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Le rôle des écrits de référence dans les dispositifs d’écriture

Apprendre à écrire des récits, entre imitation et invention

4.2.5. Le rôle des écrits de référence dans les dispositifs d’écriture

« personnelle » que peut viser la didactique de la production écrite : une écriture loin de toute imitation ou reprise mécanique de règles et de consignes, mais qui met les connaissances acquises (et assises sur des stéréotypes, aussi bien de traits formels que de contenus thématiques) au service d’intentions d’auteur assumées. La maitrise des stéréotypes des genres constitue ainsi un socle qui, s’il est installé à l’école primaire, permettra éventuellement ensuite de jouer avec les stéréotypes. (Marin et Crinon 2014 : 39-56).

Les stéréotypes permettent in fine de se détacher de l’imitation mimétique des textes et favorisent l’invention. Nos travaux portent sur l’écriture d’une robinsonnade et nous verrons que cette dernière se construit sur de nombreux motifs thématico-narratifs récurrents liés au genre qui véhiculent aussi des stéréotypes (Leclaire-Halté, 2007).

Ce que pointent aussi ces travaux, c’est le rôle de l’articulation entre le lire et l’écrire à travers la mise à disposition de textes-ressources.

4.2.5. Le rôle des écrits de référence dans les dispositifs d’écriture

L’articulation entre lecture et écriture a été au fondement de l’apprentissage de l’écrit pendant des décennies en référence à une tradition rhétorique. Des didacticiens ont critiqué cette proximité trop grande entre le « lire » et « l’écrire » conduisant à un apprentissage par une imitation mécanique.

Reuter (1995) a interrogé cette relation insuffisamment pensée soulignant que rien n’a été « réellement précisé sur les modalités » de l’interaction lecture-écriture. Il invite à réfléchir à des Articulateurs Privilégiés de la Lecture-Écriture (APLE), catégories qui leur sont communes : genre, type de texte, personnage, scène, etc. et à mettre en place des expérimentations qui accentueraient fortement à partir d’un APLE le pôle lecture ou le pôle écriture, afin d’évaluer les effets de ce travail sur l’autre pôle. L’hypothèse avancée sur le plan didactique reste, à notre connaissance, à mettre à l’épreuve.

L’articulation entre le lire et l’écrire continue d’être envisagée comme une réponse aux besoins d’apprentissage. En effet, plusieurs chercheurs (Crinon, 2006b ; Corblin, 2006) ont fait le constat que les récits de fiction des rédacteurs novices ressemblent plus à des scripts qu’à des récits tant leurs textes sont courts et manquent d’épaisseur (Bucheton, 1996). Pour beaucoup d’enseignants faire produire un récit de fiction est appréhendé comme un risque de se heurter au manque d’imagination (Tauveron, 2009). Des auteurs se retrouvent sur l’attente d’originalité que le professeur formule parfois de façon explicite dans les critères d’évaluation, qu’ils analysent comme un malentendu (Tauveron 1996 ; Crinon 2006b).

L’injonction d’originalité incite en effet à s’écarter de ce que les élèves connaissent alors qu’au contraire, ils ont besoin d’imiter des modèles pour apprendre à écrire, et de créer des textes à partir des écrits d’autrui. L’insertion de ces références intertextuelles fait d’un texte d’élève un

texte original (Tauveron 1996) ou « personnel » (Marin et Crinon 2014 : 39-56). C’est le même constat qui conduit Bernanoce (2006), à établir des liens entre la lecture du texte de théâtre et l’écriture théâtrale à partir de textes-supports y compris par jeu (cadavre-exquis) et détournements de modèles. Il s’agit de s’appuyer sur l’existence précoce de procédures de reprise-modification du discours de l’autre, dont les modes de récupération varient en fonction des dispositifs didactiques, et aussi en fonction des individus (François, 2004). Les élèves intègrent ainsi à leur récit des procédés, des expressions et des tournures repérés dans des textes qu’ils ont sous les yeux et qu’ils peuvent s’approprier afin de les faire leur. Mais au-delà, ces textes agissent comme créateurs d’un univers référentiel qui va aider à construire le genre.

