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P ROBLÉMATIQUE ET OBJET DE L ’ ÉTUDE

C. Troisième période : l ’action humanitaire contemporaine

III. P ROBLÉMATIQUE ET OBJET DE L ’ ÉTUDE

Si auparavant, les contraintes juridiques de l’action humanitaire découlaient essentiellement des principes fondamentaux de l’ordre juridique international, l’essor de l’action humanitaire ces dernières années tant sur le plan de la normativité que sur le plan opérationnel soulève de nouvelles interrogations qui interpellent également le juriste. Quel est le contenu des règles et principes régissant l’action humanitaire en cas de catastrophes humanitaires ? Quelle est leur efficacité ? Quels sont les acteurs de la mise en œuvre de ce droit ? Dans quelles conditions et dans quel cadre juridique travaillent-ils ? Quelles sont donc les contraintes juridiques liées à la mise en œuvre opérationnelle de ce droit ?

Ces questionnements paraissent d’autant plus pertinents qu’« avec la fin de la guerre froide et le

début de la guerre au terrorisme qui a suivi les événements du 11 septembre 2001, les conflits, comme la réponse humanitaire qui a suivi, ont subi d’importantes mutations conceptuelles et opérationnelles » 76.

Ainsi si par le passé, les conflits étaient essentiellement inter-étatiques, le contexte international est de plus en plus marqué par des guerres civiles dans lesquelles la violence se déplace à l’intérieur des frontières. De plus, ces conflits entraînent des déplacements massifs de populations d’une région à une autre. Face à ce déchaînement de violence, le droit international humanitaire conçu spécialement en vue de régler les problèmes humanitaires relevant des conflits armés internationaux, semble impuissant. Le DIH qui à l’origine était confronté à la problématique de la protection et de l’assistance humanitaire à des forces

75 BOUCHET-SAULNIER F., « Cent cinquante ans de réalisations normatives », Questions internationales,

Juillet-Août 2012, op. cit., p. 29.

76 AUDET F., « L’acteur humanitaire en crise existentielle, les défis du nouvel espace humanitaire », Études

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armées régulières de puissances étatiques, est désormais entraîné dans des conflits où l’idéologie, les commandements et les alliances ne sont pas facilement identifiables. Les conflits actuels en Centrafrique et en Syrie et qui ont déjà causé la mort de milliers de personnes en sont une illustration parfaite. Par ailleurs, si idéologiquement, le droit international humanitaire reste intrinsèquement lié aux situations de conflictualité, la dynamique de l’action humanitaire l’amène à prendre en compte les victimes des catastrophes naturelles. Toutefois, la condition juridique de ces victimes reste problématique.

En outre, sur le plan opérationnel, la multiplication des organisations non gouvernementales au sein de l’espace humanitaire a entraîné des effets pervers. L’aide internationale a ainsi assuré la survie de certains belligérants et contribué à faire perdurer certaines crises humanitaires. Aussi, est-il de plus en fréquent de constater la collaboration ambigüe entre les acteurs humanitaires et les opérations militaro-humanitaires montées par les puissances étatiques. Or, si l’expérience a montré que cette association pourrait s’avérer désastreuse pour les humanitaires, les conditions dangereuses dans lesquelles ces humanitaires sont amenés à travailler rendent inéluctable cette coopération. Enfin, l’humanitaire contemporain débouche sur des contradictions extrêmes avec l’usage de la force armée à des fins humanitaires. Certes, cette problématique n’est pas nouvelle, mais elle se pose désormais à l’aune de la responsabilité de protéger.

Face à ces doutes et interrogations que génèrent ces différentes mutations conceptuelles et opérationnelles de l’action humanitaire, la présente étude ambitionne d’être un cadre de réflexion sur ce vaste et interminable débat de la protection et de l’assistance aux personnes en détresse en raison d’une catastrophe humanitaire : conflits armés et catastrophes naturelles. Ainsi, il s’agira premièrement de s’interroger sur l’efficacité du droit comme instrument d’encadrement de l’action humanitaire. S’interroger sur l’efficacité du droit applicable à l’action humanitaire permettra non seulement de relever les avancées et les limites de ce droit tant sur le plan normatif que sur le plan opérationnel, mais surtout de proposer des solutions afin d’améliorer la condition juridique des personnes se trouvant en péril en raison d’une catastrophe humanitaire. Par ailleurs, au-delà de la réflexion sur l’impact du droit sur l’action humanitaire, il importe également de s’interroger sur l’impact de l’action humanitaire sur le droit international général. En effet, si l’action humanitaire est perçue comme l’expression de la solidarité internationale, elle semble porter des valeurs au sein d’une société internationale davantage préoccupée par la protection des États et de leur sécurité. Peut-on pour autant affirmer que la prépondérance des questions humanitaires au sein de la société internationale semble être le signe d’un changement majeur du droit international en le faisant passer d’un

droit international public ou droit inter-étatique à un véritable droit des gens selon l’expression du professeur George Scelle 77 ?

Enfin, si les conditions de sécurité de l’espace humanitaire se sont considérablement détériorées ces dernières années, la sécurisation du cadre d’intervention des acteurs humanitaires passe par l’amélioration du cadre juridique de leur intervention. La présente étude ambitionne par conséquent de constituer un outil de référence pour les acteurs de la mise en œuvre de l’action humanitaire. Le cadre de notre réflexion étant clarifié, quelle démarche adopter afin de rendre compte de la problématique posée par notre sujet ?

