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Le récit : une forme de discours qui combine imitation et invention

3.1. Mettre en ordre les évènements

Le récit : une forme de discours qui combine imitation

et invention

Le récit n’est pas le réel, il est langagier. François, 2004 : 32

Le récit peut se définir comme la représentation d’une suite d’éléments réels ou fictifs par le moyen du langage (Genette, 1969), bien que cette notion soit rattachée tantôt au discours narratif, lorsqu’elle est envisagée au travers des typologies, tantôt à des formes comme le roman ou la nouvelle, lorsqu’elle est considérée comme relevant de catégories génériques (Daunay et Denizot, 2007). Le récit est certainement l’unité textuelle qui a été et reste la plus travaillée (Adam, 2011) et dont « aucune théorie à elle seule ne peut rendre compte » (François, 2004 : 29). Comment le récit s’y prend-il pour donner au lecteur l’impression de vivre l’histoire qu’il lui raconte ? Le récit n’imite pas la réalité, il crée. Il est la forme de l’histoire, mais il n’est pas que contenu, il est sa mise en mots : il compose la surface textuelle en recourant à un clavier très large de techniques. Il organise l’action et met en ordre les évènements. Il marque aussi le lien avec ce qui n’est pas l’action : les états, les pensées, les dires des personnages, les descriptions etc. La force du récit dépend d’un certain nombre de procédés qui permettent de capter l’attention du lecteur. Ainsi, il construit la fiction.

3.1. Mettre en ordre les évènements

Les recherches qui ont fondé la narratologie ont eu pour objectif de dégager la structure du récit afin de comprendre comment un narrateur peut rendre lisible et compréhensible l’histoire qu’il raconte. Adam (1985) dresse un tableau de ces « théories des récits » ou de la narratologie comme branche de la sémiologie, qui s’efforce d’analyser le mode d’organisation interne de certains types de textes. Ces recherches qui ont des racines aristotéliciennes s’appuient sur divers travaux structuralistes et sémiotiques à partir de l’observation des contes et des mythes (Propp, 1928 ; Greimas, 1966 ; Bremond, 1973), qui seront déterminants pour l’approche littéraire (Barthes, Todorov, Genette). La narratologie pose comme postulat qu’« au-delà de leur diversité apparente, les récits présentent des formes de base et des principes de composition communs », conception normative qui a été critiquée (François, 2004 : 33).

Pour définir un récit minimal, les théoriciens aboutissent au constat qu’un évènement doit être raconté sous la forme d’au moins deux propositions temporellement ordonnées

(antériorité/postériorité) avec des balises temporelles marquant la succession des faits, la récurrence d’un acteur, un cours des évènements manifesté au moyen de prédicats en opposition (initiaux et finaux), un rapport de causalité (cause/conséquence) entre eux, permettant au lecteur de conclure à une cohérence, donc à une histoire. La tradition narratologique a donc été attentive à la structure chronologique du récit, mais aussi à ce rapport de causalité qui permet la compréhension de l’histoire. En effet, le lecteur doit pouvoir saisir globalement l’ensemble des évènements successifs, anticiper la fin du récit et diriger son attention en direction de ce dénouement à travers cette macrostructure sémantique organisant le sens global du récit (dimension pragmatique). Les théoriciens vont donc s’attacher à décrire la dimension chronologique (déroulement de l’histoire) avec d’une part la séquence qui ordonne les éléments les uns après les autres, d’autre part la figure qui les ordonne les uns à côté des autres, et la dimension configurationnelle (signifiant, sens global).

• Des analyses séquentielles qui mettent en évidence une macrostructure

Du côté des formalistes russes, Tomachevski (1925) développe l’idée d’une macrostructure en cinq points : la situation initiale en principe équilibrée, est remise en cause par un nœud (motifs dynamiques détruisant l’équilibre de départ) qui déclenche des péripéties (passage d’une situation à une autre). La tension croit pour parvenir à son point culminant juste avant le dénouement. La fin de la fable apparait généralement dans une situation finale où les intérêts se réconcilient et où disparaissent les conflits, toute situation de réconciliation entrainant chez le lecteur la fin d’une attente. Le dénouement est une « antithèse » du nœud, un renversement de la situation. Ces deux macropropositions assurent « l’ossature de la mise en intrigue » (Adam, 2011 : 107).

