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Les résolutions de l’Assemblée générale

DURANT LES CONFLITS ARMÉS

L’ INGÉRENCE HUMANITAIRE : UNE CONCEPTUALISATION CRITIQUABLE DE LA PROTECTION DES PERSONNES EN DÉTRESSE

A. Le contenu des résolutions des Nations unies consacrant le droit de New York

1. Les résolutions de l’Assemblée générale

Généralement, les précurseurs de l’ingérence humanitaire mettent en avant deux résolutions de l’Assemblée générale des Nations unies considérées comme les textes annonciateurs d’un « nouvel ordre humanitaire international » 355.

La première de ces résolutions est sans conteste la résolution 43/131 du 8 décembre 1988 intitulée : « assistance humanitaire aux victimes des catastrophes naturelles et situations d’urgence du même

ordre » (a). La seconde résolution est la résolution 45/100 du 14 décembre 1990 qui fut

parrainée par une cinquantaine d’États et adoptée sans vote (b). À ces deux résolutions majeures, s’ajoute une troisième relative au renforcement de la coordination de l’aide humanitaire d’urgence des Nations unies : la résolution 46/182 qui vient compléter ce dispositif juridique et qui se réfère expressément à la résolution 45/100(c).

a. La résolution 43/131 du 8 décembre 1988 : un plaidoyer en faveur du droit d’accès aux victimes de catastrophes

Si les controverses liées au vote de la résolution 43/131 sont généralement relatives à sa portée, la doctrine est quasiment unanime pour souligner que son mérite principal est d’avoir réaffirmé le principe de libre accès aux victimes « des catastrophes naturelles et autres situations ». Ce principe de libre accès met en relation trois acteurs que sont l’État sinistré, les États limitrophes et les ONG et autres organisations à caractère humanitaire agissant de manière neutre et impartiale. En ce qui concerne l’État sinistré, son rôle premier dans la mise en œuvre de l’aide humanitaire est reconnu et ce dernier est prié de ne pas constituer une entrave à cette démarche. Pour l’Assemblée, « c’est à chaque État qu’il incombe au premier chef de prendre soin des victimes de catastrophes naturelles et situations d’urgence du même ordre se produisant sur son

355 Il s’agit des textes dont l’objet comme le contenu ont été qualifiés de « droit d’ingérence » humanitaire et

que le juriste préfère appeler droit d’intervention. La France a tenu pendant plusieurs années un rôle de promotion particulier en faveur de ces normes aux Nations unies, grâce à Bernard Kouchner […]. Elle a été aidée, dans cette entreprise par les travaux, parallèles à ceux de l’ONU, de la Commission co-présidée par le Prince Hassan Bin Talal de Jordanien, initiateur du Nouvel ordre humanitaire international et le Prince Saddrudin Aga Khan, ancien Haut-commissaire aux réfugiés. Cf. BETTATI M.,Droit humanitaire, p. 23.

territoire ». Du rôle majeur de l’État sinistré en matière d’assistance humanitaire, on peut

déduire le rôle secondaire des autres États qui ne pourront intervenir dès lors que l’État concerné aura démontré son incapacité à secourir sa population. Autrement dit, étant donné qu’il revient à chaque État d’assister sa propre population, l’État sinistré se doit de prime abord de venir au secours de sa population et c’est seulement si ce dernier est défaillant que l’aide internationale pourra intervenir. En outre, la résolution affirme que « le fait de laisser des

victimes sans assistance représente une menace à la vie humaine et une atteinte à la dignité de l’homme » 356. À ce titre, elle « exhorte la rapidité des interventions » 357 en déclarant que « cette rapidité permet d’éviter

que le nombre des victimes ne s’accroisse tragiquement » 358. Par cette position, l’Assemblée a certes franchi un pas, mais elle a manqué d’audace, car on le verra par la suite, c’est à l’occasion de la question Kurde, que le Conseil de sécurité qualifiera une situation humanitaire en menace contre la paix et la sécurité internationales.

