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Un champ d’application différencié

DURANT LES CONFLITS ARMÉS

L’ INGÉRENCE HUMANITAIRE : UNE CONCEPTUALISATION CRITIQUABLE DE LA PROTECTION DES PERSONNES EN DÉTRESSE

B. Des analogies avec la théorie contestée de l’intervention d’humanité À l’heure où le débat sur la protection des personnes en situation de détresse a resurgi sous

1. Un champ d’application différencié

Qui met en œuvre ces droits (a) et pour quelles catégories de personnes (b) ?

a. Des bénéficiaires différents ?

À la différence de l’ingérence humanitaire dont l’objectif a toujours été la protection des personnes se trouvant dans une situation d’urgence humanitaire, notamment les catastrophes naturelles et les conflits armés, l’intervention d’humanité a connu une mutation au niveau de ses bénéficiaires, la faisant passer de la stricte protection des nationaux de l’État intervenant à une protection plus globale des droits humains.

304 SPIRY E., « Interventions humanitaires et interventions d’humanité, la pratique française face au droit

international », RGDIP, 1998, p. 408.

305 Selon le Professeur Corten, il est important « de garder à l’esprit l’histoire des “interventions d’humanités”

[…], lorsqu’on aborde la question théorique de l’existence éventuelle d’un droit d’intervention armée unilatérale pour motifs humanitaires ». Cf. CORTEN O.,KLEIN P., Droit d’ingérence ou obligation de réaction non

armée ? Les possibilités d’actions non armées visant à assurer le respect des droits de la personne face au principe de non- ingérence, Bruxelles, Bruylant, 1992, p. 150 ; MOURGEON J., « L’intervention internationale à titre

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En effet, un premier courant doctrinal 306 fait de la protection des nationaux de l’État intervenant l’objectif majeur de l’intervention d’humanité. Si ce courant n’est pas majoritaire 307, il est aisé de comprendre la volonté d’un État de n’intervenir que lorsqu’il s’agit de défendre les intérêts de ses ressortissants. Ainsi, l’intervention d’humanité semble plus admise lorsqu’elle est conduite en vue de protéger les nationaux de l’État intervenant. Il est en effet légitime qu’un État assure la protection de ses nationaux même lorsque ceux-ci se trouvent en dehors des frontières nationales. Et de nombreux auteurs considèrent volontairement qu’intervention d’humanité et protection des nationaux sont deux concepts identiques. Ainsi, le Rapport arbitral de Max Huber de 1924 dans l’affaire Espagne contre Grande Bretagne vient conforter cette théorie : « à un certain point l’intérêt d’un État de pouvoir

protéger ses ressortissants et leurs biens doit primer le respect de la souveraineté territoriale et cela même en l’absence d’obligations conventionnelles. Ce droit d’intervention a été revendiqué par tous les États, ses limites

seules peuvent être discutées » 308. Le moins qu’on puisse dire à propos d’une telle assertion c’est

que, si cette décision semble légitimer les interventions d’humanité dont l’objectif serait de protéger les nationaux elle laisse toutefois place à de nombreux abus dans la mesure où les contours de ce droit ne semblent pas bien délimités. Des États pourront ainsi invoquer abusivement ce droit d’intervention en vue de s’immiscer dans les affaires intérieures d’autres États. Aussi, la souveraineté constitue-t- elle un pilier du droit international au-dessus duquel rien ne prime, y compris les possibilités d’interventions des États en vue de protéger leurs ressortissants.

Par ailleurs, le fait d’englober à la fois la protection de ses nationaux à l’étranger et la protection des droits humains en une seule et même expression, à savoir l’intervention d’humanité 309, relève d’un véritable amalgame. Si en effet l’intervention d’humanité et la

306 L’expression « premier courant doctrinal » ne suggère nullement une chronologie des bénéficiaires de

« l’intervention d’humanité », on retrouve aussi bien dans la doctrine classique que dans la doctrine contemporaine, tantôt le postulat selon lequel l’intervention d’humanité concernerait la protection des nationaux de l’État intervenant, tantôt la protection des individus sur le territoire duquel l’intervention se produit. Cf. BETTATI M., « Un droit d’ingérence », op. cit., RGDIP, 1991, p. 646 « l’intervention d’humanité

vise généralement à protéger seulement les nationaux de celui qui intervient » ; PEREZ-VERA E., « La protection d’humanité en droit international », RBDI, 1969, p. 401-424 ; d’un autre côté WEIL-SIERPINSKY B., estime que l’intervention d’humanité a subi une évolution conceptuelle qui l’a fait

passer de la stricte protection des nationaux de l’État qui subit l’intervention à une vision plus large englobant la protection des nationaux de l’État intervenant et parfois même se réduisant à cette seule hypothèse. Cf. WEIL SIERPINSKY B., L’intervention d’humanité, un concept en mutation, Thèse, droit public, Montpellier, 1995, 525 p.

