce premier registre de questionnement que nous allons définir la grille d'entretien (cf. Présentation du protocole d'enquête, p. 103).

2. La problématisation de l'activité de réception inscrite dans des formes de

multi-activité.

L'activité de réception des supports d'information s'inscrit couramment dans des formes d'activités multiples gérées simultanément, notamment en situation de mobilité (cf.

Inscrire l’activité de réception dans le faisceau des activités sociales, p. 87). La prise en

d'attachement opportuniste aux news, qui tente de faire converger ces activités vers une même finalité.

En prenant les déplacements comme observatoire (cf. Les déplacements comme

observatoire de l’appropriation de la Mobile TV, p. 91), nous souhaitons observer

comment les problèmes liés à la disponibilité des réseaux téléphoniques, donnant accès à la Mobile TV, influent sur le déroulement des usages et sur la manière de se déplacer. Dans quelle mesure les usagers se réapproprient et requalifient les « lieux pratiqués » en tentant de se connecter à la Mobile TV au cours de leur trajet ? Comment la réception de la Mobile TV affecte-t-elle leur participation aux échanges proxémiques de civilité ? Nous défendons ainsi l’hypothèse selon laquelle la réception télévisuelle ne peut pas être appréhendée indépendamment des activités sociales qui la bordent. En ciblant l’activité de déplacement, nous souhaitons montrer comment l’appropriation de ce service s’imbrique dans l’appropriation continue de « lieux pratiqués » au cours du déplacement car les activités de réception et de déplacement s’encastrent l’une dans l’autre dans une forme de multi-activité230 et s’hybrident dans la définition des situations de mobilité (cf.

Recomposer l’organisation séquentielle des activités médiatiques dans une mobilité augmentée, p. 93).

C'est autour de ce deuxième registre de questionnement que nous allons définir la grille d'analyse des enregistrements vidéo, effectués à l'aide de lunettes caméra, en recomposant la séquentialisation de ces formes d'activités multiples où les activités de réception viennent s'encastrer dans la conduite des déplacements (cf. Vers une approche

pragmatique des activités médiatiques prises dans des formes de multi-activité, p. 185).

PARTIE II

L'ÉPREUVE DE L'APPROPRIATION

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