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un genre à fonctions didactique et éducative pour imiter et inventer

7.1. Choisir un genre

7.1.4. Les robinsonnades au fil des siècles

En écrivant Robinson Crusoé, Defoe ignorait que par détournement et réécriture, son œuvre donnerait ainsi naissance à un genre littéraire. L’œuvre rencontre un immense succès et est immédiatement rééditée. Des éditions abrégées sont proposées aux enfants avec l’existence de sous-titres à fonction résumante et explicative tels que celui du chapitre 1 : « Naissance et éducation de Robinson. Il veut à toute force aller sur mer » (Defoe, 1920 : 1). L’histoire se propage d’une part par le canal de la littérature de colportage qui en diffuse des éditions simplifiées et abrégées, d’autre part par des adaptations d’auteurs aristocrates ou bourgeois. Le scénario est convenu : le héros quitte son milieu de vie, un évènement indépendant de sa volonté le projette dans un milieu inconnu où il devra survivre par ses propres moyens ; le plus souvent, suite à ce voyage initiatique, il retourne chez lui. Robinson a d’abord inspiré des auteurs-éducateurs. Il s’agit à travers le roman d’éduquer et d’instruire5. Les pédagogues héritiers des Lumières opèrent

5 « Le patron romanesque offert par Defoe apparait donc comme une aubaine, une nouvelle voie, pour la littérature de jeunesse qui, rappelons-le, a pour triple fonction d’éduquer, instruire et distraire » (Dubois-Marcoin 1996 : 78).

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un processus d’euphémisation ou de domestication de l'aventure (Dubois-Marcoin, 2016). Du XVIIIe siècle à l’aube du XXe siècle, l’utilisation de ce genre témoigne des fonctions assignées à la littérature enfantine : « entre éducation, instruction et récréation ». (Leclaire-Halté, 2004).

• Le robinson « bien-pensant » du siècle des Lumières

C’est vers 1770 que le processus de détournement/réécriture va s’opérer massivement sous des formes diverses. En 1767 parait la première adaptation explicitement destinée aux enfants, L’Isle de Robinson Crusoé « extraite de l’anglois par M. de Montreille » (De Montreille, 1767). Dès cette époque, la robinsonnade peut s’adresser à des adolescents mais aussi à un public plus jeune comme L’Isle aux enfants proposée par Mme de Genlis aux apprentis lecteurs de cinq à six ans, dans le cadre d’un traité d’enseignement6. Il s’agit dans cette œuvre de la mise en place d’un jeu, dont le fonctionnement est réglé par les parents, destiné à leurs enfants jeunes aristocrates avec pour objectif de leur enseigner « la patience, l’industrie et l’activité du célèbre voyageur » (Dubois, 1992). Ces robinsonnades sont très tôt utilisées à l’école pour apprendre à lire, pour accroitre les connaissances encyclopédiques et écrire le latin. Robinson der Jüngere (1779) de Campe, traduit sous le titre Le Jeune Robinson (1797), s’inscrit en Allemagne dans une réflexion pédagogique. Il faut compter parmi les réécritures de Robinson le célèbre romain Paul

et Virginie de J.-H. Bernardin de Saint-Pierre (1779). Les robinsonnades se centrent sur le séjour

insulaire « ce qui permet aussi de gommer ou de rendre moins visible l’épisode problématique de la fugue initiale » (Leclaire-Halté 2000 : 45). Ce séjour est l’occasion de se concentrer sur le travail manuel et utile et de valoriser le comportement courageux, patient et méticuleux du travailleur. Il permet aussi de se placer sur le terrain de la proximité avec la nature : « L’exotisme devient une exhortation à apprendre [...] les robinsonnades disent aux jeunes lecteurs les dangers de l’ignorance (Nières, 1985 : 277). Les valeurs présentes, les références idéologiques, les lieux de publication et les publics visés vont changer selon les années et c’est cette « plasticité idéologique qui explique sans doute le succès et la longévité du genre » (Leclaire-Halté, 2000 : 45). La robinsonnade devient ainsi le socle essentiel de la littérature de jeunesse du XIXe siècle. • La robinsonnade, socle de la littérature de jeunesse du XIXe siècle : un roman éducatif