Afin de rendre compte de la problématique de notre sujet, nous opterons pour une démarche binaire. Ainsi, le premier volet de notre thèse s’attellera à analyser le cadre normatif et conceptuel de l’action humanitaire. Dans cette partie, on soulignera le contraste entre la richesse normative et conceptuelle du cadre juridique de l’action humanitaire et les insuffisances dans la consolidation et la matérialisation de ces règles de protection et d’assistance aux personnes en situation de détresse. Cette première partie sera alors intitulée

Un cadre normatif et conceptuel insuffisant de l’action humanitaire (Partie I). Quant au

second volet de notre réflexion, il sera consacré au cadre opérationnel de l’action humanitaire. Dans cette partie, il sera question d’analyser les conditions juridiques de la mise en œuvre opérationnelle de l’action humanitaire. Ainsi, si la souveraineté étatique est depuis toujours considérée comme l’obstacle majeur à une mise en œuvre opérationnelle efficace de l’action humanitaire, les problèmes juridiques contemporains du droit de l’action humanitaire ne concernent pas uniquement la dialectique souveraineté/intervention humanitaire, mais bien des questions plus pratiques et contemporaines liées à la justice pénale internationale, au statut des acteurs humanitaires, aux conditions de leur coordination, à la définition de l’aide internationale et d’un espace humanitaire sur lesquels il conviendrait également de mettre l’accent. Cette approche pragmatique de la question vise surtout à relever les obstacles juridiques à la mise en œuvre opérationnelle de l’action humanitaire. Aussi, convient-il de l’intituler Un cadre opérationnel de l’action humanitaire perfectible (Partie II).

77 Selon ce dernier, « l’expression droit interétatique serait pourtant, du point de vue traditionnel, beaucoup

meilleure, puisque la doctrine classique a longtemps considéré les États comme « des personnes juridiques », et les principales, sinon les seules, de la société humaine. C’est une conception que nous combattrons. Pour nous, les rapports qu’il va s’agir de décrire et d’analyser sont des rapports entre individus, formant une société universelle, et appartenant en même temps à d’autres et innombrables sociétés politiques […] Le terme « Droit des gens » dans son acception la plus large nous paraît le mieux approprié ». Cf. SCELLE G., Précis du droit des gens, Paris, Éditions du CNRS, réédité en 1984, Préface p. ix.

PARTIE I.

En droit international, il est de coutume de distinguer les textes en référence à la ville où ils ont été adoptés. Le droit international humanitaire n’échappe pas à cette règle. Ainsi « le droit de La Haye » désigne les textes les plus anciens de ce droit qui visent à restreindre les méthodes et moyens de combat. Le « droit de Genève » concerne les textes adoptés de 1949 à 1990 qui visent à assurer la protection des personnes durant les conflits armés 78. Toutefois, cette dichotomie classique est de plus en plus relativisée en raison de l’interaction profonde entre ces deux branches du droit humanitaire 79. On utilise ainsi souvent une terminologie englobante « droit de Genève » afin de désigner ces deux branches du droit humanitaire classique.

Considéré depuis toujours comme le cadre juridique de référence en matière de protection des personnes durant les situations de conflictualité en raison du caractère quasi universel de ses textes et la contribution significative de ses normes à la protection des personnes, le « droit de Genève » va pourtant être remis en cause dans les années soixante-dix où l’on constate que ce droit s’avère inadapté et insuffisant face à la réalité des crises humanitaires contemporaines.

Décriées par le mouvement sans-frontiériste, ces lacunes du droit de Genève vont faire alors apparaître la nécessité d’une part de reconceptualiser le droit et l’action humanitaire et d’autre part d’édicter de nouvelles règles en vue de renforcer la protection des personnes durant les catastrophes. À cet effet, une série de textes ont été adoptés au niveau international en vue de faciliter la protection et l’assistance aux personnes durant les catastrophes de toutes natures. En grande partie, mais pas exclusivement, ces textes ont été adoptés par les Nations unies et forment ce qu’on appelle aujourd’hui le « droit de New York ». Si l’émergence du « droit de New York » est perçue comme un renouveau pour le droit et l’action humanitaire au moment où le contexte international est marqué par la prééminence de la question des droits de l’homme, il convient toutefois de s’interroger sur la portée exacte des textes consacrant ce droit et relever leur réelle incidence sur la protection des personnes durant les catastrophes.

78 BETTATI M.,Droit humanitaire, op. cit., p. 64.

79 La CIJ dans son avis consultatif du 8 juillet 1996 relatif à la licéité de la menace ou de l’emploi d’armes

nucléaires affirmait à ce propos que « ces deux branches du droit applicable dans les conflits armés ont développé des rapports si étroits qu’elles sont regardées comme ayant fondé graduellement un seul système complexe » Cf. CIJ, L’illicéité de la menace ou de l’emploi d’armes nucléaires, avis consultatif, 8 juillet 1996. Rec. 1996, p. 34. Toutefois, les Protocoles additionnels de 1977 avaient déjà opéré un rapprochement entre le droit de Genève et le droit de La Haye.

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De notre analyse, il ressort que si les lacunes du droit de Genève (Titre I) ont pleinement justifié l’émergence du droit de New York, ce nouveau dispositif juridique semble éprouver de nombreuses difficultés à palier les insuffisances du droit de Genève (Titre II).

TITRE I.

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