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l’émergence des marchés internes du travail

C ONTRAINTE DE COMPETENCE

4 Vers de nouvelles frontières entre marché interne et marché externe : l’approche de «l’école de Cambridge»

4.1 Les choix théoriques à la base des travaux de «l’école de Cambridge»

En 1981, le premier ouvrage regroupant des travaux présentés à la conférence annuelle du IWPLMS de 1980 est publié sous la direction de Wilkinson (1981). Ce réseau s’est constitué en référence à l’ensemble du champs couvert par l’économie du travail, dépassant ainsi la seule analyse de la structuration du marché du travail.

Une des dimensions constitutives de l’identité de «l’école de Cambridge» tient à leur critique de l’approche segmentationniste américaine et notamment des travaux de Doeringer et Piore (1971). Cette approche dualiste du marché du travail entre secteur primaire et secondaire est principalement basée sur un déterminisme technologique et des différences de

caractéristiques entre travailleurs (notamment leur qualification). Or les chercheurs cambridgiens reprochent à ces travaux de négliger les facteurs d’offre de travail, les organisations de salariés… De plus, ils mettent en doute la capacité de généralisation de conclusions très liées au contexte américain de l’époque. Dans leur analyse de la segmentation du marché du travail29, les tenants de «l’école de Cambridge» donnent une place importante à

l’organisation industrielle, aux différentes positions des groupes de travailleurs sur le marché du travail et aux interactions qu’ils entretiennent les uns avec les autres. Les contributions présentées dans l’ouvrage de 1981 mettent en avant la variabilité des situations entre secteurs, entre travailleurs selon les niveaux d’emploi et de qualification. Enfin la grande variété des éléments qui entrent en ligne de compte dans la détermination de la forme de l’organisation de l’emploi dans la firme est soulignée à travers le rôle des déterminants techniques, liés au marché des produits et au marché du travail. L’un des éléments centraux de la dynamique repose sur les relations qu’entretiennent les firmes, relations de nature coopérative, concurrentielle ou contractuelle.

De ces différentes approches ressortent trois généralisations qui forment le socle du cadre analytique développé au sein de «l’école de Cambridge». Leur approche se veut d’emblée dynamique et cherche à comprendre les changements de la structure du marché du travail plus qu’à expliquer une structure globalement stable des inégalités de salaires et d’emploi. Loin de s’écarter de la notion de segmentation, leur approche dynamique confirme sa pertinence. Deuxièmement, leurs travaux soulignent l’importance des expériences historiques nationales et des interdépendances complexes entre facteurs économiques et institutionnels dans la détermination du mode de segmentation des marchés du travail. Ce point est à relier aux travaux de comparaisons internationales et intersectorielles menés au sein du IWPLMS dans lesquels l’empreinte des différences de système socio-économique, de technique de production, de caractéristiques spécifiques des marchés des produits, de l’organisation industrielle et du travail est pleinement observée. Le troisième point qui fédère les recherches liées à l’approche de Cambridge est l’idée qu’au-delà de ces différences et variantes nationales des tendances générales sont clairement visibles. Wilkinson (1981) cite

l’exemple de la réponse commune du capitalisme à la crise en marginalisant une partie de la main d’œuvre quel que soit le type d’institutions de protection des travailleurs que

29 Nous ne citerons pas ici les différentes contributions de l’ouvrage de 1981 sous la direction de Wilkinson, mais

pour plus de précisions le lecteur peut s’y reporter.

l’on puisse trouver dans les différents contextes nationaux. C’est donc à partir de ce

triptyque que «l’école de Cambridge» développe son propre cadre analytique pour étudier le marché du travail. Il s’agit d’un cadre dynamique et intrinsèquement en situation de déséquilibre. Ce dernier point fait écho à la critique des théories néo-classiques et principalement à l’hypothèse d’atomicité des agents et à la notion de marché parfait dont cette dernière est une des conditions.

Ainsi pour autant qu’elle partage la critique des théories néo-classiques avec l’analyse segmentationniste de Doeringer et Piore (1971) et avec l’analyse sociétale, l’approche de Cambridge se distingue de ces dernières de par son caractère dynamique, de par l’accent qu’elle met sur les relations inter-firmes et leur rôle dans la construction des segments du marché du travail et enfin de par sa volonté de traduire les spécificités nationales et sectorielles en tendances générales.