À partir de son analyse des contes, Propp (1928) balise le déroulement de l’intrigue en un nombre limité de fonctions (trente et une) qui sont autant de variables conditionnant l’action du héros qui doit pallier l’état de manque initial figurant en début du récit. Ces fonctions se regroupent en sept sphères d’action correspondant aux personnages qui les accomplissent (actants) selon un schéma unilinéaire. Il définit ainsi des séquences virtuelles. À ce schéma, le sémiologue Bremond (1973), considérant également que les fonctions renvoient à des catégories universelles, substitue un modèle plus dynamique et complexe qui met en avant une logique des

possibles narratifs (1966) et une logique du récit (1973) parce qu’il ne faut « jamais poser une

fonction sans poser en même temps la possibilité d’une option contradictoire » (1973 : 25). Il insiste sur l’importance des personnages et des rôles narratifs. Bremond observe qu’il existe un nombre limité d’enchainements logiques : l’organisation bout à bout (succession), l’enclave (une séquence se trouve provisoirement interrompue par une seconde puis reprend), l’accolement (deux séquences se déroulent parallèlement). Il définit ainsi une « grammaire du raconté » qui isole des trames narratives pouvant être combinées selon des règles bien définies.

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Le structuraliste Larivaille (1974), toujours à propos du conte, retient une macroséquence subdivisée en cinq séquences privilégiant pour chacune une des fonctions. Ce schéma narratif ou schéma quinaire sera largement utilisé dans le contexte scolaire. Il distingue trois phases du processus : « une fonction qui ‘ouvre la possibilité du processus’ (conduite à tenir ou évènement à prévoir) ; une fonction qui réalise cette virtualité (conduite ou évènement) ; une fonction qui clôt le processus (résultat atteint) » (Fayol, 1985 : 12).

Le sémiologue Barthes (1953, 1966) s’il met en garde dans un second temps contre « la normalisation des productions et le statisme » pour « mettre l’accent sur la différence des textes en les situant comme écart » (Fayol, 1985 ; 15) conclut d’abord aussi au caractère universel des récits qui s’articulent chronologiquement et logiquement autour de fonctions.

Les linguistes et psycholinguistes se sont également préoccupés de mettre en évidence l’organisation interne des récits notamment à travers le concept de macrostructure textuelle (Van Dijk, 1972). Labov et Waletzky (1967), travaillant sur le récit oral, définissent le récit comme s’organisant en paquets de macropropositions (Pn) étiquetables1 Leurs travaux soulignent le fait que certaines catégories de propositions sont libres car susceptibles de se déplacer à l’intérieur du récit, tandis que d’autres sont fixes.

Progressivement s’est donc élaborée la notion de superstructure du récit, consistant en un assemblage, une suite de propositions narratives dont Eco a pu souligner l’importance : « En narrativité, le souffle n’est pas confié à des phrases, mais à des macropropositions plus amples, à des scansions d’évènements » (Eco, 1985 : 50).

• Des analyses qui s’appuient sur les notions d’opposition, de tension et d’intrigue

À côté de cette analyse séquentielle, se situe la formalisation de Greimas (1966), qui mise sur l’opposition début-fin en observant que « toute intrigue se fonde sur le changement » (Fayol, 1985 : 15). Greimas remanie les propositions de Propp et prolonge la notion de sphères d’action qu’il théorise dans un modèle plus abstrait, à six pôles actantiels ou catégories d’actants combinant trois relations : le désir, la communication, la lutte. C’est le schéma actantiel. L’actant se définit syntaxiquement par sa position dans l’enchainement logique de la narration, et morphologiquement par le contenu modal qu’il prend en charge. Les modalités (vouloir, savoir, devoir, pouvoir) jouent un rôle important dans cette typologie. Les énoncés de base se développent dans des programmes narratifs qui prennent en compte ces modalités. Le statut des actants est lié à l’acquisition ou la perte de ces valeurs modales. Nous nous appuierons sur ces notions de programmes narratifs et de modalités dans notre analyse. Greimas opère des

1 On a pu le simplifier en cinq macropropositions : Pn1-Orientation (et indications), Pn2-Complication (évènement ou action), Pn3-Action ou Évaluation, Pn4 Résolution (action), Pn 5 Situation finale avec parfois une Morale.

