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La constitution de l’objet d’études

5.3. Les outils d’analyse

5.3.2. Les outils d’analyse des productions écrites

Sans appartenir à la mise en texte proprement dite, un certain nombre d’éléments para-textuels contribuent à la production d’écrit. Ainsi, des scripteurs marquent d’un signe particulier le titre ou le mot « fin ». À chaque fois qu’une marque de cet ordre (soulignement simple ou double, encadré, tracé curviligne, etc.) a été rencontrée, elle a été traduite par un soulignement simple. Les mots écrits en lettres capitales ont été retranscrits à l’identique. Les espaces compris entre le titre et le début du récit, ou la fin du texte et le mot « fin » ont été respectés autant que possible.

Les énoncés seront soit cités soit consignés en annexes. Les annexes comprendront les copies digitalisées et leurs transcriptions informatisées.

Lettres ou mots illisibles ###

Suppression suppression

Ajout <ajout> ou *

Remplacement suppression remplacement

Omission de mots Il alla (chez) lui

Lettres capitales FIN

Divers tracés FIN

Ponctuation multiple Feu !!!

Tableau 11 : Annotations graphiques

5.3.2. Les outils d’analyse des productions écrites

Les énoncés des scripteurs et les textes sources ont fait l’objet en fonction des questions posées d’une analyse outillée ou d’une analyse manuelle et génétique.

• Analyse textométrique des productions écrites

Les outils textométriques sont d’un grand secours pour collecter des données numériques. Le logiciel Le Trameur13 a autorisé le recensement des mots présents dans les textes sources et les textes produits à partir de la transcription formelle (une fois l’orthographe rétablie). Il a donc été possible d’avoir une vue exhaustive de la fréquence des occurrences des lexèmes dans ces deux corpus. L’outil a ouvert aussi une analyse focalisée sur certains champs lexicaux : reprise de mots fréquents dans le corpus littéraire ou participant à la construction d’une entité thématico-narrative (par exemple le lexème /fruit/) ou à l’inverse non reprise de certains lexèmes. Les résultats de ces analyses ont été reportés dans « les fichiers annotés » pour être traités. C’est aussi

13 Le Trameur est un logiciel de textométrie qui fonctionne sur Windows. C’est un programme d’analyse comportant de nombreuses fonctionnalités pour l’analyse automatique, statistique et documentaire de textes en vue de leur profilage sémantique, thématique et de leur interprétation. https://corli.huma-num.fr/?page_id=239

parfois le traitement manuel des données permettant la constitution des fichiers annotés qui a déclenché une analyse textométrique pour affiner les résultats.

• Analyse factorielle des correspondances

L’analyse factorielle des correspondances (AFC) est une méthode d’analyse statistique. Elle permet une visualisation graphique de la répartition de variables. À l’aide du logiciel R14, les 48 copies du G1 (G1V1 et G1V2) et les 27 copies du G3, ainsi que les quatre textes ressources ont été traités afin de produire une table de contingence. Cette dernière croise deux variables, Texte et Mots, en comptant l’occurrence de chaque lexème dans chaque texte. À partir de cette table, l’AFC a été effectuée et a renvoyé plusieurs graphiques en deux dimensions (sur deux axes), offrant une visualisation de la répartition des modalités15 de Texte et Mots16. En s’intéressant à la seule variable Texte, nous avons pu obtenir une répartition des « individus » et comparer entre eux les élèves. En visualisant Texte et Mots sur un même graphique, nous avons pu dresser des profils de scripteurs en ayant une idée des mots qui caractérisent le plus leur écrit.

• Analyse empirique des productions écrites

Toutes les productions écrites transcrites ont fait l’objet d’une analyse visuelle. La fonction Word « recherche » a été activée. Les données numériques sont enregistrées dans des tableaux. Des documents ont permis de garder la trace des données qualitatives et des commentaires, ainsi que des comparaisons entre deux versions d’écriture. Enfin, des fiches ont été construites par élève visant à catégoriser les tendances de comportements scripturaux. Cet ensemble constitue ce que nous appellerons « les fichiers annotés », c’est-à-dire des documents de travail.

