• Aucun résultat trouvé

Apprendre à écrire des récits, entre imitation et invention

4.3. Imitation et invention dans l’institution scolaire

4.3.1. Choix de périodisation

Nous postulons, par ailleurs, avec d’autres, que la transgression des consignes d’écriture peut aussi conduire à des propositions sinon originales du moins singulières et intéressantes, et toujours à un apprentissage, à condition qu’on laisse au scripteur apprenant un espace de négociation.

Cette recherche d’équilibre entre contraintes et espace de liberté qui caractérise l’activité rédactionnelle a évolué dans l’histoire de l’enseignement de l’écriture.

4.3. Imitation et invention dans l’institution scolaire

L’écriture de la rédaction se met en place officiellement à partir de 1882, mais va devoir surmonter bien des obstacles avant de s’imposer comme un objectif d’apprentissage autonome. On a longtemps préconisé la lecture imitative de textes d’auteurs pour forger des habiletés scripturales, tout en cherchant à développer l’imagination des scripteurs, avant que la lecture soit envisagée comme accompagnatrice de l’invention. Cette tension entre imitation et invention parcourt l’histoire de l’exercice scolaire, à travers différentes périodes qu’il nous faut définir.

4.3.1. Choix de périodisation

Cette périodisation est dépendante de l’histoire de l’institution scolaire et de l’enseignement de la rédaction, et celle des manuels qui importent des modèles et se font le vecteur des consignes officielles voire se substituent à elles.

• L’institution scolaire : des transformations structurelles déterminantes

Le système éducatif français a connu depuis les lois Ferry qui instaurent une école gratuite (loi du 16/6/1881), une instruction obligatoire et un enseignement public laïque (loi du 28/3/1882), une partition entre deux ordres10 d’enseignement témoignant d’une certaine stratification sociale : d’une part, l’ordre secondaire réservé à une élite, sociale ou intellectuelle ; d’autre part, l’ordre primaire qui délivre au peuple une instruction limitée à des rudiments fondamentaux pour comprendre le monde et accéder à la vie professionnelle. Ces deux filières parallèles et étanches ont coexisté jusqu’à la suppression de l’examen d’entrée en 6e (1956) et à la fermeture effective des classes qui accueillaient au sein des lycées, moyennant finance, les enfants issus des familles les plus aisées dès l’âge de 6 ans (1959). Jusqu’en 1959, l’élève de CM2

pouvait ainsi être orienté soit vers le Cours Complémentaire11 ou la 6e de lycée12 soit vers une classe de certificat de fin d’étude avec pour objectif la fin de la scolarité, après le fameux « certificat de fin d’études primaire » (désormais CEP). Cet examen a déterminé pendant plusieurs décennies l’enseignement primaire, les enseignants pouvant adapter leurs exercices en fonction de l’orientation des élèves. Parallèlement, l’âge minimum de l’instruction obligatoire à 13 ans (loi du 28/03/1882), après avoir été porté à 14 ans (loi du 9/8/1936) est fixé à 16 ans (ordonnance du 6/1/1959). L’unification des filières d’enseignement au secondaire13 d’une part et le recul de l’âge minimum de scolarisation d’autre part ont eu un impact sur les contenus des apprentissages. Du point de vue institutionnel, ce rappel rapide et à grand trait de l’histoire de l’enseignement permet de poser une première balise temporelle autour des années 1960-1970.

