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1.2 traversés par des tendances et évolutions communes

3 Le cadre institutionnel et l’action publique dans le domaine de l’emplo

3.2 Royaume-Uni : dérégulation et activation des politiques de l’emploi

En mai 1979, lorsque le gouvernement conservateur de Margaret Thatcher arrive au pouvoir s’ouvre une période de réformes structurelles profondes autant au plan économique en général que sur le marché du travail à proprement parler. Les réformes constituent un outil important de la politique économique pour accroître les performances de l’économie nationale avec un large assentiment sur le fait que celles-ci passent par plus de flexibilité. Cette nouvelle approche de la concurrence et de l’industrie se manifeste par une politique macro-économique d’abolition du contrôle des taux de change, de dérégulation du marché et de réorientation des objectifs des entreprises nationales dans un but nettement commercial. En parallèle, un ensemble de réformes vise directement le marché du travail et cherche à réduire ses rigidités, à accroître la mobilité et les incitations au travail. Ces mesures ont impliqué à la fois une modification de la législation du marché du travail mais aussi des réformes de nature institutionnelle.

3.2.1 Vers une libéralisation des institutions et de la législation du marché du travail

La fin des années soixante dix est marquée par un large consensus autour du fait que le marché du travail britannique soit trop rigide et que ce manque d’efficacité nécessite de profondes réformes.

Les deux décennies suivantes ont vu s’affaiblir radicalement le poids du niveau collectif et centralisé des négociations employeurs – salariés ; disparaître les soutiens législatifs à la négociation collective et aux cadres statutaires en termes de salaire ; et enfin une forte dérégulation du droit du travail (Blanchflower, Bryson, Forth, 2007). En effet, le gouvernement de 1979 considère que les organisations syndicales ont une grande part de responsabilité dans la situation économique du pays et par conséquent, les quatre Employment

43 Cette section reprend un travail de Barrell et Genre (1999) sur une comparaison des réformes du marché du

travail entre le Royaume-Uni, le Danemark, la Nouvelle Zélande et les Pays-Bas.

Acts qui se succèdent entre 1980 et 1984 cherchent à réduire leur pouvoir de négociation et leur zone d’influence. Jusqu’au début des années quatre vingt dix, les réformes visant à affaiblir le rôle des syndicats se poursuivent. Blanchflower et alii (2007) cite Purcell (1993) qui parle de «la fin des relations industrielles institutionnalisées»44 à propos de la seconde partie des années quatre vingts.

Un second aspect des réformes britanniques du marché du travail concerne l’érosion majeure du rôle des institutions collectives notamment sur les questions de salaires. Le soutien légal aux négociations collectives et à la détermination réglementée des salaires disparaît progressivement. En 1993, les Wages Councils, organismes qui déterminaient des minima de salaires par branches d’activités, sont finalement abolis. Ainsi, si en 1975, 85% des salariés britanniques étaient couverts par une convention collective ou un accord issu d’un Wages Council, en 1993, ils ne sont à peine plus de 50% à être dans ce cas (Barrell et Genre, 1999). Le gouvernement encourage ainsi la décentralisation des mécanismes de fixation des salaires et l’introduction d’arrangements salariaux flexibles. Les chiffres proposés par Blanchflower et alii (2007) illustrent à nouveau cette tendance. Ainsi, en 2004, un seul établissement45 privé, de cinq salariés ou plus, sur huit est concerné par une convention collective et 73% des salariés du privé (dans les établissements de cinq salariés ou plus) ont un salaire déterminé de façon unilatérale par l’ encadrement, souvent d’ailleurs au niveau du lieu de travail. Néanmoins, les auteurs ne valident pas l’idée d’un marché du travail britannique sur lequel le salaire serait déterminé selon le modèle concurrentiel. Ils mettent en avant un importance nette des facteurs interne aux lieux de travail dans la détermination du niveau de salaire et sur la présence d’accords salariaux malgré la tendance à un «désinstitutionnalisation des relations industrielles» (Blanchflower et alii, 2007, p. 28).

44 Traduction de «the end of institutional industrial relations», Purcell (1993). 45 Traduction de «workplace».

3.2.2 Une inflexion des orientations de la politique de l’emploi : l’activation Les années quatre vingts et quatre vingt dix correspondent à un déclin graduel des politiques passives du marché du travail au profit des politiques actives46. Une importance croissante est donnée au fait de contenir les dépenses et en parallèle de développer les incitations au travail.

La réforme du système fiscal, des allocations et transferts sociaux témoigne de cette tendance. Les années quatre vingts et quatre vingt dix sont marquées par des réductions fiscales à différents niveaux et les revenus de transferts sont graduellement réduits, leurs critères d’attribution durcis. Le but de ces réformes est clairement d’inciter au travail par un accroissement de la différence entre les revenus du travail et ceux de l’inactivité ou du chômage via l’aide sociale (allocation chômage, aides au logement…). Cette incitation au retour à l’emploi s’illustre en 1988 avec l’introduction du Family Tax Credit, un complément de revenu versé aux familles dont au moins un membre travaille plus de 16 heures par semaine et dont les revenus ne dépassent pas un certain plafond. En 1996, 750000 familles ont bénéficié de ce complément de revenu.

