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Réinscrire les paramètres contextuels des utilisations dans la dynamique des goûts médiatiques

DANS UNE PRAGMATIQUE DE L'USAGE

Chapitre 1. Inscrire les usages des services multimédia dans la constellation des goûts médiatiques

II. Réinscrire les utilisations fonctionnelles dans la dynamique des goûts médiatiques

3. Réinscrire les paramètres contextuels des utilisations dans la dynamique des goûts médiatiques

Si les premières études se contentaient d'observer la relation entre les utilisateurs et les interfaces des services multimédia, une deuxième vague de recherches est venue élargir cette sphère de l'appropriation en l'ouvrant aux pratiques sociales88 au sein desquelles la relation homme-machine vient s'encastrer.

« Our study is based on the research tradition of everyday reasoning, which

examines and analyzes consumer choices and actions as routinized habits, practices and usage situations. If such meaningful situations can be identified, it will facilitate the development of new service concepts and relevant user applications. »89

La prise en compte des contextes d'usage devient pertinente pour ces études dans la mesure où ils co-orientent les logiques d'utilisation des prototypes et interfèrent sur les choix de services et de contenus. Il s'agit alors de montrer comment les modalités d'usages s'articulent avec les lieux d'utilisations : les lieux privés, les lieux publiques, les transports individuels, les transports en commun, etc. L'objectif de ces observations étant de décrire comment la relation aux contenus télévisuels est renouvelée lorsqu'elle est décloisonnée de la sphère domestique et des postes de télévision domiciliaires.

88 Reckwitz, 2002. Cette inscription de l'utilisabilité dans les pratiques sociales participe plus généralement à la tendance que certains qualifient de Post-Modern Usability (Lund, 2006).

Cette perspective de recherche a été développée pour expliquer une série de constats : la réception de la Mobile TV90 se déroule dans des lieux inhabituels tels que les bureaux, les transports en commun ou les voitures ; elle s'inscrit dans des interactions spécifiques : entre collègues ou entre passagers ; elle modifie les formes d'écoute en incitant les utilisateurs à utiliser des écouteurs ; elle peut être regardée en marchant ce qui pousse les usagers à accorder plus d'importance aux sons qu'aux images ; elle renouvelle le rapport aux contenus puisque les contraintes liées à la réception détournent les utilisateurs des programmes trop longs, etc.

Ainsi, le renouvellement des goûts et des habitudes médiatiques est décentré de la seule relation au design des interfaces pour être expliqué à partir des pratiques sociales au sein desquelles il vient s'encastrer. Par exemple, comme nous l'avons déjà montré, il a pu être observé dans les pays précurseurs que la place accordée aux news, dans la consommation télévisuelle sur ces dispositifs mobiles, était bien plus importante que la place qu’elle occupe dans la consommation sur les télévisions domiciliaires91. Cette tendance peut s’expliquer par l'attractivité du design des différents formats de news diffusés sur les mobiles92, que ce soit les dépêches d'agence et la facilité avec laquelle elles peuvent être survolées ou que ce soit les brèves vidéos de journaux télévisés et leur force de captation aux yeux d'un public friand de la mise en image des questions d'actualité. Mais cette orientation des usagers vers les contenus journalistiques n'est pas seulement liée à la configuration des services. C'est ce que ces études cherchent à montrer en prenant en compte d'autres variables comme les paramètres contextuels qui influent sur les modalités d'utilisation. C'est à partir de variables contextuelles, comme l'ennui ou l'envie de tuer le temps, que la place des news dans la consommation des contenus 3G peut également être expliquée.

« Solitary viewing was the predominant form of consumption of mobile video. «Passing time » was unsurprisingly cited as one reason for this behaviour, but a

deeper look at the episodes revealed important social factors underlying this seemingly solitary behaviour. »93

Nous avons montré, dans la partie précédente, que la dimension culturelle des usages était souvent rabattue sur les infrastructures de communication et de télécommunication. On peut maintenant questionner le statut « social » des pratiques que

90 O’Hara, Mitchell, Vorbau, 2007

91 Södergard, 2003 ; Mäki, 2005 ; Knoche, Mc Carthy, 2005.

92

Oksman, Noppari, Tammela, Mäkinen, Ollikainen, 2007.

les HCI qualifient de pratiques sociales. Elles les nomment ainsi pour prendre en compte les activités quotidiennes et les tâches périphériques qui influent sur l’appropriation de la Mobile TV. On peut alors noter qu’elles répertorient, sous cette dimension sociale des pratiques, l'expérience vécue des usagers ou, du moins, leurs ressentis : l'ennui, l'envie de tuer le temps. Cette dimension sociale est on ne peut plus contestable. Il est aujourd’hui nécessaire, avec l’internationalisation des études scientifiques et le développement de l’interdisciplinarité, de rentrer dans ces questions. Il convient de décortiquer les éléments factuels qui sont glissés sous ces définitions du social et du culturel afin de remettre en cause la manière dont le courant des HCI « sociologise » ses études sur les TIC.