Le genre est en effet particulièrement florissant au XIXe siècle, notamment en raison de l’œuvre de J. D. Wyss Le Robinson suisse (1813). Publié en en France en 1865, cette œuvre écrite par un pasteur suisse, met en scène une famille unie et courageuse dont les membres joignent leurs efforts pour créer des moyens d’existence avec les ressources de la nature. Le roman apporte de nombreux savoirs et des valeurs pragmatiques du travail et éthique du nationalisme. Madame

6 « Nouvelle méthode d’enseignement pour la toute première enfance » (parue chez Métayer Aîné, Besançon, an VIII).

de Beaulieu l’adopte et propose une suite, ce qui incite le pasteur à publier une suite officielle en 1827. Cette œuvre aux messages idéologiques marqués et aux savoirs encyclopédiques a en effet quasiment supplanté le Robinson originel auprès des enfants du XIXe siècle (Dubois-Marcoin, 2016).

D’autres robinsonnades montrent un lieu d’épreuve et d’abnégation. Avec le Robinson

des glaces de E. Fouinet (1851), le lecteur vit l’abandon puis la mort d’un enfant sur la banquise

comme sanction d’une insubordination. Le Robinson de douze ans de Mme M. De Beaulieu (1852) est un jeune garçon orphelin, Félix, aux allures christiques, qui doit élever seul un enfant perdu recueilli dans un panier.

Les robinsonnades sont également des romans de conquêtes. En ce siècle de progrès économiques et sociaux, Robinson devient le porte-parole d’un message politique : l’entreprise coloniale. Le robinson des sables du désert de C. Mirval (1837) se situe en Afrique du nord occidentale, alors qu’entre 1830 et 1848, la France conquiert l’Algérie. Le Robinson chrétien de

Régnier (1838) est aussi l'expression d'un conservatisme exacerbé voire la vitrine de la conquête

coloniale. Les robinsons français de la nouvelle Calédonie de Morlent (1856) mettent en valeur les forces militaires françaises et pose la question de la rencontre : ici les robinsons sont pris en charge par une femme noire. La littérature est traversée à cette époque par le débat national qui pose la question des devoirs de ceux qui savent, envers les peuples « sauvages » ou colonisés (Dubois, 1992 :131). Cette question sera reprise par Tournier dans Vendredi ou la vie sauvage (1971).

À côté des robinsonnades qui servent la cause coloniale, figurent les robinsonnades utopiques (Dubois-Marcoin, 2016). L'installation progressive d'un ordre laïque et républicain modifie le genre qui hésite désormais « entre exaltation du progrès et expression d'un engloutissement des illusions politiques » (Dubois-Marcoin, 2000). La robinsonnade agit dans le dernier quart du XIXe comme une consécration de l’artificiel (l’industriel) sur le naturel. C’est l’expression du mirage utopique des républicains. Dans Les Insulaires ou les nouveaux Robinsons de O. Fournier (1843), l’enfant qui assume le rôle de leadeur ne parvient pas à imposer son organisation sociale de sorte que certains retournent à l’état sauvage. Ce scénario rappelle celui que Golding (1954) adoptera pour Sa Majesté les Mouches. D’autres œuvres comme Le Cratère de J. Fenimore Cooper (1847) renvoient à ce rêve de la prise de possession de la terre vierge. On retrouve ici le motif de la trace du pied sur la cendre qui se craquèle. Parmi les œuvres de Jules Verne qui ont pu être considérées comme des robinsonnades, L’ile mystérieuse (1874-1875) met en scène cinq passagers américains d’un ballon arrivant par accident sur une terre vierge, après avoir jeté par désespoir tout ce qu’ils avaient dans leur nacelle. De rien, il faudrait donc reconstruire tout. C’est le savoir des colons qui permet d’exploiter les ressources animales, végétales et minérales (Chesneaux, 1971 : 31-32). L’œuvre fait « l’apologie de la science et du progrès » (Leclaire-Halté, 2000 : 54) C’est aussi un « hymne au travail » (Chesneaux, 1971 : 62)

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et surtout la mise en valeur d’idées républicaines nouvelles : « la libération des peuples opprimés et colonisés », la dénonciation des « travers de l’impérialisme » et de « l’inacceptable esclavagisme » (Dubois-Marcoin, 1996 : 88). Contemporain de Jules Verne, l’écrivain écossais R. L. Stevenson (1850-1894) déclare avoir été lui aussi fasciné par Robinson Crusoé et décrit son enfance dans Voyage avec un âne dans les Cévennes (1879). Il évoque l’œuvre comme modèle littéraire7 et récrit certains épisodes dans plusieurs de ses romans. L’ile au trésor (1883) raconté par le jeune Jim Hawkins se divise en « aventure à terre » et « aventure en mer ». Dans Coral

Island de R. M. Ballantyne (1858), on peut lire l’expérience jouissive d’un nouveau rapport au

monde.

