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Les capacités créatrices : des capacités langagières universelles que l’éducation peut développer peut développer

Écrire un texte, c’est toujours créer

2.1.3. Les capacités créatrices : des capacités langagières universelles que l’éducation peut développer peut développer

verbale » (ibid.). Deux sens différents, fusionnels, se dégagent : celui qui désigne l’activité langagière laquelle s’observe grâce à la génétique textuelle, et celui qui vise une activité de production spécifique « touchant la représentation » (Boré, 2010 : 20). Reuter réserve quant à lui la notion de création « à l’imagination et à la créativité référées au champ esthétique, à ses modes de fonctionnement et à ses valeurs » (Reuter, 1996 : 26).

2.1.2. La fiction, une tendance profondément humaine

Pour de nombreux auteurs, la fiction est une « capacité à imaginer » (Boré, 2010). La fiction ne s’apprendrait pas et l’imagination aurait une triple explication d’ordre culturel, phylogénétique et anthropologique. Schaeffer (1999), attaché au terme de « fiction » par référence à la mimèsis aristotélicienne, « fonde l’intentionnalité du sujet producteur de fiction sur des bases phylogénétiques de conduites d’imitation » (Boré, 2010 : 63 note 69). De son côté, Harris (2000, (2007)) explique l’imagination comme une capacité à voir et considérer autre chose que le réel. L’imaginationpermettrait d’entrer dans un monde fictif tout en conservant les principes causaux, de comparer le réel et l’irréel, d’explorer ce qui est impossible ou magique, de ressentir des émotions et même d’accéder au langage. La capacité d’imaginer est très précoce et Harris invalide « l’idée d’une ‘compétence fictionnelle’ que l’enfant devrait acquérir avant d’imaginer » (Boré, 2010 : 85). Ces deux auteurs se rejoignent sur l’idée que la fiction relève d’une conduite « pour partie progressivement acquise dans la phylogenèse et pour partie renforcée par la culture » et que, non réservées à l’enfance, « des conduites anthropologiques comme ‘faire semblant’, ou ‘imaginer des alternatives à la réalité actuelle’ sont à la base du processus d’imagination » (Boré, 2010 : 64).

2.1.3. Les capacités créatrices : des capacités langagières universelles que l’éducation peut développer

Quant au concept de créativité, mis en avant par des poètes, philosophes et psychologues, il « caractérise toutes les formes de la culture » (Coseriu, 2001) parmi lesquelles figure le langage. Ainsi, Chomsky défend l’idée d’une aptitude de tout sujet parlant à une créativité linguistique, c’est-à-dire à exprimer un nombre illimité de « pensées nouvelles, adaptées à des situations nouvelles » (Mounin, 1974 : 91). La notion de créativité a donc investi le champ de la philosophie du langage et de la linguistique pour désigner cette singulière capacité qu’ont les humains de pouvoir comprendre et produire des énoncés nouveaux, avec une distinction intéressante entre la governed creativity, soit la créativité dominée par les règles préexistantes, et la

rule-changing creativity qui « relèverait de la performance, où de nombreux écarts individuels

Les didacticiens qui, comme Tauveron et Sève (2005) postulent la compétence auctoriale des scripteurs-apprenants s’appuient sur le concept de créativité, considéré comme étant une propriété définitoire du langage, pour envisager la capacité créatrice des élèves, considérant leurs productions « comme des rencontres faites par des sujets avec la puissance créatrice du langage, c’est-à-dire avec la possibilité de penser » (Boré & Calil, 2013 : 56). Cette question de la capacité créatrice a bien sûr d’abord été posée dans le champ littéraire, où l’on a longtemps postulé que la création relevait de l’inspiration ou du don. Mais cette position a été combattue par les écrivains eux-mêmes. Ainsi, avec l’apparition à la fin du XIXe dans le milieu universitaire américain des

creative writing workshop, l’idée qu’il est possible de développer chez l’adulte des compétences

d’écriture créative s’est imposée, ce qui a d’ailleurs inspiré les cercles d’écriture et les « ateliers d’écriture ». Par ailleurs, les recherches des psycholinguistes ont montré que l’écriture résultait d’un ensemble d’opérations complexes, ce qui a permis d’attribuer à l’acte d’écriture une certaine rationalité. De leur côté, les didacticiens postulent la possibilité d’accroitre les habiletés rédactionnelles des scripteurs apprenants, par l’apprentissage.