À côté de l’État, qui voit son rôle majeur réaffirmé, celui des ONG locales et autres organisations à caractère humanitaire est énoncé. Ainsi « à côté de l’action des gouvernements et des

organisations internationales, la rapidité et l’efficacité de cette assistance reposent souvent sur le concours et l’aide d’organisations locales et d’organisations non gouvernementales agissant dans un but strictement

humanitaire » 359. Ces organisations se voient conférer un rôle complémentaire à celui de l’État

sinistré en ce sens que leur participation s’avère nécessaire pour une meilleure organisation des secours en vue de limiter les pertes en vies humaines. On assiste donc à une reconnaissance du rôle des ONG en matière d’assistance humanitaire et ceci suppose que les États leur garantissent des facilités d’accès accordés aux organismes de secours désignés dans les Conventions de Genève de 1949, ainsi que leurs Protocoles additionnels de 1977. Ce texte insiste par ailleurs sur le fait que la Charte des Nations unies doit permettre de réaliser la coopération internationale, en apportant une solution aux problèmes internationaux d’ordre humanitaire. Résoudre ces problèmes devrait permettre une meilleure garantie de la paix et de la sécurité internationales et d’assurer un respect équitable des principes de justice au niveau international. Dans une telle perspective, l’aide d’urgence peut jouer un rôle important dans la préservation de la paix et de la cohésion sociale à l’intérieur d’un pays et, par voie de conséquence, au niveau international. Le rôle des États limitrophes est aussi souligné. Ces derniers sont ainsi priés de coopérer et de faciliter le transit de l’aide humanitaire

356 Préambule de la résolution, paragraphe 8. 357 Idem, paragraphe 10.

358 Ibidem.

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internationale. De même, ils sont priés « de participer étroitement aux efforts internationaux de coopération avec les pays touchés en vue d’autoriser le transit de l’assistance humanitaire » 360.

Le New York Times, très critique sur l’ensemble de la session de l’Assemblée générale, a salué le projet français du 6 décembre, comme le seul point de progrès dans un triste paysage d’une ONU plus volontiers « faiseurs de mots » que « faiseurs de droit […] » 361. En dépit de ces nombreuses critiques, il faut relever que, le principe de libre accès, énoncé par la résolution 43/131, a été repris par le Conseil de sécurité dans plus de trois cents textes relatifs à une vingtaine de conflits. Chaque fois, l’organe des Nations unies a affirmé sa compétence en matière de droits de l’homme et son exigence d’en faire assurer le respect au besoin par la force ou par la justice pénale internationale 362.

Si la résolution 43/131 rappelle le principe fondamental de libre accès aux victimes, la résolution 45/100 quant à elle, concerne l’établissement des couloirs d’urgence humanitaire.

b. La résolution 45/100 du 14 décembre 1990 : l’annonce de l’érection des couloirs d’urgence humanitaire

Le dispositif de la résolution 43/131 a été complété par celui de la résolution 45/100. Plus prospective, cette dernière se propose d’étudier l’établissement de corridors humanitaires ou couloirs d’urgence humanitaire.

Les couloirs d’urgence humanitaire visent à surmonter les difficultés rencontrées dans la mise en œuvre du principe de libre accès énoncé dans la résolution précédente. La nécessité de ces corridors humanitaires se justifie dans la mesure où l’Assemblée est « convaincue que, dans la

mise en œuvre de l’assistance humanitaire, en particulier dans l’apport de nourriture, de médicaments ou de soins médicaux, pour lesquels l’accès aux victimes est indispensable, la rapidité permet d’éviter que le nombre de

ces victimes ne s’accroisse tragiquement » 363. Et pour ne pas rencontrer l’opposition ou du moins la

méfiance de l’État sur le territoire duquel a eu lieu la catastrophe,

ces corridors se doivent d’être limités dans le temps : il s’agit d’un droit de simple transit réduit à la durée nécessaire aux secours ; limités dans l’espace : ils doivent être bornés aux seuls trajets d’accès ; limités dans l’objet c’est-à-dire n’avoir d’autre fonction que l’apport de soins, médicaments, matériels médico-chirurgical, nourriture, à l’exclusion de toute autre forme d’assistance. Limités dans l’exercice : ils doivent être soumis à des règles qu’il conviendrait de définir et qui pourraient être transposées de celles codifiées à l’article 19 de la Convention de Montego-Bay sur le droit de la mer de 1982. Limités par une déontologie afin de prévenir la

360 Dispositif paragraphe 6.

361 Cité parBETTATI M.,« La France et le nouvel ordre humanitaire mondial », Esprit, 1989, p. 120. 362 Du même auteur, Le droit humanitaire, op. cit., p. 27.