Les invariants de Robinson sont adaptés aux situations historiques, géographiques (de nombreuses robinsonnades dont le titre évoque la nationalité du héros) et sociales, mais aussi au public. Des femmes écrivains s’approprient le genre au milieu du siècle. L’Isle aux enfants de Madame de Genlis déjà cité, opère une « miniaturisation » de la robinsonnade (Dubois-Marcoin, 2016) : des parents imaginent un jeu théâtral dans lequel s’investissent des domestiques nains permettant aux enfants de vivre par leur corps les épreuves du naufrage et de la survie. On trouve d’autres exemples de l’écriture féminine comme Emma ou le Robinson des demoiselles de Madame Woillez (1834), où l’héroïne orpheline surmonte avec vaillance les épreuves de l’ile et recueille une autre fille. La comtesse de Ségur dans Les vacances (1859) propose une version singulière avec le retour de deux naufragés qui racontent leurs aventures ; naufrage, sauvages et délivrance. Dans ces robinsonnades pour filles, les épreuves mettent en évidence leur courage, leur capacité à suppléer parfois au manquement des adultes, à assumer des figures maternelles et d’institutrices. Cependant, dans l’ensemble, les femmes n’apparaissent que secondaires. Dans Le

Robinson Suisse (1813), par exemple, l’image de la femme est des plus traditionnelles. C’est une

épouse et une mère effacée qui reproduit les tâches dévolues aux femmes de l’époque. Les jeunes filles répondent au schéma maternel. Emma, la naufragée du Robinson des demoiselles (1834) « fait un pot-au-feu de tortue à peine arrivée sur l’ile, s’aménage une grotte confortable, joue le rôle de mère adoptive pour une jeune orpheline, elle aussi naufragée » (Leclaire-Halté, 2000 : 50). Tout au long du XIXe siècle, la robinsonnade assume donc à la fois une mission éducative et, à travers les valeurs religieuses ou laïques, pragmatiques et éthiques qu’elle transmet, une mission de reproduction de l’ordre établi ou au moins de maintien de l’organisation sociale. On peut voir une certaine apothéose du genre avec l’opéra-comique de Jacques Offenbach,Robinson Crusoé,qui est joué pour la première fois en 1867. Progressivement, la robinsonnade épouse en effet de nouveaux contours.

7 Il écrit : « De solitaires crusoés construisent des bateaux ». Essais sur l’art de la fiction publié à titre posthume en 1905.

• De nouvelles formes de robinsonnades aux XXe et XXIe siècles

De grands écrivains s’emparent du mythe : H. G. Wells, The Island of Dr Moreau (1896), Jules Supervielle, Robinson comédie en trois actes (1948) ; P. Valéry, Robinson : Le Robinson

oisif, pensif, pourvu (1950) ; M. Tournier, Vendredi ou les Limbes du Pacifique (1967) et Vendredi et la Vie sauvage (1971) et U. Eco, L’isola del giorno prima, l’ile du jour d’avant

(1994). J. Giraudoux, avec Suzanne et le Pacifique (1921) prolonge la tradition des robinsonnades féminines puisque Suzanne se retrouve après un naufrage sur une ile déserte et y découvre des objets abandonnés par un marin allemand échoué là avant elle. Parmi ceux-ci se trouve un exemplaire du Robinson Crusoé dans la lecture duquel elle se plonge aussitôt pour se livrer à une critique du personnage : « Le seul homme peut-être, tant je le trouvais tatillon et superstitieux que je n’aurais pas aimé rencontrer dans une ile ». Le poète Saint-John Perse dans son recueil Images

à Crusoé (1904, publié en 1911) imagine Robinson retourné à la civilisation et méditant sur son

séjour dans l’ile8. De même plusieurs œuvres croisent science-fiction et robinsonnade, comme les trois romans de Maurice Bitter : Les Robinsons du Temps dans la préhistoire (1982), les

Robinsons du Temps à la guerre de Troie (1983) et les Robinsons du Temps dans le Pacifique

(1985).