• Un vecteur des politiques scolaires : le manuel scolaire

Le manuel sous diverses formes a plus de deux siècles d’existence officielle et est un terrain d’investigation comme discours d’autorité et objet d’enseignement et d’apprentissage. Il est par ailleurs le reflet des tensions entre les différents courants pédagogiques existants à une époque donnée. Choppin et Clinkspoor (1993) et Choppin (2000) dégagent quatre périodes que nous exposerons succinctement. Sous l’impulsion de Talleyrand qui réclame en 1791 un livre élémentaire, l’État met en place pendant une première période une politique d’autorité pour imposer une édition de manuels scolaires, mais finit par mettre en place un système d’« autorisation préalable ». La seconde période (1830-1890) correspond au développement de l’instruction populaire. Le manuel se diffuse pour répondre à la création d’une école primaire par commune (Loi Guizot, 1833). L’État libéralise le système de l’édition (1850) tout en se réservant la possibilité d’interdire tout ouvrage manifestement contraire à la Loi et à la morale, et confie aux enseignants le choix des ouvrages (1880). Les éditeurs interprètent dès lors librement les programmes et se font l’écho des pédagogies choisies par les enseignants. Une première critique des manuels et de leurs contenus interviendra avec les mouvements de l’Éducation nouvelle. Freinet dénonce la pédagogie traditionnelle et ses manuels (Bishop et Denizot, 2016). La troisième période (1940-1944) correspond aux tentatives du gouvernement de Vichy pour rétablir un contrôle coercitif et centralisé. Le nombre élevé de textes règlementaires ne préjuge pas

11 Les cours complémentaires sont maintenus (de la 6e à la 3e) jusqu'au décret no 59-57 du 6 janvier 1959 portant réforme de l'enseignement public qui les transforme en CEG (collège d’enseignement général). 12 Une autre voie a existé jusqu’en 1941 : les écoles primaires supérieures qui relevaient de l’école primaire et préparaient à l’enseignement. Elles ont été supprimées par Jérôme Carcopino (Article 5 de la loi du 15 aout 1941) et intégrées à l’enseignement secondaire.

13 La création des C.E.G (Collège d’Enseignement Général en 1959) puis en 1963 des C.E.S (Collège d’Enseignement Secondaire) constituent les étapes ultimes d’un lent processus d’unification qui, entamé dans les années 1920, aboutit en 1975 au collège unique de la loi Haby créé par la fusion des C.E.G et C.E.S.

107

forcément de l’impact qu’eurent réellement ces procédures de contrôles dans les écoles. Les mesures sont supprimées dès la chute du régime. La dernière période (1960 à nos jours)14 est marquée par une démocratisation du système éducatif et une recherche de la gratuité du livre. La suppression de l’examen d’entrée en 6e (1957), la prolongation de la scolarité obligatoire à 16 ans (1959), l’accès au collège unique puis au lycée, entraine une massification de l’enseignement. L’encyclopédisme est dénoncé alors qu’apparait la nécessité de se concentrer sur la démarche (apprendre à apprendre), et de répondre à l’hétérogénéité des publics. La critique de l’enseignement traditionnel de la littérature se cristallise sur les manuels scolaires (Bishop et Denizot, 2016). Des chercheurs les réhabilitent en soulignant l’utilité de travailler avec ce support dans la classe (Bucheton, 1994) et en s’intéressant à l’organisation interne de l’objet (Plane, 1999). Le manuel est devenu un outil polymorphe englobant des supports variés censés offrir une lecture plurielle et donc différenciée en fonction des élèves. Mais cette complexification pourrait accentuer les inégalités scolaires (Bautier et al. 2012 ; Bonnéry, 2015).

Cette étude synthétique montre que le manuel qui vise à tracer clairement un cadre d’enseignement (et non d’apprentissage) entre 1881 et les années 1970, tente à partir de cette dernière décennie de prendre en compte la diversité des élèves. Les manuels sont alors particulièrement soumis au feu de la critique (rapport de l’Inspection Générale de l’Éducation Nationale, 2012). Les années 1970 marquent donc une rupture dans l’histoire des manuels scolaires.

• L’enseignement du français et l’émergence progressive de la rédaction

La rédaction de français entre par le haut du système scolaire et très rapidement, du moins au niveau des textes règlementaires, arrive à l’école primaire. En 1880, la composition française remplace, en effet, le discours latin à l’épreuve du baccalauréat. À l’école primaire, les textes du 27 juillet 1882 réservent aux élèves de CM les « premiers exercices de rédaction sur les sujets les plus simples ». En 1923, la pratique de la « rédaction » est officiellement étendue aux autres cycles. Cette généralisation de l’enseignement de la rédaction marque une étape importante. Les programmes de 1923 et 1938 vont demeurer les textes de référence jusqu’en 1972 avec le modèle de la rédaction (Bishop, 2016). Un second modèle celui du texte libre de Freinet « et de l’écriture motivée » (ibid.) apparait dès les années 1920, privilégiant l’expressivité du sujet scripteur. Cette période se termine avec le Plan Rouchette 15 (1971) qui propose une nouvelle définition des finalités de l’enseignement du français. C’est la période dumodèle de l’expression écrite (Bishop, 2016). Ultérieurement et sous l’effet des recherches en psychologie, en linguistique, en génétique