Le sens de création, utilisé pour caractériser l’écriture, recouvre finalement plusieurs acceptions. D’une part, dans la rhétorique classique, la création désigne l’inventio, « ce qui focalise l’étude sur le contenu du matériau langagier et sa transformation » (Boré et Calil, 2013 : 21). D’autre part, comme l’explique Elalouf, le terme désigne à la fois le processus et le texte, considéré à la fois sous l’angle de sa réception en tant qu’elle requiert une coopération interprétative et sous celui de sa singularité :

Le vocable création sera donc pris dans une triple acception : au sens processuel de texte en élaboration ; au sens dialogique de texte adressé, qui engage les lecteurs dans un processus interprétatif comme autant de re-créations ; au sens résultatif de texte singulier, caractérisé par un style. (Elalouf, 2013 : 120.)

• De la création à l’invention

Nous évoquerons ici la question de la création sous l’angle de la transformation du matériau langagier et du processus de production, pour nous interroger sur les origines des textes, leur « invention ». Les formes premières du nom, invenciun, invencion, envention, constituent un emprunt ancien au latin classique inventio « action de trouver, de découvrir » « découverte » ou « faculté d’invention ». Mais le mot apparait en français avec la signification péjorative d’« expédient, ruse » à côté de l’emprunt. Il est intéressant de constater qu’ainsi, invention et emprunt sont mis à côté l’un de l’autre dans une même balance sémantique. À partir de ce premier emploi, le terme désigne « l’action d’imaginer une chose que l’on donne pour vraie, un mensonge ». Le sens général d’« action de trouver une idée » et de « découverte » se substitue par la suite au sens originel, d’où l’expression « trouvaille littéraire ». Le sens rhétorique « recherche des idées et art de les développer » repris au latin inventio se maintient donc à notre époque.

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Mais alors en quoi écrire un texte, est-ce « trouver » c’est-à-dire inventer, ou « emprunter » c’est-à-dire imiter ? Et s’il y a emprunt ou imitation, comment considérer une œuvre originale ?

2.2. Dans quelle mesure une œuvre qui s’inspire d’une autre est-elle ou

non, malgré tout, une œuvre originale ?

L’écriture s’invente et se nourrit de savoirs issus de lectures. Si des auteurs manifestent leur volonté de rupture, il n’en demeure pas moins que l’imitation est un point d’appui à la création littéraire et qu’elle n’empêche ni à l’œuvre d’être singulière ni à l’auteur de forger son style. La question de l’originalité est toujours sous-jacente à l’écriture.

• La reprise de ce qui a déjà été dit est inévitable

« Tout est dit, et l'on vient trop tard, depuis plus de sept mille ans qu'il y a des hommes et qui pensent », écrit La Bruyère au début des Caractères (1688). Trois siècles plus tard, Quignard reprend l’idée d’une quête d’un déjà-là qui se dissipe2. Parce qu’il n’y a pas de renouvèlement de la nature humaine, il n’y aurait qu’un nombre limité de thèmes ou d’histoires littéraires possibles. Les préoccupations de l’humanité sont en effet constamment ré-évoquées : vie, mort, croyance, amour, trahison, solitude, rencontre... Les arts peignent indéfiniment ces sujets. Les thèmes, les types de personnages, les situations se succèdent mais ne sont que reprises. Ainsi, les écrivains du XXe siècle réécrivent les mythes antiques. Sartre reprend dans Les Mouches créé en 1943 la tragédie d'Oreste. Thomas Corneille propose en 1683 propose une version versifiée et édulcorée de la comédie en prose de Molière Dom Juan ou le festin de Pierre (1665), figure qui lui préexistait, et le personnage libertin est réexploité par Mozart dans son opéra Don

Juan (1787), puis par Baudelaire dans son poème Don Juan aux enfers (1857). Les formes

littéraires sont elles-mêmes limitées. Il y a toujours des prédécesseurs et des imitateurs. Même si Rousseau affirme « forme[r] une entreprise qui n'eut jamais d'exemple », certains trouvent dans ses Confessions (1770) des analogies avec l’œuvre de Saint Augustin ; et bien qu’il ajoute que « [son] exécution n’aura point d’imitateur », Chateaubriand (Mémoires d’outre-tombe, 1841), Musset (La confession d’un enfant du siècle, 1836) s’en inspirent. Écrire, c’est puiser, volontairement ou non, dans le passé : « Inventer c’est se ressouvenir » dira encore Nerval dans

Les Filles du Feu (1854). Cependant, même si la création ne peut se détacher complètement d’un

héritage culturel et langagier, écrire constitue une projection vers l’avant et crée ainsi nécessairement de la nouveauté.