• Analyse génétique

Le texte constitué de traces graphiques, ensemble de signes inertes, qui s’offre dans sa matérialité statique est également un objet dynamique révélant une circulation entre la langue et le « à dire », « fruit d’un travail psychique, cognitif et gestuel de la part de l’écrivant qui laisse des traces matérialisées graphiques de ce travail sur le manuscrit » (Fenoglio, 2007). Ce produit linguistique fini est le résultat d’un acte cognitivement couteux à la fois au niveau de la mise en œuvre des opérations langagières (Plane, Alamargot, et Lebrave 2010) et des processus

14 R est un logiciel gratuit conçu pour l’analyse statistique et graphique. Il fonctionne sur Windows, MacOs et Unix et est téléchargeable à l’adresse suivante : https://www.r-project.org/

15 Une modalité correspond à une “valeur” que peut prendre une variable. Par exemple, Texte peut prendre comme valeur “Adrien”, “TexteA”, etc.

16 La variable Texte prend des modalités comme « Adrien”, “Alizée”, “Basile”, ..., quand il s’agit d’écrits d’élèves ou « TexteA”, “TexteB”, … quand il s’agit du corpus de texte lu par les élèves. La variable Mots, quant à elle, a autant de modalités que de mots employés dans les différents textes. Par exemple, Mots prendra des modalités comme « elle”, “abeille”, “ile”, “paysage”, “fabriqua”, etc.

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mémoriels qui entrent en jeu dans cette activité (Hayes 1995 ; Olive 2004). De ce travail, le texte peut révéler l’empreinte lisible grâce aux outils des généticiens que nous emprunterons pour tenter d’exprimer ce qu’ils révèlent du dialogue entre le scripteur et les textes sources.

Les outils fournis par la critique génétique et la génétique textuelle

Développée en France à partir des années 1970, sous l’impulsion de Louis Hay, la critique génétique s’impose comme un nouveau mode d’analyse des œuvres littéraires qui cherche à reconstituer à partir des indices matériels la trace des procédures de création (Hay, 1979 ; Lebrave, 1983 ; Grésillon 1990, 1994). Les généticiens montrent que ce processus de création n’est pas linéaire. On souligne également la « non-clôture » du texte dans le temps puisque le texte peut être le fruit d’actes épars et que l’auteur peut toujours y revenir, dans l’espace puisque le manuscrit peut se compléter, mais aussi parce que le manuscrit devient un objet d’étude dans sa dynamique scripturale. Des chercheurs vont se consacrer à l’étude d’auteurs variés pour observer les constantes scripturales dans la production écrite. Ils débusquent des phénomènes langagiers récurrents pour tenter d’en tirer « une certaine généralité en matière de production textuelle » (Doquet, 2011 : 23) et aboutissent à une théorisation de la génétique textuelle sur laquelle nous nous appuierons.

Les traces graphiques et l’approche linguistique des mécanismes d’écriture

Le manuscrit, comme trace d’un changement

Les traces graphiques sont observées et caractérisées : les traces linguistiques (écriture « ajoutée » en interligne ou en marge) et les traces non linguistiques (couleur, allure, épaisseur du trait, fléchage etc.). La « boucle méta-énonciative de modalisation autonymique » (Authier-Revuz, Doury et Reboul, 2004) est envisagée comme un outillage conceptuel d’analyse des ratures17. Leur rôle métalinguistique est mis au jour. Grésillon (1989 ; 1994) puis Fabre-Cols (2002) catégorisent quatre actions (l’ajout, la suppression, le remplacement, le déplacement) regroupées sous le terme générique de « substitutions », terme que Doquet (2011) remplace par celui « d’opérations » moins connoté (substitution renvoyant à l’idée de remplacement) et mieux adapté à l’observation d’une activité scripturale (la substitution étant un résultat). Cette auteure emploie l’expression « processus d’écriture » pour désigner les suites d’opérations d’écriture observables par le généticien18. Le texte fait l’objet d’une transcription diplomatique tendant à créer l’image la plus fidèle du manuscrit y compris sa mise en page. À partir de ce document, le

17 Les auteurs s’intéressent à la réflexivité langagière. Ainsi ils montrent un retour et un dédoublement du dire dans le bouclage de certains énoncés comme : « Il est à l’ouest, pour employer une expression triviale » qui se scinde en un premier énoncé A référant au monde, un retour et l’écriture d’un énoncé B qui s’articule à A.

18 « opérations » et « processus » sont des mots clés de l’analyse génétique, mais aussi de la psychologie cognitive qui leur donne un sens différent (Plane, 1995 : 7).

chercheur décrit les activités du scripteur/lecteur, les interprète et juge de leurs effets (Lebrave, 1983). Et dans cette analyse, va se poser la question du manuscrit comme mémoire du temps de l’écriture.