14 Une période intermédiaire s’ouvre alors (1945-1960) sans nouveau débat majeur sur le livre scolaire. 15 Plan de rénovation de l’enseignement du français à l’école élémentaire dit plan Rouchette, du nom du Président de la Commission, l'Inspecteur Général Marcel Rouchette, 1913-1977.

textuelle, s’ouvre une période de didactisation de l’écriture scolaire avec les apports des travaux de l'INRP (1976) et des revues Repères (1969) et Pratiques (1974). La plupart des chercheurs retiennent donc les périodes 1923-1970 puis 1970-2002 ou 2008 comme constituant des unités pertinentes en matière d’enseignement du français, même si après 1970 au moins deux autres modèles sont évoqués : celui de l’écriture planifiée et critériée (1995) et celui du sujet écrivant et des écrits intermédiaires (2015) (Bishop, 2016).

Figure 3 : Modèles d’enseignement de l’écriture (Bishop, 2016)

Les dates des textes officiels16 de l’école primaire constituent les principaux organisateurs de la périodisation que nous avons retenue pour étudier la rédaction à l’école primaire. Reprenant le découpage de Petitjean (1999) qui considère trois périodes (1882-1923 ; 1923-1970 ; 1972-1985), nous arrêterons une première période à 1923 en raison de la généralisation à l’école primaire, cette année-là, de l’enseignement de la rédaction. Si l’on met entre parenthèse le régime de Vichy, le modèle traditionnel s’est maintenu quant à ses objectifs jusque dans les années 1970. Le Plan Rouchette ouvre une période de rénovation suivie par celle d’une didactisation de l’enseignement du français amorcée à partir de 1985. Les évolutions ultérieures portent sur la réaffirmation du rôle de la littérature (2002), de l’articulation du lire et de l’écrire (2008, 2015), donne une place importante aux écrits de travail (2015) et un rôle prépondérant au sujet-scripteur ou au sujet-auteur (2015).

109

Nous évoquerons donc quatre périodes :

Figure 4 : Choix de périodisation

Dans cette partie, nous nous réfèrerons surtout aux travaux sur l’histoire de l’enseignement du français et de l’écriture de Chervel (1977, 1995a et 1995b, 2006), de Bishop (2004, 2010 ; Bishop et Molinié, 2006) et de Boutan (1996). Le lecteur retrouvera en annexe F.1 un tableau synthétisant le contexte historique et institutionnel de l’avènement des modèles d’écriture à l’école primaire.

L’ensemble des textes officiels est traversé par plusieurs modèles d’enseignement de l’écrire qui articulent imitation et invention et que nous évoquerons au fur et à mesure de l’examen chronologique des textes officiels.

4.3.2. La rédaction à l’époque de la pure tradition (1882-1923)

Au cours de cette période, l’enseignement du français ne parvient pas à se libérer complètement de la rhétorique classique et l’imitation constitue une injonction institutionnelle.

• Le poids de la tradition latine : ordre et reproduction

L’histoire de l’enseignement de la rédaction est évidemment liée à celle de l’enseignement du français. Or, l’un des dogmes pédagogiques qui barre la route à toute évolution concerne la règle de successivité fondée sur l’idée que tout apprentissage constitue une unité de contenu qu’il faut clore avant de passer à l’unité suivante. Trois moments sont constitutifs de la discipline : l’apprentissage de l’orthographe et de la langue, l’étude des auteurs, et enfin la rédaction de textes. Initié à l’orthographe et suffisamment maitre de sa langue, l’élève est en mesure d’écrire des phrases correctes. La composition est préparée par les exercices de

Documents relatifs