307 BAYO E., op. cit., p. 26.

308 Rapport arbitral de Max Huber, affaire des Réclamations britanniques dans la zone espagnole du Maroc, 1er Mai

1925, Recueil des sentences arbitrales, vol. 2, p. 641.

309 ZORGBIGBE Charles affirme à propos de l’intervention américaine à Saint Domingue en 1965 que « la

protection d’humanité est [celle] assurée par un État au profit de ses propres ressortissants et de … / …

protection diplomatique 310 semblent se rejoindre, ces deux notions ne se confondent pas. La protection diplomatique se distingue de l’intervention d’humanité dans la mesure où la première se rattache aux relations inter-étatiques alors que la seconde relève du droit des individus 311. Pour parvenir à cette conclusion, il semblerait que l’on justifie ces deux types d’intervention 312 par un fondement unique : la protection des droits de l’homme. L’individu doit être protégé qu’il soit un national ou un étranger 313.

Ainsi, cette conception de l’intervention d’humanité diffère totalement de la philosophie défendue par les défenseurs de l’ingérence humanitaire. En effet, pour ces derniers, l’idée d’ingérence humanitaire repose avant tout sur le principe de la solidarité entre les hommes. Cette solidarité justifie que des acteurs humanitaires transcendent des frontières étatiques, outrepassent la volonté de l’État sinistré afin de porter secours aux personnes en détresse 314. Cette différence peut être cependant nuancée dans la mesure où aux antipodes de ces auteurs qui considèrent volontiers que la protection des nationaux est le fondement même de l’intervention d’humanité, une autre partie de la doctrine, estime que la légitimité de l’intervention d’humanité ne peut se fonder que sur son caractère désintéressé 315. Dès lors, la protection irait au-delà des simples nationaux pour concerner davantage les populations du territoire sur lequel l’État intervient. Ce courant doctrinal 316, généralement considéré comme

ressortissants étrangers » […]. Cf. ZORGBIGBE C., « De l’intervention à Saint Domingue », Politique

Étrangère, 1966, p. 299.

310 CPJI, Affaire Concession Mavrommatis en Palestine, 30 août 1924, série A, n° 2 ; selon la cour : « c’est un

principe élémentaire du droit international que celui qui autorise à protéger ses nationaux lésés par des actes contraires au droit international commis par un autre État […] ». Par ailleurs, la protection diplomatique est une vieille institution du droit international à laquelle la Commission de droit international s’est intéressée à sa cinquante-huitième session en 2006. Selon la commission « Aux fins du présent projet d’articles, la protection diplomatique consiste en l’invocation par un État, par une action diplomatique ou d’autres moyens de règlement pacifique, de la responsabilité d’un autre État pour un préjudice causé par un fait internationalement illicite dudit État à une personne physique ou morale ayant la nationalité du premier État en vue de la mise en œuvre de cette responsabilité ». Voir Projet d’articles de la Commission de Droit International de 2006 sur « La protection diplomatique » sur le site : www.Untreaty.org.

311 WEIL-SIERPINSKI B., L’intervention d’humanité, un concept en mutation, Thèse de doctorat de l’université de

Montpellier, 1995, p. 250. Voir en ce sens : FLAUSS J.-F. (dir.), La protection diplomatique, Mutations

contemporaines et pratiques nationales, Bruxelles, Bruylant, p. 153.

312 Selon ces auteurs, l’intervention d’humanité englobe à la fois la protection des nationaux du lieu

d’intervention et celle des nationaux à l’étranger.