regroupements de fonctions dans une structure narrative de base (l’algorithme narratif) correspondant à l’organisation logique de quatre énoncés qui ne sont pas toujours tous présents dans les récits (manipulation, compétence, performance, sanction). L’auteur prend également en compte les bornes du récit, situations initiale et finale, pour remonter le cours de la démonstration narrative. Il relie ces bornes par une chaine de transformations modifiant des prédicats, théorise les enchainements des fonctions et aboutit à une structure élémentaire, le carré sémiotique qui apparait comme une présentation visuelle de l'articulation d'une opposition entre un avant et un après, un contenu posé et un contenu inversé. Pour Fayol, cette inversion de contenus « constitue au niveau formel le critère essentiel d’acceptabilité des récits » (1985 : 19). Cette schématisation a toutefois été critiquée. De nombreux textes ne respecteraient pas cette inversion. En outre, la forme temporelle cache une relation « d’effet à cause » car « le récit s’ordonne à partir de sa fin en remontant jusqu’au début », ce que Genette reprend avec l’idée de détermination rétrograde du récit (Chabrol cité par Adam, 1991 : 74-75).

De son côté, Adam (1992) revient sur l’« empaquetage » de macropropositions, pour définir la séquence narrative. Il retient six composantes : une succession d’évènements, une unité d’actant, des prédicats transformés, une unité de procès ou d’action (séquentialité), une causalité narrative d’une mise en intrigue, une évaluation finale ou morale. Les travaux d’Adam ont le mérite d’insister sur le concept de problématisation ou de tension d’une part et sur la mise en intrigue d’autre part : le récit n’est pas la juxtaposition de phrases, ou la compilation de faits présentés dans un ordre purement chronologique. Une simple succession d’actes correspondent à un script, sans mettre les évènements en intrigue (Adam, 2011 : 112).

Tout récit implique donc in fine une organisation, qui aurait un caractère universel dans sa forme, et se situerait sur deux niveaux :

l’un, la « macrostructure » correspondrait à l’évènement « focus » sélectionné par l’auteur et permettrait sa formulation en une phrase ; le second, la « superstructure » mettrait en jeu une « dilatation » des faits en parties. (Fayol, 1985 : 32)

Cette structuration du récit des évènements, qui renverrait à « une représentation cognitive des évènements et de leurs relations » (ibid.) permet donc l’anticipation du lecteur et la construction du sens, parce qu’elle obéit à une loi de prévisibilité. Le récit met donc en ordre ces évènements pour les rendre intelligibles, mais il va plus loin : il ne se contente pas de restituer des évènements dans leur ordre, il fait en sorte de captiver l’attention du lecteur par différents procédés.

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3.2. Capter l’attention du lecteur

3.2.1. Mettre en intrigue, imposer une tension

Mettre en intrigue, c’est donner à lire, à voir, à comprendre les évènements humains en les organisant (Dumortier, 1986). C’est une « opération qui tire d’une simple succession une configuration » (Ricoeur, 1984 : 102). L’attention du lecteur ne serait pas soutenue s’il n’existait qu’une série de faits, posés linéairement. Ni l’énumération ni la succession temporelle ne suffisent à constituer un récit. La mise en intrigue transforme les évènements en histoire : « La mise en intrigue est une médiation entre une série d’évènements qui se succèdent, qu’elle transforme en une histoire » (Boré, 2010 : 32).

Aristotedans la Poétique définissait l’unité par une triade : début, commencement, fin, et indiquait que le récit doit pouvoir être appréhendé dans son « étendue » par le lecteur qui garde en mémoire ce qu’il a lu et se fait une représentation de l’action, dans son intelligibilité. Cette obligation exclut une avancée par saccades d’« épisodes » qui ne retiendrait que le hasard de l’énumération ou la simple chronologie sans enchainement causal. Dès lors, la succession des évènements est subordonnée à une connexion logique (Ricoeur, 1983 : 81-87). Chez Genette, la structure rétrograde (« déterminations rétrogrades ») s’appuie sur la relation de causalité. Cette causalité constitue le vraisemblable. Surtout, l’exposé des évènements doit constituer une problématique, sans laquelle le lecteur est sans horizon d’attente (Jauss, 1972). Dans le modèle tragique aristotélicien, « le milieu » du récit est tendu par un retournement ou « renversement » de la fortune à l’infortune. L’essentiel pour le poète est qu’il soit « compositeur d’intrigues » (Aristote, la Poétique, 51b27). Pour passer d’une suite linéaire et temporelle de moments à un récit, il faut une « causalité-consécution » d’une mise en intrigue, une tension opérée par le recours aux deux macropropositions fondatrices dont parle Adam : la complication et la résolution ou nœud et dénouement. On comprend dès lors que le récit peut s’organiser sur des modes différents à condition que la causalité narrative d’une mise en intrigue soit respectée. Adam dénombre trois modes de bases : coordonner linéairement des séquences, les enchâsser-insérer les unes dans les autres ou les monter en parallèle (Adam, 2011 : 111).