confusion, la dispersion, voire les contre-performances dans l’octroi et la distribution de l’assistance et de respecter l’impartialité de tous ceux qui dispensent une assistance humanitaire. 364 Dès lors que cette aide est distribuée selon les conditions susmentionnées, elle ne saurait comme le mentionne la CIJ, « être considérée comme une intervention illicite ou à tout autre point de vue

contraire au droit international » 365. Il conviendrait toutefois de rappeler que l’idée de ces couloirs

d’urgence n’est pas si novatrice. Il s’agit en réalité de la transposition de règles classiques du droit international humanitaire qui ont pour but de soustraire des combats et d’apporter des soins à une catégorie donnée d’individus. Le mérite de cette résolution est d’avoir réactualisé un dispositif important du droit international humanitaire. D’ailleurs grâce à cette résolution, des corridors humanitaires ont été récemment installés dans la crise en Libye (2011) ou en Syrie (2013).

En plus des dispositions qui concernent les couloirs humanitaires, la résolution comporte des dispositions relatives à l’évaluation de l’ampleur des catastrophes, l’idée étant d’optimiser les secours en les adaptant aux besoins réels des victimes afin d’éviter les dysfonctionnements de l’aide rencontrés dans le passé. Toujours dans cette logique efficiente de l’assistance humanitaire, cette résolution fait référence à une « juste évaluation des besoins, une préparation

expérimentée des actions et une coordination efficace de leur conduite » 366. La référence ainsi faite dans cette résolution à une coordination efficace de l’aide internationale conduira à l’adoption de la résolution 46/182.

c. La résolution 46/182 du 19 décembre 1991 : le renforcement de la coordination de l’aide humanitaire d’urgence des Nations unies

D’un contenu bref et comme son nom l’indique, cette résolution vise à améliorer la coordination de l’assistance humanitaire d’urgence de l’ONU, notamment par la mise en place d’un Département des Affaires Humanitaires et d’un mécanisme de coordination entre les diverses agences onusiennes. En outre, il est fait mention de l’idée selon laquelle l’action humanitaire d’urgence doit s’accompagner d’actions de développement ; un lien entre assistance humanitaire et actions de développement est ainsi crée, car originairement, l’action humanitaire ne visait que les initiatives urgentes portant sur le court terme. L’Assemblée générale estimant en effet, qu’il existe un lien manifeste entre les situations d’urgence, le relèvement et le développement. Pour que le passage des mesures de secours au relèvement et

364 BETTATI M., Un droit d’ingérence ? op. cit., p. 645.

365 Affaire des activités militaires et paramilitaires au Nicaragua et contre celui-ci (Nicaragua C/ États-Unis) arrêt du 27 juin

1986, Rec., 1986, p. 124§ 242.

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au développement se fasse sans heurts, l’aide d’urgence devrait être fournie de manière à appuyer la reconstruction et le développement à long terme.

Par ailleurs, cette résolution réitère le rôle fondamental que les Nations unies ont à jouer en matière de coordination humanitaire. Ce rôle est non seulement « central » mais surtout « unique ». Et pour palier les carences constatées dans le passé, un accent particulier est mis sur la prévention des catastrophes et situation d’urgence de tout ordre. Aussi, l’aide humanitaire nécessitant d’importantes ressources, l’Assemblée a-t-elle évoqué le problème du financement des situations d’urgence résultant de la survenance de catastrophes naturelles. À cet égard, il paraît nécessaire comme le suggère l’Assemblée générale des Nations unies « de

prévoir un mécanisme central de financement complémentaire afin de disposer de ressources suffisantes lors de la phase initiale d’une situation d’urgence […] ». Et considérant au surplus que « le Secrétaire général devrait créer, sous son autorité, un fonds central auto renouvelable d’urgence qui devrait être conçu comme un mécanisme d’autofinancement permettant aux organismes du système d’intervenir rapidement et de façon coordonnée » 367.

Dans le même ordre d’idées, un coordinateur de secours d’urgence a été nommé par le Secrétaire général. Ce dernier « combinerait les fonctions de coordination de l’action des Nations unies

actuellement exercées par les représentants du Secrétaire général dans les situations d’urgences complexes et de grande ampleur, ainsi que par le Coordonnateur des Nations unies pour les secours en cas de catastrophes » 368. Le bien fondé d’une meilleure coordination des opérations de secours est indiscutable. Cela permettra une juste évaluation des besoins en fonction de la situation d’urgence et facilitera également le contrôle de la distribution des secours afin qu’ils ne soient détournés à d’autres fins. Après avoir évoqué le contenu des résolutions de l’Assemblée générale. Qu’en est-il de celles du Conseil de sécurité ?

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