313 WEIL-SIERPINSKI B., op, cit, p. 57.

314 On retrouve le principe d’humanité qui préside l’action humanitaire traditionnelle de la Croix-Rouge. 315 Voir CORTEN O. et KLEIN P.qui estiment « qu’on voit mal en effet un État engager une intervention

armée contre un autre, avec tout ce que cela comporte comme aléas et comme pertes potentielles en hommes et en matériel, dans un but purement désintéressé » in Droit d’ingérence ou obligation de réaction ? : Les

possibilités d’action visant à assurer le respect des droits de la personne face au principe de non-intervention op, cit, p. 158.

316 Cf. DUPUIS C., « Règles de la paix », RCADI, vol. 32, 1930, tome II, p. 109. Pour ce dernier « l’intervention

peut être justifiée par le désir de mettre fin aux abus d’une souveraineté qui use de sa puissance pour massacrer ses sujets ».

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majoritaire, est convaincu, comme l’affirme Antoine Rougier, que « la théorie de l’intervention d’humanité est proprement celle qui reconnaît l’exercice d’un contrôle international d’un État sur les actes de souveraineté intérieure d’un autre État contraires aux « lois de l’humanité », et qui prétend en organiser juridiquement le fonctionnement » 317. Aussi poursuit-il :

suivant cette doctrine, chaque fois que les « droits humains » 318 d’un peuple seraient

méconnus par ses gouvernants, un ou plusieurs États pourraient intervenir au nom de la Société Des Nations, soit pour demander l’annulation des actes de puissance publique critiquables, soit pour empêcher à l’avenir le renouvellement de tels actes, soit pour suppléer à l’inaction du gouvernement en prenant des mesures conservatoires urgentes et en substituant momentanément leur souveraineté à celle de l’État contrôlé. 319

Sont donc légitimes à cette époque, les interventions contre tout gouvernement qui « viole

les droits de l’humanité par des excès d’injustice et de cruauté envers certaines catégories de sujets au mépris des lois de la civilisation » 320. Georges Scelle n’hésite guère à en reconnaître la légitimité voire la légalité dans la mesure où « les gouvernements qui interviennent, agissent pour assurer le respect d’un

certain nombre de règles fondamentales du droit international commun » 321. Arntz de marteler :

lorsqu’un gouvernement, tout en agissant dans la limite de ses droits de souveraineté, viole les droits de l’humanité, soit par des mesures contraires à l’intérêt des autres États, soit par des excès d’injustice et de cruauté qui blessent profondément nos mœurs et notre civilisation, le droit d’intervention est légitime. Car quelque respectables que soient les droits de souveraineté et d’indépendance des États, il y a quelque chose de plus respectable encore, c’est le droit de l’humanité ou de la société humaine qui ne doit pas être outragé 322.

Plus récemment, c’est au tour du professeur Frédéric Sudre de soutenir que :

si l’intervention, acte de force perpétré par un État en territoire étranger, est condamné par le droit international au nom du respect de la souveraineté de l’État, les interventions accomplies pour des motifs humanitaires apparaissent comme une exception coutumière à ce principe. Qu’il s’agisse de l’intervention de l’État pour protéger la vie et les biens de ses nationaux dont la sécurité est menacée en territoire étranger ou qu’il s’agisse de l’intervention d’humanité stricto sensu, qui a en principe un caractère collectif et a pour objet de protéger, non plus les nationaux de l’État intervenant, mais les ressortissants de l’État sur le territoire duquel l’intervention a lieu et qui apparaissent victimes d’actes contraires aux lois de l’humanité. 323

317 ROUGIER A., « La théorie de l’intervention d’humanité », RGDIP, 1910, p. 472 ; Eugène Aroneau définit

l’intervention d’humanité comme étant une action extérieure par laquelle on veut déterminer l’exercice intérieur de la souveraineté d’un État à se conformer au respect des droits de l’homme. Cf. ARONEAU E., « La guerre internationale d’intervention pour cause d’humanité », Revue internationale de droit pénal, 1948, p. 176-177.

318 Il existe une divergence quant à la dénomination exacte des fondements de l’intervention, certains parlent

de violation des « droits de l’humanité ou des droits humains » (Arntz ou Fiore), d’autres de violation de « lois de l’humanité » (Despagnet, Rougier).

319 ROUGIER A., op, cit, p. 472.

320 BONDE A., Traité élémentaire de droit international public, Paris, Dalloz, 1926, p. 25.

321 SCELLE G.,Manuel élémentaire de droit international public, Paris, Montchrestien, 1943, p. 413.

322 Cf. ROLIN-JACQUEMYNS G., « Note sur la théorie de l’intervention d’humanité », Revue de droit international et

de législation comparée, t.VIII, 1876, p. 673.

