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La production normative du Conseil de sécurité

DURANT LES CONFLITS ARMÉS

L’ INGÉRENCE HUMANITAIRE : UNE CONCEPTUALISATION CRITIQUABLE DE LA PROTECTION DES PERSONNES EN DÉTRESSE

A. Le contenu des résolutions des Nations unies consacrant le droit de New York

2. La production normative du Conseil de sécurité

L’article 24 de la Charte des Nations unies affirme que la mission principale du Conseil de sécurité réside dans le maintien de la paix et de la sécurité internationale. C’est dans le cadre de cette mission qu’il a adopté un certain nombre de résolutions relatives à des crises humanitaires survenues au début des années quatre-vingt-dix. L’interprétation qui a été faite par la suite de ces résolutions marque une divergence de points de vue. Tandis que certains y voient la consécration juridique d’un droit d’ingérence humanitaire, transcendant la

367 Consacré par la résolution 46/182, la mise en place de ce fond de financement humanitaire sera concrétisée

avec la création du CERF ; voir Supra.

souveraineté étatique, d’autres les entrevoient comme de quelconques résolutions sans grande portée juridique. La plus significative de ces résolutions est la résolution 688 du 5 avril 1988 en ce qu’elle marque une plus grande prise en compte des questions humanitaires dans l’agenda onusien. C’est pourquoi nous tenterons de relever le contenu (b) puis la portée de cette résolution(c) sans oublier d’évoquer les circonstances de son adoption (a).

a. La résolution 688 : une résolution conjoncturelle

À l’issue de la guerre du golfe, deux parties de la population Irakienne (les Kurdes et les Chiites) se soulevèrent contre le régime en place à Bagdad. Ce soulèvement populaire provoqua une violente répression de la part du pouvoir central et un exode massif d’une population de près d’un million de personnes vers l’Iran et la Turquie.

De prime abord, le gouvernement américain adopta vis-à-vis du problème Kurde, une attitude attentiste et pour le moins passive. Quant à la Turquie, elle n’accueillit pas avec grand enthousiasme les réfugiés irakiens. Conscients de la gravité de cette crise humanitaire, les Nations unies mirent en place grâce aux contributions de certains États, une opération humanitaire sans précédent, sous l’autorité du prince Sadruddi Aga Khan. Face à cette situation, certaines ONG occidentales parmi lesquelles Médecins Sans Frontières (MSF) déclenchèrent une vaste campagne médiatique visant à montrer au reste du monde la répression que subissait la minorité Kurde et l’indifférence des puissances occidentales. À cette pression de l’opinion publique internationale, s’ajoutait une pression au sein même des États. Ce fut le cas en France avec l’intervention du parlement, du Sénat, des associations de défense des droits de l’homme et de l’institut kurde à Paris.

Ces pressions internes aussi bien qu’internationales emmenèrent les pays occidentaux à revoir leur position. Ainsi, le 2 avril 1991, la France réclama une réunion d’urgence du Conseil de sécurité de l’ONU. Roland Dumas déclara à ce propos : « le droit est une chose, mais la

sauvegarde d’une population est une autre chose aussi précieuse, à laquelle l’humanité ne doit pas rester

insensible » 369. Le représentant français à l’ONU, Monsieur Rocherau de la Sablière, fit circuler

de son côté un projet de résolution demandant que le Conseil de sécurité « marque sa profonde

préoccupation face aux exactions commises contre les populations civiles en Irak », « condamne la répression

sous toutes ses formes » et « exige qu’il y soit mis fin sans délai ». Le texte français appela également

« au dialogue entre le gouvernement de Bagdad et les minorités » et à la réalisation des aspirations légitimes du peuple irakien « dans toutes ses composantes ». Toutefois, cette position de la France provoqua de nombreuses réticences de la part de certains États, notamment des États-Unis

369 Voir à ce propos l’article du Monde du 3 avril 1991. Cité par DELPAL M.-C., Politique extérieure et Diplomatie

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dont les représentants refusèrent que l’appel à la cessation de la répression soit intégré dans le projet de résolution alors en cours de discussion, pour la mise en place d’un cessez-le-feu formel en Irak.