Derrière l’approche formelle, presque mathématique, de la structure séquentielle, se cache une approche pragmatique qui impose de penser le texte comme dialogique, en interaction avec un lecteur qui va l’évaluer, comme l’ont montré Aristote avec l’effet de surprise, le suspense et la catharsis, Ricoeur (1983) avec les notions de concordance et de discordance c’est-à-dire un mélange de prévisibilité et de suspense (1983a : 86), Eco (1985 (1979)) avec l’idée d’une coopération textuelle du lecteur, et Baroni (2010) avec la fonction intrigante de certaines formes de narration, l’écrivain retardant le dévoilement d’informations, ou amenant le lecteur à tâcher d’anticiper la suite. Defoe procède ainsi quand il ouvre le récit par les prophéties inquiétantes du

père de Robinson Crusoé et fait dire au narrateur à propos de son embarquement « jamais infortunes de jeune aventurier, je pense, ne commencèrent plus tôt et ne durèrent plus longtemps que les miennes ».

Ainsi, ce sont ces procédés de retournement, d’infortune, de retardement, qui créent l’attente d’une réponse et le plaisir du lecteur. Et, c’est l’absence de création de cette tension narrative qui conduit Sartre à considérer que L’Étranger de Camus n’est pas un récit (Explication

de l’Étranger, 1943) ou plus simplement Eco dans Lector in fabula à réfuter cette dénomination

pour un simple « rapport » d’un voyageur2. Et c’est aussi cette absence qui caractérise parfois les écrits des scripteurs apprenants, lesquels sont attentifs à « raconter » sans parvenir encore à organiser leur histoire en récit.

Le récit procure donc tension et attente pour captiver l’attention du lecteur. Il impose également un certain rythme en pilotant la représentation que se fait le lecteur de l’histoire narrée.

3.2.2. Imposer un rythme

« L’une des fonctions du récit est de monnayer un temps dans un autre temps » (Metz, 1968 : 27) : le temps de l’histoire dans le temps du récit. Divers procédés sont disponibles pour accélérer ou ralentir le récit, jouer sur l’ordre des évènements, en rappeler certains, obliger le lecteur à se projeter dans le passé ou l’avenir des personnages, combler les blancs narratifs, bref lui imposer un parcours temporel. Genette clarifie ainsi remarquablement certains opérateurs du récit. Le « degré zéro qui serait un état de parfaite coïncidence temporelle entre récit et histoire » est « plus hypothétique que réel3 » (1972 : 79). La discordance entre l’ordre de l’histoire (succession chronologique et causale des évènements racontés) et celui du récit (ordre textuel dans lequel ils apparaissent) soit l’anachronie est une ressource traditionnelle de la narration littéraire. Genette en rappelle une première illustration avec l’Iliade dont le début in medias res est suivi d’un « retour en arrière explicatif » (ibid.). L’analepse et la prolepse sont ainsi définies par rapport à un récit premier (Genette, 1972). Généralement, l’anticipation est moins fréquente en raison du suspens narratif qui sous-tend l’action lequel impose de différer les informations, et parce que le narrateur doit sembler lui aussi « découvrir en quelque sorte l’histoire en même temps qu’il la raconte » (1972 : 106). Cependant, le procédé est utilisé dans le récit à la première personne qui autorise le narrateur à procéder par allusions, comme dans Robinson Crusoé,

2 Eco prend l’exemple de cette parole de voyageur : « Hier je suis sorti de chez moi pour aller prendre le train de 8H30 qui arrive à Turin à 10 heures. J’ai pris un taxi qui m’a amené à la gare, là j’ai acheté un billet et je me suis rendu sur le bon quai ; à 8h20 je suis monté dans le train qui est parti à l’heure et qui m’a conduit à Turin » (Eco, 1985 (1979)).