En parallèle, le contrôle et le suivi des chômeurs s’accentuent. En 1986 sont introduits les interviews obligatoires Restart qui permettent aux services de l’emploi d’évaluer les disponibilités des demandeurs d’emploi et leurs efforts de recherche. En 1995, le Jobseekers Allowance (JSA) remplace les diverses allocations chômage existantes. Son introduction correspond à un durcissement des conditions d’éligibilité à l’allocation chômage et à la réduction de sa durée qui placent le Royaume-Uni parmi les pays de l’OCDE ayant les taux de remplacement les plus bas. Dans le même temps, les exigences de recherche effective d’emploi et le contrôle de celle-ci par les services de l’emploi se durcissent. Un second élément majeur de cette politique marque une rupture avec les politiques antérieures qui facilitaient les retraits du marché du travail. Entre 1987 et 1994, le nombre de personnes bénéficiant du Sickness and Invalidity Benefit passe de 1,2 à 1,7 million et la plus forte hausse

46 Les politiques de l’emploi sont en règle générale décomposées en politiques passives qui, visent à atténuer les

effets du rationnement sur le marché du travail par l’aide sociale et par la limitation de la population active, et politiques actives qui, quant à elles, tentent de lutter directement sur ce rationnement par la préservation des emplois existants, la promotion de nouveaux emplois et l’adaptation de la main-d’œuvre.

concerne les hommes d’âge médian. Pour y remédier en 1995 est introduit l’Incapacity Benefit, conditionné à un test médical plus strict.

Enfin les politiques actives de l’emploi ont évolué pour dépendre dorénavant de façon croissante d’action et de programmes spécifiques des services de l’emploi. La nouvelle approche se démarque radicalement des grands programmes indifférenciés de formation comme le Youth Training des années quatre vingts. A partir des années quatre vingt dix, les services de l’emploi mettent en œuvre un ensemble de mesures destinées à améliorer l’efficacité des services de placement, pour assister plus activement les chômeurs dans leur recherche d’emploi et individualiser le suivi. L’accent est mis sur la vérification de la disponibilité des chômeurs et sur le caractère actif et effectif de leur recherche d’emploi. Des mesures ciblées sont développées au profit des chômeurs de longue durée, avec notamment des subventions versées aux employeurs, ou au profit des jeunes via des mesures de formation. Ainsi en 1997, le gouvernement de Tony Blair annonce la mise en place d’un vaste programme obligatoire de réintégration du marché du travail basé sur des subventions versées aux employeurs. Ce programme Welfare to Work s’adresse aux 250000 jeunes au chômage depuis plus de six mois et aux 266000 chômeurs de longue durée (plus de deux ans). Quatre propositions différentes leur sont offertes allant d’une formation à temps plein à un placement dans une entreprise pour six mois en passant par des activités dans le secteur associatif ou environnemental. Dans tous les cas il y a une obligation de formation.

De façon générale, on peut donc dire que depuis 1979 et jusqu’en 1997, les tendances fortes qui se dégagent du contexte britannique sont la décentralisation et l’individualisation de la relation d’emploi. Les réformes successives des gouvernements conservateurs ont transformé radicalement la législation concernant les relations sociales, dérégulé le marché du travail et amoindri la protection des salariés en décentralisant voire individualisant les niveaux de négociation (Bruniaux, 2001). Les principales orientations de la politique de l’emploi britannique ont ainsi visé le passage de l’assistance au travail et le retour à l’emploi des chômeurs pour réduire les trappes à inactivité et à chômage par la recherche d’une hausse de «l’employabilité» des chômeurs et de l’attractivité du travail basée sur une série d’incitations financières et de contraintes (Barbier et Lindley, 2002 ; Lefresne, 2002).

Conclusion

Tout au long de ce chapitre, nous sommes revenus sur les évolutions du SEF, du système productif et des politiques de l’emploi en France comme au Royaume-Uni. Les tensions issues des transformations du modèle productif, de l’environnement économique en mutation ne semblent pas aller automatiquement dans le sens d’une déstabilisation générale de la relation d’emploi. Les réformes des SEF cherchant à concilier plus de transparence et d’informations pour les acteurs avec des contenus en formation plus en lien avec les besoins des entreprises n’ont pas toujours permis de sortir des «sentiers sociétaux» hérités du passé (poids du diplôme général en France, décentralisation et manque de qualifications intermédiaires au Royaume-Uni). La volonté d’étendre les espaces reconnus comme créateurs de compétences en dehors des frontières de l’école, dans le cas français, peut encourager une certaine stabilité de salariés plus adaptables et des trajectoires professionnelles continues. Les politiques de l’emploi, quant à elles, gardent des marges de manœuvre et une influence réelle sur les normes d’emploi, principalement aux marges pour les publics jeunes et les salariés plus âgés. Les tentatives de flexibilisation, de réduction des rigidités du marché du travail ne semblent pas avoir abouti, à ce jour, à une transformation profonde des normes d’emploi (Lefresne, 2005b).

La question est alors de savoir, jusqu’à quel point, ce faisceau de tensions, transformations, mutations, des différents champs analysés, a touché la structuration d’ensemble des marchés du travail français et britannique. Une première réponse va être apportée dans le chapitre suivant par l’intermédiaire d’une analyse descriptive des évolutions nationales.

Chapitre 4 : Généralisation de l’emploi instable ? Evolution

des systèmes d’emploi nationaux et apports d’une analyse

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