Face à ces réticences, deux possibilités s’offraient donc à la délégation française : soit la lecture d’une simple déclaration par le président du Conseil de sécurité, soit le vote d’une résolution séparée. Ce fût la dernière option qui fut retenue, non seulement compte tenu des pressions internes et internationales mais également au vu de la situation humanitaire qui empirait. Toutefois, le contenu de cette résolution reste décevant par rapport aux ambitions affichées par les initiateurs de ce projet.

b. Un contenu laconique

À la différence des précédentes résolutions de l’Assemblée générale 370 qui ont été parrainées par la France, la résolution 688 le fut par les États-Unis, la Grande Bretagne et la Belgique. Celle-ci fut adoptée le 5 avril 1991 par dix voix pour, trois voix contre (Cuba, Yémen, Zimbabwe) et deux abstentions (la Chine et l’Inde). Le Conseil de sécurité y situe d’emblée son action dans le cadre de ses devoirs et ses responsabilités en vue du maintien de la paix et de la sécurité internationales. Son intervention en faveur des populations irakiennes, victimes des attaques de Saddam Hussein s’inscrit dans cette logique. Ainsi, le Conseil de sécurité établit un lien manifeste entre le drame humanitaire résultant d’une violation manifeste des droits de l’homme et une menace à la paix et à la sécurité internationales. On assiste à un élargissement du champ de compétence du Conseil de sécurité incluant ainsi les droits de l’homme dans la mesure où leur non respect peut constituer une menace à la paix et à la sécurité internationales 371.

La doctrine majoritaire estime à cet égard que l’avancée majeure de cette résolution réside dans le fait que pour la première fois, le Conseil de sécurité, compte tenu de ses attributions particulières, s’intéresse à un problème d’ordre humanitaire. Mais en ce domaine, le Conseil de sécurité adopta une démarche somme toute particulière. Seule une répression grave, massive et très meurtrière est susceptible de constituer une menace à la paix et surtout dès l’instant où ses effets se font sentir sur les États limitrophes du lieu de répression.

Par ailleurs, si le langage amplement diplomatique des résolutions de l’Assemblée générale, laissait planer le doute quant à leurs portées, les termes ici utilisés par le Conseil de sécurité relèvent plus de l’injonction que de la recommandation. Ainsi, le conseil « condamne la répression

370 Résolutions 43/131 et 45/100. 371 Voir supra.

des populations civiles irakiennes » 372 ; « exige que l’Irak mette fin à la répression » 373 et « insiste pour que

l’Irak permette un accès immédiat des organisations humanitaires internationales aux populations sinistrées ».

On peut cependant remarquer que la souveraineté de l’Irak a été fortement ménagée en vue de la mise en œuvre des opérations de secours. Ainsi, selon l’article 3 du dispositif de la résolution, l’accès aux victimes est autorisé par le gouvernement irakien quand bien même il est instamment pressé par le Conseil de sécurité de faciliter l’action des organisations humanitaires. Cela se traduit par le rappel explicite des dispositions du paragraphe 7 de l’Article 2 de la Charte des Nations unies, car cet article est généralement considéré comme le garant du respect de la souveraineté, de l’intégrité territoriale et de l’indépendance politique d’un État. Si la résolution 688 marque une étape importante dans les relations internationales, en ce qu’elle démontre une plus grande prise en compte des questions humanitaires au niveau international. Doit-on pour autant conclure qu’elle inaugure l’avènement d’un nouvel ordre mondial humanitaire comme le prétendent certains ?