Cette précision est importante car nous allons reprendre à notre compte cette perspective en articulant les logiques d'usage de la Mobile TV avec les pratiques sociales qui les bordent. Le déplacement entre le domicile et le lieu de travail constitue pour nous une pratique sociale qui rend l'utilisation des services mobiles multimédia pertinente. Dès lors, nous ne ferons pas de l'ennui dans les transports en commun une cause à proprement parler car c’est le vécu du déplacement (l’ennui) que le créneau d’usage ouvert par le temps de déplacement qui influe sur les usages. Ceci est d’autant plus évident que les usagers n’ont pas attendu la commercialisation de la Mobile TV pour divertir leur temps de transports. Cet écart de lecture n’est pas anecdotique. Il permet d’extraire les individus d’une pure logique de zapping occupationnelle. Il permet de faire des contenus médiatiques des intermédiaires actifs : les individus les sélectionnent car ils y sont attachés, même dans les situations où leur motivation première est de tuer le temps.

Nous pouvons également noter que la dimension contextuelle est convoquée par ces études pour extraire des motivations d’usages des scènes de vie quotidiennes. Pour mieux comprendre cette tendance, voyons comment ces études peuvent évaluer l'utilisabilité de la Mobile TV en partant du principe que l'utilisation d'un prototype révèle les caractéristiques des contextes d'usages qui vont rendre l'utilisation de la Mobile TV pertinente. Ou, au contraire, celles qui vont en contraindre l'utilisation.

Une étude94 est particulièrement pertinente pour observer cette tendance car elle se rapproche de notre démarche en ayant cherché à articuler l'appropriation des services multimédia 3G avec les habitudes médiatiques. Elle se démarque des autres travaux dans la mesure où elle essaye d’articuler les usages des services mobiles avec les autres

pratiques médiatiques. Pour atteindre cet objectif, elle tente d'isoler les variables contextuelles qui expliquent pourquoi l’utilisateur va, dans une situation précise, privilégier un support médiatique par rapport à un autre : « In the user trial we studied

which terminal, content and service were suited to various user situations »95.

La variable contextuelle jugée comme étant la plus discriminante est celle de la modalité d'usage qui différencie les usages privés (« Private use ») des usages partagés

(« Shared use »). Le schéma ci-dessous montre ainsi comment les participants96

distribuent leurs pratiques médiatiques et leurs pratiques de communication suivant ces deux modalités d'usages et suivant l'ambiance de l'environnement extérieur (calme versus agité).

Figure 5 : Mobile television and the public space communication environnement 97

95 Södergard, 2004, p.8.

96

Södergard, 2003.

Pour comprendre l'intérêt d'une telle schématisation, et la pertinence du choix des variables, il convient de la référer à sa finalité. L'objectif est bien de sonder les moteurs et les freins à l'acceptabilité de la Mobile TV en distinguant les propriétés de ce service de celles des autres médias. Il paraît pertinent de comprendre comment l'utilisateur va bifurquer d'un média à l'autre en fonction de l'intrusivité, dans sa sphère d'écoute, des bruits et des mouvements extérieurs. C'est ainsi qu'il privilégiera certains médias quand l'ambiance sera calme (livres, journaux, Internet) et d'autres (écoute de la musique, discussion) quand il sera dans un environnement bruyant. Cette variable contextuelle du bruit est importante car elle peut dissuader l'usager de s'engager dans l'écoute de la Mobile TV. Dès lors, cette étude sur l'amélioration des interfaces va en déduire qu'elles doivent être modulables, pour permettre au récepteur d'ajuster son écoute aux contextes d’usage : « As the environment of use is not ideal, the device should be adjustable with

regard to its features (screen, contrasts, volume, etc.) » 98.

Il est intéressant d'observer que cette étude, qui a posé les bases des travaux ultérieurs sur les usages de la Mobile TV, aborde la question du renouvellement des goûts télévisuels en isolant les paramètres contextuels qui vont orienter les usagers vers des contenus précis. Par exemple, il est noté que dans un environnement bruyant, les utilisateurs consultent les news sur leur téléphone multimédia là où, quand ils sont au calme, ils préfèrent regarder des dessins animés ou lire des quotidiens.

Cette entrée nous paraît particulièrement intéressante car elle aborde la dynamique de la consommation médiatique à partir des paramètres contextuels qui cadrent et orientent la sélection et la réception des contenus. Nous nous proposons d’adopter la même entrée en nous demandant quels éléments, dans une situation donnée, vont rendre le recours à un support médiatique plus pertinent qu'un autre : par exemple le bruit, la promiscuité, le fait d’être debout ou assis, etc. Cependant, nous prendrons également en compte le rôle des contenus et des préférences médiatiques dans cette sélection des supports.

Chapitre 2. Redéfinir le cadre social des usages

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