Les travaux conduits par Crinon et Marin, qui ont porté sur l’utilisation de banques de données textuelles, ont montré comment les textes littéraires pouvaient constituer des éléments d’accompagnement à l’écriture par un processus d’imitation/transformation. (Marin et Crinon, 2010a, 2010b ; Marin, 2014 ; Marin et Crinon, 2014 ; Marin, 2015 ; Marin et Crinon, 2017). Ces textes ressources sont utilisés dans le cadre d’une réécriture en vue de l’amélioration du texte initial, à partir de plusieurs dispositifs didactiques.

Une première série d’études a porté sur la réécriture en fin d’école primaire à partir de l’utilisation du logiciel Écrire en lisant des récits de vie9. Un faisceau thématique de textes sert à la fois de déclencheur à une réflexion collective et individuelle et de réservoir à la réécriture. Les auteurs se situent dans le cadre de l’écriture-imitation qui ne conduit pas à pasticher, mais à mieux mettre en mots leur propre expérience. L’apprenant convoque ce dont il a besoin au cours de la réécriture en s’appuyant sur une matière littéraire disponible. Marin note l’emprunt des « mots des autres pour améliorer la « microsurface textuelle » (2014 : 26) comme l’extraction d’expressions figées, l’usage d’expressions métaphoriques et de formules de description qui créent un effet d’hypotypose. L’expérimentation a montré l’existence de reprises à l’identique, mais aussi des modifications et la mémorisation de procédés. Les textes évoluent de l’intérieur, en épaississement par des dialogues, du descriptif voulu par le scripteur. Les personnages gagnent en substance par la description de leurs états mentaux, leurs émotions qui ne sont pas simplement nommés mais mis en scènes. La consultation de l’anthologie a également permis de développer leur connaissance sur le genre et de créer un univers référentiel adapté.

9 Logiciel « Écrire en lisant des récits de vie » de J. Crinon, D. Legros, S. Pachet, H. Vigne, CRDP de Créteil 2002.

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Figure 1 : Dispositif d’écriture s’inspirant du logiciel « Écrire en lisant des récits de vie »

Les recherches qui ont porté sur l’écriture d’épisodes de romans d’aventure (Marin, 2014) ont également pris appui sur un thésaurus de textes. La convocation des textes a participé à l’évolution des textes narratifs tant sur le plan sémantique que linguistique et rhétorique (Marin et Crinon, 2014). Les tuteurs invitent à insérer des précisions et des circonstances qui permettent au lecteur de visualiser la scène (et donc de produire un effet de réel) ou multiplient les notations qui convoquent un univers singulier et visuel. Les écrits gagnent en vraisemblance en s’écartant de l’imaginaire des contes ou de la fantasy et en mettant ce qui est écrit en relation avec les connaissances sur le monde. La psychologie des personnages (sentiments, émotions) est valorisée, et des scripteurs cherchent des effets énonciatifs (questions oratoires, onomatopées, anaphores nominales avec emploi subtil de guillemets...) et stylistiques (métaphores, modalisateurs...).

Figure 2 : Dispositif mis en place pour l’écriture d’épisodes de romans d’aventure (cf. Marin, 2014 :

21-30 ; « Ecriture, stéréotypes et créativité », Da Investigaçao as praticas, 4 (II))

Ces travaux montrent que la mise à disposition de textes littéraire dans une phase de réécriture et au sein d’une séquence didactique permet la construction du genre :

L’évolution des textes produits semble indiquer que caractériser les genres, non pas a priori, mais en interaction avec l’écriture, contribue à en intérioriser les codes et à être capable de les mobiliser en situation d’écriture. » (Marin et Crinon, 2014 : 39-56).

Un logiciel en ligne d’aide à l’écriture, couplé avec un autre logiciel proposant une « bibliothèque » d’extraits de textes de différents types et genres, a été développé à l’université de Grenoble sur le même principe de consultation de textes même cette fois-ci durant l’activité même de rédaction et à destination d’étudiants étrangers appelés à rédiger en langue française seconde (Mangenot & Phoungsub, 2010). Le dispositif a engendré des résultats satisfaisants, même s’il trouve ses limites dans la gestion des fragments textuels saisis par l’utilisateur qu’il doit recombiner avec son écrit pour aboutir à un texte cohérent.

Tous ces travaux concluent à l’impact des consultations de textes ressources en réécriture voire même dans la phase de première écriture. C’est que ces textes s’imposent indirectement comme une contrainte d’écriture.

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