2 « Écrire c’est entendre la voix perdue. C’est avoir le temps de trouver le mot de l’énigme, de préparer sa réponse. C’est rechercher le langage dans le langage perdu » (Quignard, 1993-2002 dans Plane, 2006a : 35)

• L’imitation et la reprise n’empêchent pas l’originalité

Il convient d’abord de clarifier la notion d’originalité en s’interrogeant sur la signification même du mot qui la désigne. Comme tous les autres termes dont nous avons exploré la signification, le mot originalité porte une part d’ambivalence, même s’il est plus généralement employé avec une acception positive, en particulier dans le domaine de la production artistique.

L’adjectif « original » est tout d’abord un emprunt du latin impérial originalis, « qui existe dès l’origine, primitif », et il figure avec cette forme et ce sens dans la locution « péché original », avant d’y être remplacé par l’épithète « originel ». Ce premier emploi signifiant « d’origine » en parlant d’une chose qui émane directement de son auteur (XIVe) s’impose notamment dans le domaine de l’écrit d’où les locutions « copie originale » et « édition originale ». L’« original » est employé ainsi depuis l’ancien français comme nom pour désigner un manuscrit primitif par opposition, selon le contexte, à « copie », « traduction », et « reproduction ». Le nom « originalité » s’inscrit d’abord dans ce premier sens de « lignage, extraction » (XIVe). Un autre sens de l’adjectif est développé (XVIIe) qui est aujourd’hui conservé : « qui a sa marque propre, unique » et pour l’auteur « qui s’exprime d’une manière qui lui appartient en propre ». Cette valorisation du terme se retrouve dans l’évolution du substantif « originalité » avec la définition « de qualité d’être original ». Un troisième sens moins connu mais qui est particulièrement intéressant pour notre problématique est celui qui rattache le substantif « original » au modèle, par référence à la mimèsis3 et qui ultérieurement, en parlant de personnes ou de choses, a pris le sens qualitatif de « modèle d’excellence, digne d’être imité ». Enfin, une valeur péjorative a été attribuée à l’adjectif au sens de « bizarre, excentrique », valeur avec laquelle il est substantivé (XVIIe) et qui s’est étendue au nom « originalité » qui a acquis le sens ironique de « singularité, bizarrerie » (XVIIIe). Ainsi, les termes original/originalité renvoient-ils à la fois aux origines de la création (au sens de « primitif » et d’objet servant de « modèle ») et à sa valeur à la fois positive (au sens « propre ») et négative (« péché originel » puis au sens « bizarre »). Nous constatons également que pour au moins l’une de ses acceptions, certes tombée en désuétude, le terme « original » est relié à l’imitation.

Si écrire, c’est composer avec du déjà-là, c’est aussi produire un texte qui appartient à son auteur de façon singulière, qui lui est propre, et qui de ce fait est original. L’originalité procède a minima de la capacité d’un auteur à s’approprier les œuvres du passé ; il les refaçonne pour les adapter à son temps, au message qu’il veut produire. Chaque auteur ajoute, retranche, transforme. En changeant de contexte, de personnages, de genre, de registre, de public, l’auteur fait preuve

3 « Dans une conception de l’art comme imitation du réel (mimèsis), il a désigné aux XVIe et XVIIe siècles, un objet ayant servi ou susceptible de servir comme modèle à un peintre, à un sculpteur (1563), emploi supplanté par modèle » Dict. Historique de la langue française.

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d’originalité. Ainsi Giraudoux prétend écrire la 38ème version d’Amphitryon dans Amphitryon 38 (1929) en y ajoutant le comique et la modernité. L’Antigone d’Anouilh représentée pour la première fois au théâtre à Paris en 1944 est marquée par le contexte de la seconde guerre mondiale. Camus se réapproprie Le Mythe de Sisyphe, publié en 1942, pour nous interroger sur le sens de l’existence et imaginer un Sisyphe heureux d’accomplir son devoir d’homme, capable de dépasser l'absurdité de sa condition. Voltaire passe de l'ironie de l'article « Torture » (Dictionnaire philosophique) à l'indignation révoltée de sa Lettre au Comte d'Argental, datée de 1762, sur l’affaire Calas, plaidoyer contre l’intolérance et l’injustice. L’auto-imitation permet l’écriture de séries de romans (reprise de personnages, de scénarios...). Enfin même l’imitation la plus servile peut être revalorisée par l’interprétation. Ainsi, l’acteur qui se souvient du texte nous livre une version personnelle de l’œuvre et fait aussi acte de création. Écrire conduit toujours à réactualiser du déjà-là.