En outre, on trouve chez la plupart des auteurs l’affirmation de l’existence d’un droit général et impératif qui prime les droits particuliers des États et protège certaines prérogatives inhérentes aux individus 324. Ainsi, à la conception du Droit naturel succéda la conception plus juridique du droit humain, formulée par Arntz et Rolin-Jaequemyns. Mais que contient la notion de droits humains à laquelle ces auteurs ne cessent de se référer ?

Pour Antoine Rougier, le « droit humain n’est pas simplement un ensemble de préceptes moraux

s’imposant à la conscience de l’individu, c’est une règle nécessaire conditionnant certains rapports sociaux de l’homme et par conséquent une règle juridique » 325. Aussi, ce droit général recevra-t-il à travers l’histoire du droit international des dénominations et des justifications diverses, mais le fondement a toujours été le même : l’existence de normes impératives du droit international qui commandent le respect des droits des individus. Ainsi, les XVIIe et XVIIIe siècles font appel au droit naturel, tandis que le XIXe siècle, préfère le droit humanitaire, c’est-à-dire un droit de la société humaine, supérieur aux droits de souveraineté et d’indépendance des États, un droit basé sur l’idée que toute société politique doit satisfaire, en accord avec une loi nécessaire et comme tâche préalable à sa mission nationale, les droits fondamentaux de ses membres. Et au XIXe siècle, cette loi commune à tous les hommes s’appellera la loi de la solidarité humaine, c’est-à-dire la loi qui commande de « ne rien faire de contraire à la solidarité

sociale et de faire tout ce qui est de nature à réaliser la solidarité sociale » 326. En réalité, cette idée n’a rien de nouveau. Grotius écrivait déjà, en évoquant le principe de la souveraineté des États, « le

droit de la société humaine ne sera pas exclu pour cela, lorsque l’oppression est manifeste : si quelque Busiris, Phalaris, Diomède de Thrace, exerce sur ses sujets des cruautés qui ne peuvent être approuvées par aucun homme équitable. C’est ainsi que Constantin prit les armes contre Maxence et contre Licinius ; que d’autres empereurs des Romains les prirent, ou menacèrent de les prendre contre les Perses, s’ils ne cessaient de persécuter les Chrétiens à cause de la religion ». De même, on connaît la position de Vattel selon laquelle

« toute puissance étrangère est en droit de soutenir un peuple opprimé qui lui demande son assistance » et on peut aussi trouver des formules similaires chez d’autres auteurs classiques tels Püffendorf, Suarez, ou de Vitoria 327.

Toutefois, aussi séduisantes que paraissent ces idées, cette conception de l’intervention reste critiquable, car d’une part, le contenu et les limites de la notion de « droits humains »

324 VERA-PEREZ E., op, cit p. 402. 325 ROUGIER A.,op. cit., p. 491. 326 VERA PEREZ E., précité, p. 403.

327 CORTEN O.,KLEIN P.,Droit d’ingérence ou obligation de réaction, op. cit., p. 1 ; les références de ces différentes

citations sont les suivantes, GROTIUS, Le droit de la guerre et de la paix, Livre II, Chapitre XXV, VIII, 2 ; Vattel, Le code diplomatique de l’Europe,vol. II, p. 279 ; Püffendorf, Du droit de la nature et des gens, VIII, C, V ; SUAREZ, De Bello, S. 5, n° 5-8, VITTORIA, De jure Belli, 1, 22, 26.

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n’étant pas suffisamment précisés, la pratique de l’intervention d’humanité pourrait également conduire à de nombreux abus. C’est le cas du débarquement américain le 25 mai 1983 dans l’île de la Grenade pour « officiellement » protéger les étudiants américains sur place, mais qui conduira à une véritable occupation du territoire 328. Et d’autre part, le droit international ne permet l’intervention d’un État sur le territoire d’un autre État, quand bien même cette intervention serait motivée par des considérations humanitaires. Ni le régime établi par la Société Des Nations (SDN), ni celui des Nations unies 329 ne semblent contredire ce principe. C’est d’ailleurs le constat fait par Pradier-Fodere pour qui « les actes d’inhumanités, quelques condamnables qu’ils soient, tant qu’ils ne portent aucune atteinte, ni aucune menace aux droits des autres États, ne donnent à ces derniers aucun droit d’intervention, car nul État ne peut s’ériger en juge de la conduite des autres » 330.