Le genre pénètre le XXIe siècle avec des écrits grand public comme Soudain, seuls, d’Isabelle Autissier (2015) qui confronte deux jeunes parisiens à la solitude d’une ile déserte. Le couple ne ressort pas indemne de son isolement.

Les robinsonnades ne disparaissent pas non plus de la littérature de jeunesse. Bien que moins en vogue, la robinsonnade pour enfants traverse le XXe siècle. D’une part, des romans sont réimprimés régulièrement et jusqu’à la fin du XIXe siècle si bien que « les jeunes lecteurs du début du siècle baignent dans les mêmes valeurs que ceux du siècle précédent » (Leclaire-Halté, 2000 : 58). D’autre part, de nouvelles robinsonnades sont écrites. Dans la première moitié du siècle, peu de changements majeurs sont à signaler puisque chacune des robinsonnades s’appuie encore sur le didactisme, le moralisme ou le patriotisme. Dans la seconde moitié du XXe siècle, s’opère un élargissement de la notion de robinsonnade et la diversification des titres qui ne reprennent plus systématiquement la référence à l’hypotexte de Defoe. Patriotisme et colonialisme sont progressivement abandonnés au profit d’un message antiraciste. En revanche, la robinsonnade garde sa fonction didactique et moraliste et évolue peu dans son rapport à l’image

8 L’œuvre est à rapprocher du poème de Francis Jammes « Sur Robinson Crusoé » composé en 1900 et publié en 1906 dans Pensées des Jardins.

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des femmes et des jeunes filles. Il faut citer ici une réécriture contemporaine et tout à fait singulière qui remet en cause la vision innocente de l’enfance. Il s’agit de Sa Majesté des mouches de W. Golding (1954), œuvre que son auteur ne destinait pas aux enfants mais qui toutefois est éditée en France dans des collections pour la jeunesse. Le livre est un véritable retournement9 en montrant des enfants capables de constituer une sorte de milice s’adonnant à la violence et au meurtre. Dans le cadre de notre protocole, nous avons retenu un extrait de cette œuvre qui ne présente pas de caractère violent, car il est essentiellement descriptif et s’attache à dépeindre une nature bienveillante et luxuriante. L’ouvrage fait également l’objet d’une adaptation cinématographique avec Lord of the flies de Peter Brook en 196310.

Ce qui caractérise le XXe siècle c’est d’une part que la robinsonnade infiltre les autres genres et d’autre part qu’elle contamine toutes les formes d’expression artistique. Dans la littérature de jeunesse, comme dans la littérature pour adultes, on trouve de très nombreuses variantes du genre. Dans À vos risques et péril (Pascale Maret, 2007), des lycéens sont pris en otage lors du tournage d’une émission de téléréalité, occasion de porter un regard critique sur ce type de programmations. Sans cesse en mutation, la robinsonnade s’adapte aux problématiques sociales avec Le Robinson du métro (Felice Holman, 2010) lorsqu’un orphelin de 13 ans rejeté par tous, se réfugie dans le métro pour échapper aux tourments de la vie new-yorkaise. Elle interroge aussi la condition des femmes avec Elle s’appelait Catastrophe (Nancy Farmer, 2000) livre dans lequel une jeune fille choisit de s’exiler volontairement passant du Mozambique au Zimbabwe pour échapper à un mariage forcé et partie seule sur une barque la conduisant sur une ile sans buissons, sans arbres et sans herbe.

Le XXe siècle ouvre la voie des robinsonnades illustrées. La robinsonnade inaugure le premier album de jeunesse. Macao et Cosmage ou l’expérience du bonheur (Edy Legrand, 1919) est un livre magnifique racontant une histoire d’amour entre un homme blanc et une femme noire sur une ile paradisiaque, quand soudain la civilisation vient à leur rencontre et change tout. D’autres albums reprendront le thème du voyage initiatique et la Bande Dessinée accueille aussi ses robinsons. On pense à des B.D présentes dans les écoles comme Le ventre de la chose (Hubert Ben Kemoun, 2006) ou Les derniers géants (François Place, 2008). Robinson Academy de Franquin et Dugomier (tome 18, 2015) montre le milieu naturel du Marsupilami envahi par le tournage d’une émission de téléréalité et séduit de nombreux écoliers.