• L’imitation et la reprise offrent l’occasion d’exercer son style ou de le trouver

La matière à travailler est toujours fournie par avance à l’auteur : le langage met à sa disposition des mots et des tournures, sa rencontre avec les textes lui offre des modèles, des exemples et même des manières de dire et de mettre en intrigue. Mais cette offre ne le dispense pas du travail d’appropriation qu’il doit faire pour que ces mots, ces organisations discursives et ces textes – issus d’autres locuteurs ou scripteurs – deviennent les siens. Et une fois qu’il les aura intériorisés, qu’il en aura fait sa propriété, ils deviendront une partie de lui-même. Ils auront un sens nouveau, marqué par l’histoire et la personnalité de celui qui en devient le nouveau possesseur. Et ils deviendront le terreau sur lequel se développera son style. En effet, employer les mots et les formules des autres, mais après les avoir investis et revêtus d’un sens personnel, c’est déjà les marquer de son style.

On sait que la notion de style est très complexe, parce qu’elle a deux acceptions principales, l’une renvoyant à des propriétés partagées par un ensemble d’œuvre (c’est en ce sens qu’on parle de « style précieux » ou de « style simple »), l’autre désignant les caractéristiques idiosyncrasiques qui font qu’en voyant une œuvre on reconnait à travers elle son créateur. C’est avec cette seconde acception que nous parlons ici de style.

L’auteur en produisant du texte à partir d’emprunts et d’imitations imprime donc des marques personnelles à ce matériau, et ce à différents niveaux. Au niveau le plus profond, mais aussi le moins visible, il s’agit des interprétations et significations qu’il affecte à ce matériau. À un niveau plus visible, moins souterrain, c’est la manière dont il agence ce matériau ou dont il réajuste entre eux des matériaux issus de différentes sources qui marque le style de l’auteur, ce qui amène Pascal à se justifier ainsi de l’emprunt qu’il fait à Montaigne :

Qu’on ne dise pas que je n’ai rien dit de nouveau : la disposition des matières est nouvelle ; quand on joue à la paume, c’est une même balle dont joue l’un et l’autre, mais l’un la place mieux. (Pensées, 22).

Mais les marques stylistiques les plus visibles, les plus fortes, celles qui amènent Buffon à dire « le style est l’homme même » et qui permettent donc d’identifier un auteur à la lecture d’une simple page de son œuvre procèdent d’un fonctionnement différent : elles ont pour particularité de masquer les sources – emprunts, imitation, tout ce qui a nourri la pensée et le langage de l’auteur – tout en laissant place à des indices qui permettent à un lecteur affuté de les retrouver et d’apprécier la manière dont l’auteur s’en est emparé et les a accommodées à sa manière. En effet, c’est en permettant au lecteur de reconnaitre à travers ses Fables les emprunts à Esope que La Fontaine signale son propre style qui se démarque de la simplicité enfantine de son modèle. Et c’est en tâchant d’écrire comme Flaubert ou Balzac que Proust découvre et prouve qu’il est lui-même et non Flaubert ou Balzac.

• L’imitation et la reprise procurent l’espoir de l’innovation et de la rupture

Certes, la question de l’innovation et celle de la qualité de la production sont distinctes, mais dans le champ de la littérature et des arts, l’œuvre n’est souvent considérée comme œuvre que si elle manifeste une singularité, une originalité. C’est ce qui amène Victor Hugo à proclamer fièrement dans Les Contemplations, avec le style imagé et flamboyant et l’absence de modestie qui le caractérisent : « Je fis une tempête au fond de l'encrier ». Son souci de singularité l’amène également à s’insurger contre l’imitation « N’imitez rien ni personne. Un lion qui imite un lion devient un singe ». Pourtant, comme le dit Meschonnic (2000 : 27) « Écrire après sans écrire comme » est possible car « la modernité est le toujours je-ici-maintenant ». En fait, c’est parce que l’écrivain hérite d’une tradition qu’il peut manifester son originalité et sa liberté en empruntant des chemins de traverse, en faisant taire le bruit des autres. Que ce soit vrai ou faux, il a besoin d’avoir l’impression d’être unique pour s’accomplir. C’est ce qu’exprime Marguerite Duras dans Écrire, lorsqu’elle évoque, « cette illusion qu’on a – et qui est juste – d’être le seul à avoir écrit ce qu’on a écrit, que ce soit nul ou merveilleux » (1993 : 25). Elle poursuit : « L’écriture a toujours été sans référence aucune ou bien elle est... Elle est encore comme au premier jour. Sauvage. Différente. » (1993 : 31). L’écriture, même si elle prend racine dans la reprise et l’imitation est donc toujours inventée.

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