L’ingérence humanitaire telle que conçue par ses précurseurs se rapproche ainsi davantage de l’intervention d’humanité qui vise à protéger des droits humains à la différence que la question « humanitaire » dans le cadre de l’ingérence humanitaire est mieux définie et mieux élaborée. En effet, la notion de droits humains peu explicite en droit international classique, sera davantage précisée par le truchement des notions de droit de l’homme et de droit international humanitaire de la doctrine contemporaine, omniprésent dans le discours international. Ces droits seront affinés et précisés par le droit international, mais plus encore ils feront l’objet d’une reconnaissance formelle par un certain nombre d’États. Toutefois, si l’initiative de reconnaissance de droits par les États doit être reconnue et saluée, encore faut-il que les États s’accordent sur leur respect effectif. L’analyse des bénéficiaires de l’ingérence humanitaire et de l’intervention d’humanité montre des nuances. Qu’en est-il des intervenants ?

328 Cf. DECAUX E., Droit international public, Paris, Dalloz, 2010, p. 396

329 Pour mémoire les Nations unies ont été créées en vue de préserver les générations futures du fléau de la

guerre qui deux fois en l’espace d’une vie humaine a infligé à l’humanité d’indicibles souffrances – Cf. Le préambule de la Charte des Nations unies ; De même l’article 2 para 7 de la Charte énonce « Aucune disposition de la présente Charte n’autorise les Nations unies à intervenir dans des affaires qui relèvent essentiellement de la compétence nationale d’un État ni n’oblige les Membres à soumettre des affaires de ce genre à une procédure de règlement aux termes de la présente Charte. Toutefois, ce principe ne porte en rien atteinte à l’application des mesures de coercition prévues au Chapitre VII ».

330 PRADIER-FODERE P., Traité de droit international public européen et américain, Paris, Pedone-Lauriel, 1885, p. 663

voir également, DESPAGNET F., Cours de droit international public, Sirey, 4e édition,1910, p. 258 :

« l’intervention contre un gouvernement qui, dans l’exercice de sa souveraineté interne viole les lois de l’humanité ne peut pas être […] admise, sous peine de donner lieu à tous les abus et sous prétexte de sauvegarder les intérêts des populations, de ruiner complètement le respect de la souveraineté des États ».

b. Des intervenants différents ?

Dans le cadre du débat sur les interventions à protection humaine sous le prisme de l’ingérence humanitaire, le problème se situe au niveau du titulaire légitime de ce droit d’intervention. Au contraire, pour l’intervention d’humanité, la difficulté se situe au niveau du caractère collectif ou non de l’entité chargée de l’intervention, car s’il a existé quelques tentatives d’intervention en faveur d’opprimés indépendamment de l’action d’un État, elles sont restées très rares 331. En effet, les modalités de l’intervention d’humanité classique ne sont généralement envisagées que par rapport à une action étatique. En fait, peu d’États ont pratiqué l’intervention individuelle et cela a d’ailleurs été soutenu par l’ensemble de la doctrine classique et contemporaine. Au demeurant, le moins qu’on puisse dire, c’est qu’il y a une quasi-unanimité de la part des auteurs sur le caractère collectif de l’intervention. Comme le préconise Arntz :

[…] en pareil cas, un État isolé ne peut s’arroger le droit d’intervention ; ce droit ne peut être exercé qu’au nom de l’humanité représentée par tous les autres États, ou tout au moins par le plus grand nombre des États civilisés, qui doivent se réunir en un congrès ou en un tribunal pour prendre une décision collective. 332

Rolin Jaequemyns, s’agissant de l’intervention occidentale envisagée en Turquie, estime à cet effet, que :

non seulement, en y intervenant collectivement, les grandes puissances ne dépasseront pas la limite de leur droit, mais elles ne feront que s’acquitter d’un devoir impérieux. Car elles sont seules à même de sauvegarder les immenses intérêts de paix et d’humanité menacés soit par la chute de l’empire Turc, soit par la prolongation de son existence violente dans les conditions présentes […]. Reste le concert des grandes puissances. Seul il est à même de conjurer des maux et cela étant il a le devoir d’agir. Seulement, pour être efficace, cette action ne saurait indéfiniment se borner à

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