3 On peut voir dans le feuilleton télévisé américain « vingt-quatre heures chrono » diffusé en France à partir de 2002 une tentative pour se rapprocher de ce « degré zéro » dans la mesure où chaque épisode de quarante minutes est censé relaté des faits produits en temps réel ou presque...

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l’œuvre commençant d’ailleurs avec l’avertissement prophétique du père. Le lecteur avance ainsi ou recule dans le temps, avec plus ou moins de profondeur et d’étendue. L’avancée ou le recul temporel sont plus ou moins distants du récit premier, ce que Genette nomme la portée. Cette anachronie capture également une durée de l’histoire plus ou moins longue, selon son amplitude. Le récit appelle en outre des ellipses : il passe au-dessus de certains moments. Kundera les évoque comme une nécessité :

Imaginez un château si énorme qu’on ne peut l’embrasser du regard. Imaginez un quatuor qui dure neuf heures. Il y a des limites anthropologiques qu’il ne faut pas dépasser, les limites de la mémoire, par exemple. À la fin de votre lecture, vous devez être encore en mesure de vous rappeler le commencement. (1986 : 94)

Le récit choisit et saute des temps morts. Aristote évoquait la notion d’étendue et Thomas Mann indique que raconter c’est à la fois « élire et exclure » (cité par Ricoeur, 1984 : 145), Ainsi le lecteur se voit non seulement emporter dans le temps mais sur une distance temporelle plus ou moins longue et une partie de l’histoire des personnages plus ou moins ample, plus ou moins reliée directement au présent. Ce voyage dans le temps peut même être répété au cours du récit (analepses ou prolepses répétitives) (Genette, 1972). D’autres procédés, affectant l’ordre des évènements, maintiennent une attente du lecteur comme l’annonce et l’amorce. De savants ajustements perturbent même les notions de rétrospection et d’anticipation (analepses proleptiques et prolepses analeptiques) comme le narrateur qui « expose d’avance comment il sera plus tard informé après coup d’un évènement actuel (ou de sa signification) » ou « introduit un évènement présent ou même passé, par le truchement anticipé du souvenir qu’il en aura plus tard ». (Genette, 1972 : 117-118). Le lecteur doit ainsi être attentif à tous ces enchevêtrements qui brouillent la ligne du temps. Il doit avoir une conscience temporelle claire, être capable d’une « ubiquité temporelle » (1972 : 115) pour reconstituer la trame de l’histoire, et c’est ce travail qui maintient son attention.

Le rythme est aussi marqué par les relations de fréquence entre le récit et l’histoire (Genette, 1972) : un évènement peut se répéter dans l’histoire et un énoncé narratif peut toujours être reproduit. Dès lors, l’écrivain peut jouer sur les touches d’un piano à plusieurs composantes avec un récit qui peut être singulatif ou itératif. Mais un évènement long peut aussi être représenté en quelques phrases voire quelques mots, et à l’inverse un fait court, raconté par le menu.

Genette confronte ainsi la durée d’un récit à celle de l’histoire qu’il raconte. L’écrivain pilote le récit en modulant sa vitesse et joue sur une large palette des possibles. En définitive, le lecteur se voit imposer un rythme qui conserve l’intérêt du récit. À cet égard, le récit ralentit pour s’enrichir de détails descriptifs qui contribuent à créer des effets nécessaires à la représentation des lieux, des évènements, des objets ou des personnages.

3.2.3. Décrire pour faire exister le réel

Décrire est une conduite langagière courante mais qui ne va pas de soi. Le langage qui combine successivement des unités linguistiques serait plus prompt à reproduire la continuité temporelle de l’action qu’à décrire, car si la narration s’inscrit dans une successivité (du discours et des évènements), la description est « une forme successive du discours qui renvoie à une simultanéité d’objets » (Jenny, 2004). Cette tension oblige à une temporalisation de la description. Ainsi s’explique la présence de marqueurs descriptifs temporels (d’abord, puis, enfin) qui renvoient au

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