4.2 L’exemple de l’outwork ou l’illustration de l’approche

théorique de «l’école de Cambridge»

Le travail de Rubery et Wilkinson (1981) constitue une bonne illustration de l’approche des chercheurs cambridgiens et des dimensions qu’ils mettent au cœur de leur analyse de la structure du marché du travail. L’originalité de ce travail concerne tout d’abord son objet : l’outwork 30. Nous garderons le mot anglais pour ne pas risquer de traduction restrictive. Cette notion s’oppose au direct employment dans le sens d’un emploi direct par une entreprise sous des formes standards. Ainsi l’idée d’outwork recouvre les situations de travail à domicile, de travail occasionnel, temporaire, et donc hors de la firme par le type de contrat et/ou la localisation du travail lui-même.

Dans cette contribution, Rubery et Wilkinson (1981), considèrent l’outwork comme une forme d’organisation du travail à l’extrémité du «spectre des formes possibles d’emploi» utilisées dans les économies capitalistes avancées. Nous soulignerons ici, comme le font les auteurs, l’originalité de ce choix par rapport aux théories de la segmentation qui n’analysent que peu sinon pas ces formes d’emploi considérées comme «marginales ou archaïques» (Rubery et Wilkinson, 1981, p. 116). Ainsi le marché externe n’est souvent pas défini en

30 D’autres contributions à l’ouvrage dirigé par Wilkinson (1981) analysent l’emploi de type secondaire au sens

large.

substance mais en creux par simple opposition avec les marchés internes. Pour ces auteurs, cette approche est essentielle dans le sens où la persistance, voire le développement, de l’utilisation d’une large palette d’emploi de type outwork (du travail à domicile à la sous- traitance sur le lieu principal de production) associées aux preuves d’une «désintégration verticale de la production à la fois dans les secteurs en développement et en déclin, poussent à une réinterprétation de l’importance relative des différentes formes d’organisation du travail» (Rubery et Wilkinson, 1981, p. 116). Dans le même sens, le fait qu’il soit difficile de formuler une définition claire et circonscrite de ce type d’emploi notamment par rapport à l’emploi indépendant ou à de petites entreprises sous-traitantes, est considéré par les auteurs, comme une démonstration de la complexité du marché du travail et de la relation d’emploi.

Le choix d’étudier une forme d’emploi particulière vise à mettre en évidence l’éventail des pratiques en usage et les chevauchements qui existent entre elles. Les études empiriques à la base de la réflexion de Rubery et Wilkinson (1981) leur permettent d’illustrer l’effet du contexte technologique (division du travail, types de machines utilisées) et des caractéristiques du marché des produits (variabilité, spécialisation de la demande) sur le développement de l’outwork. Trois grands ensembles de conditions favorables à l’émergence de ce type de formes organisationnelles sont pointés : les facteurs technologiques, les facteurs liés au marché et enfin ceux liés au contrôle de la production et du travail ainsi que les interactions entre ces trois dimensions. Selon le secteur étudié, le facteur prédominant pourra ainsi varier (Rubery et Wilkinson, 1981).

La dimension dynamique de l’approche de Cambridge se retrouve dans l’analyse du rôle et de la place de l’outwork dans la restructuration industrielle en marche dès le début des années quatre vingts dans les économies capitalistes. L’importance donnée à la structure de l’offre de travail comme dimension essentielle dans la compréhension de la segmentation du marché du travail est une autre facette de la spécificité de cette approche qu’illustre le travail de Rubery et Wilkinson (1981). Or cet aspect est relativement ignoré par les théories originelles de la segmentation et apparaît plutôt via les travaux issus de la mouvance féministe. Ainsi l’objet outwork a permis aux auteurs d’illustrer la variété des forces qui mènent à la segmentation du marché du travail et d’en démontrer leur complémentarité et leurs imbrications. Cette conclusion renforce leur conviction de l’impossibilité de trouver une

explication unique à la segmentation qui serait valable quel que soit le pays ou le secteur d’activité, compte tenu du poids des expériences historiques spécifiques.

4.3 Une approche dynamique alternative où l’idée d’enchâssement

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