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Une approche dynamique alternative où l’idée d’enchâssement des marchés interne et externe dans le contexte des années quatre

l’émergence des marchés internes du travail

C ONTRAINTE DE COMPETENCE

4 Vers de nouvelles frontières entre marché interne et marché externe : l’approche de «l’école de Cambridge»

4.3 Une approche dynamique alternative où l’idée d’enchâssement des marchés interne et externe dans le contexte des années quatre

vingt dix

Les travaux plus récents de chercheurs de «l’école de Cambridge» comme par exemple ceux de Grimshaw ou Rubery (1998) ont forgé, dans l’optique d’un renouvellement de l’analyse de la segmentation, l’idée d’un enchâssement entre marché interne et marché externe du travail compte tenu des pressions internes et externes que subissent les entreprises (Grimshaw et Rubery, 1998; Rubery, 2000). La fragmentation et l’affaiblissement des modes d’organisation traditionnels de l’emploi du type marché interne mettent en difficulté les théories économiques des marchés internes entre autres du fait de leur aspect statique. Pourtant, pour Grimshaw et Rubery (1998), «l’apparent retrait des structures ideal-typiques du marché interne» ne signifie en rien qu’il n’y ait plus de place pour la stratégie des entreprises ou qu’un phénomène de «re-institutionnalisation» des pratiques sur le marché du travail n’ait pas lieu (p. 199). La difficulté d’appréhender cette nouvelle donne pour les théories de la segmentation tient, selon les auteurs, à une mauvaise spécification de la formulation théorique des marchés internes qui ne permet pas de prendre en compte les relations entre stratégies changeantes des employeurs et conditions changeantes sur le marché externe du travail. Cette insuffisance peut conduire à un diagnostic erroné selon lequel l’absence de marchés internes forts serait le signe d’une montée en puissance d’un marché externe de type concurrentiel. L’article de Grimshaw et Rubery (1998) propose donc une approche dynamique alternative qui, construite à partir des travaux d’Osterman (1994), montre que les pressions concurrentielles, internes et externes à l’entreprise, interagissent mutuellement pour façonner les stratégies des employeurs et la position des salariés sur le marché du travail.

L’identification de règles de gouvernance des entrées dans les marchés internes, celle des échelles d’accès aux emplois et aux dispositifs de formation, la forme des systèmes de rémunération et de classification des emplois, le degré de sécurité de l’emploi sont autant d’éléments qui permettent d’élargir le modèle classique des marchés internes. L’approche

préconisée par Grimshaw et Rubery (1998) envisage ainsi sur la base de la notion de système de règles proposée par Osterman (1994)31 d’élargir la définition des systèmes de marché interne.

Pour appuyer la nécessité du renouvellement théorique qu’ils proposent, Grimshaw et Rubery (1998) présentent un ensemble de changements récents qui ont marqué le marché du travail britannique. Au Royaume-Uni, la sécurité d’emploi à long terme dont bénéficiaient de nombreux cols blancs et ouvriers s’est clairement affaiblie face à un chômage persistant, à la hausse de la partie de la main d’œuvre qualifiée de «flexible» par les auteurs et du déclin du pouvoir syndical. Ces évolutions, qui minent l’organisation traditionnelle des marchés internes en fragilisant les principes de l’organisation collective, sont pour partie le fruit d’une volonté politique des conservateurs de «dérégulation» du marché du travail et de «fragmentation» des institutions sociales qui lui sont liées32 (Grimshaw et Rubery, 1998, p. 202). Les auteurs citent en exemple la nouvelle politique de gestion des ressources humaines du service public, son ouverture croissante à la concurrence et les tentatives d’abolition de la détermination des salaires au niveau national naturellement plus protectrice pour les salariés qu’une négociation décentralisée. En parallèle, de nombreux travaux mettent l’accent sur le déclin de la part des salariés couverts par une convention collective et l’abandon des négociations au niveau des branches. Concernant plus particulièrement les marchés internes du travail, le sens de l’évolution est celle d’une fragmentation des négociations salariales, d’un déclin de l’importance de l’ancienneté et d’un développement de l’évaluation des performances des salariés en tant que déterminant clé des progressions salariales.

Ce que Grimshaw et Rubery (1998, p. 202) appellent une «ré-institutionnalisation» du marché du travail britannique, s’accompagne et s’explique par des tendances lourdes au plan macroéconomique notamment au niveau de l’emploi (chômage persistant, développement des formes d’emplois flexibles comme l’emploi indépendant, les temps partiels ou les emplois temporaires), de la composition de la population active et de la structure industrielle de l’emploi. Dans ce paysage, le fait que certaines études mettent en évidence le maintien

31 “These categories of rules fit together in a logical system, and it does not make sense to isolate one rule and

ignore the others…It is much more helpful to think in these terms rather than focusing on any particular rule, such as the presence or absence of job ladders. The idea of systems of rules that fit logically together enables one to make sense of broader differences in ILMs… and by thinking of ILMs in this way one can ask more ambitious questions”, Osterman, 1994, p. 306.

32 Pour plus de précisions sur les politiques publiques britanniques, le lecteur peut se référer à la section 3.2. du

troisième chapitre, situé dans la seconde partie de la thèse.

des structures de marché interne et une proportion assez importante de contrats de travail stables, ne signifie pas pour autant que les règles d’organisation interne de ces marchés n’aient pas évolué ou que les motivations des salariés pour la stabilité aient gardé

les mêmes ressorts (rendement salarial positif et opportunités de carrière versus protection des risques accrus sur le marché externe).

Pour comprendre la dynamique de changement entre différentes formes de marchés internes, Grimshaw et Rubery (1998) posent comme préalable la compréhension des interactions mutuelles entre pressions concurrentielles internes et externes et de leurs effets sur l’entreprise tout comme leurs implications pour les salariés. Les changements de la structure des marchés internes se comprennent à partir des transformations sur le marché externe (salaire minimum, taux de chômage, système de sécurité sociale…), dans le domaine des performances de l’entreprise (offre et demande de travail, technologie…) et au niveau des coutumes et des pratiques d’entreprise. On retrouve ici les trois cercles concentriques d’Osterman (1994) présentés plus haut dans la section 2.1.2 de ce chapitre. Le but de l’analyse est ensuite de comprendre comment les nouvelles pratiques d’emploi incorporent des facettes particulières des changements de structure du marché externe et comment ces nouvelles pratiques vont à leur tour apporter du changement sur le marché externe.

La démarche prônée par Grimshaw et Rubery (1998) est donc celle d’une approche plus intégrée des marchés internes et externes du travail pour prendre en compte les changements de structures internes à l’entreprise et les évolutions de son environnement dans une logique d’interdépendance dialectique. Une telle approche permet d’envisager une diversité de la structure organisationnelle des firmes en fonction de la réponse stratégique qu’elles apporteront aux pressions et sollicitations de leur environnement ; ainsi qu’une redéfinition continuelle des frontières entre les salariés du «cœur» de l’entreprise et ceux de la périphérie (Grimshaw et Rubery, 1998). Dans un article récent, Rubery (2006) propose deux axes de développement des recherches sur la segmentation. Le premier reprend l’idée d’une approche dynamique mais aussi d’une analyse de long terme des stratégies d’emploi des organisations pour envisager correctement les effets du développement des formes flexibles d’emploi sur les salariés les plus stables du marché du travail. Le second axe de recherche consiste à intégrer à l’analyse les dynamiques de coopération et de contractualisation entre firmes pour mieux

appréhender les effets des changements liés aux nouvelles caractéristiques du système productif.

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