9 « [il] renverse brutalement cette représentation conformiste et sécurisante de l’enfance inoffensive et surtout perfectible : dans la nature et l’isolement, une bande d’enfants retombe dans la barbarie et oublie les règles qui permettent à une société démocratique de se maintenir. » (Dubois, 1992).

10 Sa Majesté des clones de Jean-Pierre Hubert propose également une relecture pour enfants du livre de

Le genre ne concerne pas seulement la littérature, le grand public et l’enfance. Il s’évade de l’enveloppe livresque, porté par de nouveaux médias. Le cinéma s’empare de Robinson pour adapter le roman de Defoe. C’est Georges Méliès en 1902 qui réalise la première adaptation avec

Les Aventures de Robinson Crusoé, le titre marquant clairement l’attachement de l’œuvre à son

genre. D’abord en noir et blanc, les films se multiplient à partir des années 1940 avec de nouvelles adaptations, des mises à l’écran de robinsonnades issues de la littérature, et de nouvelles robinsonnades. Le cinéma permet même des détournements de robinsonnades. Le genre se maintient à l’écran jusqu’aux portes du XXIe siècle. Into the Wild de Sean Penn en 2007 propose une version tragique du Robinson qui meurt de solitude face à une nature hostile. La conclusion qu’un bonheur n’est réel que lorsqu’il est partagé donne une dimension morale à l’œuvre. Robinson se transporte sur des terres jamais inexplorées. En 1964, Byron Haskin sort un film de science-fiction d’une transposition hautement fantaisiste du roman de Defoe sur Mars, avec la présence de Vendredi, Robinson Crusoe on Mars. L’idée est reprise en 1998 avec Stephen Hopkins dans Lost in Space, et en 2015 avec The Martian (Seul sur Mars) de Ridley Scott. Le genre est plastique et utilise le dessin d’animation. La robinsonnade alimente également les séries télévisées. Vendredi ou la vie sauvage de Tournier, dont nous avons choisi un extrait, est proposé sous la forme d’un téléfilm par Gérard Vergez en 1981.

Mais le phénomène le plus marquant est sans doute la série américaine diffusée en France de 2005 à 2010, Lost. L’histoire pourrait être simple : un avion reliant Sidney à Los Angeles explose en vol et s’écrase sur une ile non répertoriée du Pacifique. Les rescapés confrontés à une menace non identifiée s’organisent pour survivre. La série tient le public en haleine à travers six saisons et cent-vingt-et-un épisodes. Sarah Hatchuel dans son essai Lost (2013) en analyse les composantes. L’histoire s’ouvre sur le regard du héros allongé au sol encore vêtu de ses atours d’homme d’affaires et réalisant qu’il est plongé dans une jungle inquiétante. Il se relève, court, et rencontre une chaussure accrochée à un arbre, une seule chaussure comme l’empreinte d’un seul pied. Il se retrouve en présence d’un chien, compagnon habituel du robinson, sur une plage paradisiaque, mais, tournant la tête, assiste à une scène d’horreur où grouillent les rescapés du crash. Les personnages tentent en vain l’aventure maritime et un radeau est jeté à la mer. En fin de série, un naufrage classique est aussi évoqué avec l’histoire du bateau négrier « Rocher noir » lequel permet l’évocation de la colonisation et d’un esclavagisme passé. « Les autres » les autochtones sont aussi présents qui revendiquent leurs droits sur la terre et finalement sont moins dangereux que les rescapés eux-mêmes. La série flirte avec la robinsonnade surtout dans la première saison mais s’en éloigne parce qu’elle croise d’autres genres comme la science-fiction, les films d’horreurs, les séries américaines construites autour du sujet médical. Déclinant le principe adopté dans Robinson Crusoé, elle brouille les repères spatiaux et temporels. Entre imitation et invention, Lost pose finalement à ses spectateurs la question déjà posée par Robinson

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communautaire. Comme dans l’œuvre de Defoe qui fait annoncer par son héros de nouvelles aventures, il n’y a pas vraiment de clôture. La fin de la série est de libre interprétation.

Enfin, le genre devient même une expérience de vie. La robinsonnade a été exploitée y compris dans la gestion des espaces urbains11. Inventée aux États-Unis, et conjuguant éloignement et vie communautaire, on pourrait voir dans la téléréalité une métamorphose inattendue du genre : des individus ordinaires ou des personnalités publiques sont isolés dans un environnement limité et soumis à des épreuves. Du nom de l’ile thaïlandaise où fut tourné le premier épisode de

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