Le manuscrit, comme trace de l’ordre de la production

Les marques manuscrites donnent à voir des changements que l’on souhaite interpréter pour retrouver l’ordre des opérations d’écriture (Lebrave, 1987 ; Grésillon, 1994) et que l’apport des travaux des psychologues cognitivistes va permettre d’appeler des révisions. Selon les modèles de Hayes et Flower (1980) et de Hayes (1995), le scripteur opère une révision tout au long de la mise en texte dans un jeu pendulaire constant d’écriture/lecture, d’où la récursivité des processus. D’autres travaux vont même montrer que la révision inclut, outre la relecture/évaluation du texte déjà produit, « une évaluation du contenu avant sa transcription » (Favart & Olive, 2005). Dans le champ de la génétique, les chercheurs ont souhaité distinguer la révision19 qui semble s’effectuer dans le temps même de l’écriture (variante d’écriture) de la révision intervenant au moment de la relecture (variante de lecture). L’espace de la page va permettre de distinguer ces deux variantes car la variante de lecture n’est pas effectuée sur la ligne d’écriture ou du trait de plume : elle est coincée entre les mots, dans les interlignes (au-dessus/au-dessous), dans les blancs de la feuille (marges, haut ou bas de page) voire sur une feuille annexe (Doquet, 2011). Mais « cette reconstitution de l’ordre de la production rencontre des limites sérieuses » (ibid.) d’où l’idée d’observer l’écriture en temps réel20.

L’écriture en apprentissage et les brouillons d’écoliers : un changement de perspective Certains chercheurs mettant à profit les outils de la génétique textuelle, ont examiné le patient travail du scripteur apprenant à travers les brouillons d’écoliers pour mettre en évidence un savoir-faire jusqu’alors peu exploré. La première recherche ouvrant des perspectives didactiques d’envergure a été effectuée en 1987 par Fabre. Ces travaux ont mis en évidence le rôle métalinguistique de la rature. Fabre y voit là le lieu des aller-retour entre la langue et le discours, une prise de conscience linguistique en marche. L’auteure réhabilite la rature orthographique comme témoignant d’une véritable appropriation du texte en cours de production dans toutes ses composantes. L’analyse des brouillons d’écoliers comme « lieu où sont conservées les traces du débat interne à celui qui lit-écrit » (Oriol-Boyer dans Fabre 1990 : 7) est suivie par d’autres chercheurs (Bucheton, 1995 ; Boré, 2000 ; Calil 2003 ; Doquet 2011). Même si le

19 Selon Doquet (2011 : 39), l’expression reviewing ideas and text traduite en « révision » est finalement une notion assez floue englobant l’activité de relecture du texte en vue de modifications éventuelles, les traces de ces modifications ou la dernière phase de l’écriture.

20 L’étude a lieu à l’aide de tablettes graphiques, de capteurs oculaires (Chesnet & Alamargot, 2005), ou d’enregistrement visuel de la saisie numérique d’un texte en cours de création (Doquet, 2011).

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contexte d’écriture n’est pas le même (visée littéraire ou pas, projet individuel ou scolaire, expertise rédactionnelle ou apprentissage), on suppose que les comportements observés de l’écrivain et l’élève sont comparables et la fictionnalisation à l’œuvre des écoliers (Boré, 2010) est observée.

Comme l’avait fait Hay pour les écrits littéraires (Hay, 1984)21, Fabre tente de dégager des tendances de comportements scripturaux. Ses observations ont permis de distinguer des scripteurs modifiant souvent l’écrit dans le courant même de l’énonciation et des scripteurs modifiant massivement leur texte lorsqu’un premier état est achevé (Fabre-Cols, 2002). Depuis les années 2000, un nouveau courant didactique s’est d’ailleurs développé, ayant pour objet d’étudier l’énonciation écrite des écoliers, observable à partir du brouillon « en train de se faire » en dyades, simultanément par voies orale et écrite lors d’écritures collaboratives (Calil, 2003, Calil et Felipeto, 2006). Calil avance ainsi l’idée d’une rature orale pour qualifier les reformulations co-énonciatives effectuées par une dyade d’élèves pendant le cours de l’écriture (Boré et Calil, 2013).

C’est en nous appuyant sur l’ensemble de ces travaux que nous procéderons à l’analyse des copies d’élèves et en particulier lorsqu’il s’agira d’observer le dialogue entre le scripteur et son texte en cours de construction.

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