c. L’avènement discutable d’un nouvel ordre humanitaire international

C’est au début des années 1990, à l’issue de la guerre du golfe, que le concept de « nouvel ordre mondial » est apparu dans le discours des dirigeants des pays développés et en particulier dans celui de l’ancien président américain George Bush. Ce dernier, en énonçant au Congrès américain les objectifs des États-Unis le 11 septembre 1990 dans leur guerre contre l’Irak, a proclamé la naissance d’un « nouvel ordre mondial ». Ce nouvel ordre devait consister en « une

nouvelle ère libérée de la menace de la terreur, plus forte dans la recherche de la justice et plus sûre dans la quête de la paix. Une ère dans laquelle les nations du monde, Est et Ouest, Nord et Sud, peuvent prospérer et vivre

en harmonie » 374. La notion même de nouvel ordre humanitaire international suppose

l’existence d’un ordre présent jugé insatisfaisant, mais la réalité de cet ordre est loin d’être un acquis. On suppose donc que cet ordre peut être amélioré et, pour cela, il faudra mettre en place des mécanismes opérationnels réellement fonctionnels ainsi que des procédures de sanction. L’ONU n’est, dès lors, pas l’instrument adéquat pour accomplir cette tâche au regard de ses difficultés de fonctionnement. C’est pourquoi ce nouvel ordre mondial n’a pas survécu

372 Cf. Article 1 du dispositif de la résolution. 373 Cf. Article 2 du dispositif de la résolution.

374 Cité par HERMAN P., « Le monde selon Bush : genèse d’un nouvel ordre mondial », in A la recherche du nouvel

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à la guerre menée contre l’Irak, au cours de laquelle cette formule a essentiellement servi de sésame à l’ouverture d’hostilités qui ont infligé de terribles dégâts à ce pays 375.

Par ailleurs, on peut se poser la question de savoir si (adoptée dans une situation particulière en l’occurrence ici la situation kurde) la résolution 688 pourra-t-elle être appliquée en d’autres circonstances ? Là réside la portée limitée de cette résolution, car à l’évidence, cette résolution dans sa forme même, n’est pas extensible à des situations connexes. On le verra par la suite, lors de l’intervention américaine en Somalie, cette résolution ne fut point invoquée ; de même que dans le cas de l’ex Yougoslavie. Pire, d’aucuns ont estimé que sa lacune principale provient du fait qu’elle a été adressée à un pays vaincu, suite à une guerre entreprise par ceux-là mêmes qui ont adopté ce texte. Et donc, en dépit de son caractère contraignant, elle ne saurait fonder une règle générale ayant force de loi pour l’ensemble des crises humanitaires 376. Dès lors, cette résolution ne peut fonder un quelconque précédent, tout au plus met-elle en exergue une plus grande prise en compte des questions humanitaires dans l’agenda onusien. C’est un point de vue que le Professeur Mario Bettati partage lorsqu’il affirme que :

le pragmatisme de l’action humanitaire internationale enferme encore celle-ci dans les improvisations diplomatiques. Mais la multiplication des opérations de plus en plus souvent acceptées et saluées nous encourage. Le droit international positif n’a pas encore codifié une norme contraignante dans ce domaine. Les embryons des éléments constitutifs d’une coutume sont-ils à l’œuvre ? Tout ceci en a l’odeur, la saveur, la coutume comme dit une certaine publicité, mais est ce vraiment la coutume ? 377

Rien n’est moins sûr et d’ailleurs c’est tout l’édifice des fondements juridiques du droit de New York qui doit être relativisé.

375 ZAMUNA A., Ingérence humanitaire et droit international, Thèse de doctorat, droit international public, 1998,

p. 273.

376 Voir en ce sens, DELPAL M.-C., Politique extérieure et Diplomatie morale, op. cit., p. 84 ; CARPENTIER C., « La

résolution 688 du Conseil de sécurité : quel devoir d’ingérence ? » http://id. erudit. org/iderudit/703005ar. Voir aussi de manière plus prudente, DUPUY P.-M., « Après la guerre du golfe », RGDIP, 1991, p. 621-638. Pour un avis contraire voir Bernard Kouchner dans Le Malheur

des autres, qui désigne la résolution 688 comme opérant l’introduction du « droit d’ingérence » dans les textes

internationaux et consacrant vraiment le droit d’assistance. In KOUCHNER B, Le Malheur des autres, Paris, Odile Jacob, 1991, p. 260 et 265.

377 BETTATI M., « Assistance humanitaire et droit international » in Les droits de l’homme et la nouvelle architecture de

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