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Les missionnaires lazaristes sont en concurrence acharnée avec d’autres écoles étrangères, y compris françaises, établies à Téhéran. Dans une lettre adressée au supérieur général, Delteil, un des missionnaires de l’École Saint Louis écrit :

Encore nécessaire […] : meubler nos locaux de tableaux, cartes, globes, en un mot de tout ce qui est indispensable pour entrer en lutte avec des concurrences bien organisées386.

Selon Raynaud, le directeur de l’école en 1912, le progrès de l’école soulève des rivalités. Il considère l’école de l’Alliance française comme la rivale « la plus sérieuse »387 de

l’École Saint Louis, car elle est la première école française de Téhéran à avoir l’autorisation de délivrer un diplôme équivalent au baccalauréat français. Dans une lettre adressée au procureur général, Aristide Châtelet propose que l’école de l’Alliance française reste une école primaire et que ses diplômés soient envoyés au Collège Saint Louis pour poursuivre leurs études secondaires, et demande au gouvernement français de ne pas accorder un « certificat étranger », l’équivalent du baccalauréat français, à cette école.388 Cette demande

est refusée, et ce n’est qu’en 1917 que le Collège Saint Louis bénéficie du même avantage. La concurrence entre les écoles étrangères à Téhéran se traduit par la mise en place, par ces écoles, d’initiatives visant à attirer le maximum d’élèves dans leurs établissements. A titre d’exemple, en 1920, les dirigeants du Collège Saint Louis décident d’organiser un cours de formation « pratique à la carrière d’instituteur primaire ». Selon ce projet, les maîtres- étudiants, choisis lors d’un concours, poursuivent un an de cours suivi d’un an de stage-cours. Le programme des cours comprend les matières suivantes: institution générale, pédagogie, pratique de méthode générale d’enseignement, administration, étude de l’école (du mobilier, du matériel, des locaux d’hygiène). Les élèves passent à la fin de la deuxième année un examen pour recevoir « un brevet de capacité pédagogique »389.

« L’Union Saint Louis » est une autre initiative mise en œuvre par les dirigeants de Saint Louis dans le but d’« échapper à l’emprise américaine ». L’Union rassemble les anciens élèves de l’École Saint Louis, « dont des nobles étant généralement en poste ». Des

386Dossier138 n, « Iran- Correspondances 1905-1914 », Lettre de Delteil, 1908, Archives des Lazaristes, Paris. 387Dossier 138 d, « Iran : Ecoles : Tabris, Saint-Louis de Téhéran, Ispahan », Lettre de Raynaud, 1909, Archives des Lazaristes, Paris.

388 Dossier138 n, « Iran- Correspondances 1905-1914 », Lettre d’Aristide Châtelet adressée au procureur général, 17 juillet 1913, Archives des Lazaristes, Paris.

389Dossier 138 b, « Téhéran : Correspondance : 1914-1932 », Lettre d’Aristide Châtelet adressée à l’inspecteur général, 30 mars 1920, Archives des Lazaristes, Paris.

conférences sur la littérature, l’histoire et l’actualité sont organisées dans le cadre de « l’Union Saint Louis »390. Les participants sont munis d’un certificat à la fin d’une série de

conférences.

En 1921, Firouz Mirza Nosrat ol-Dowleh, ministre iranien des Affaires étrangères propose à Aristide Châtelet la création d’un deuxième collège français sous la direction des Lazaristes. Il garantit l’attribution d’une rente annuelle de 10 000 francs au collège391. La

nouvelle est communiquée à Verdier, le supérieur général des Lazaristes. Dans un télégramme, il est demandé au supérieur d’envoyer du personnel à Téhéran afin de pourvoir un établissement d’enseignement secondaire en collaboration avec le gouvernement iranien, « une occasion qui ne se présentera plus jamais »392. Ce projet n’est pas pris eu considération

par les Lazaristes. Or, en 1923 une école de droit est fondée par le gouvernement iranien. Deux professeurs français sont invités pour enseigner les matières de droit et de droit administratif dans cette école.

En 1922, la création prochaine d’une école technique irano-allemande est annoncée393.

Cette annonce fait l’objet de protestations de la part d’autres écoles étrangères établies à Téhéran. Aristide Châtelet, le directeur du Collège Saint Louis, réagit à cette annonce en s’adressant au ministre iranien de l’Éducation le 27 novembre 1922 :

Il faut penser à l’effort prodigieux que vient de fournir le gouvernement persan pour l’établissement de l’école technique dirigée par les Allemands. Or à qui est destinée cette école ? A des élèves des classes moyennes qui même parfaitement instruits ne trouveront que difficilement les occasions d‘exercer leur capacité et qui comme la plupart de leurs devanciers se lanceront dans une voix autre que celle que le gouvernement persan a eu en vue pour la création de cette école394.

390Dossier 138 b, « Téhéran : Correspondance : 1914-1932 », Rapport d’Aristide Châtelet, 1921, Archives des Lazaristes, Paris.

391Dossier 138 b, « Téhéran : Correspondance : 1914-1932 », Lettre de Châtelet à Emil Cazot, 5 mai 1921, Archives des Lazaristes, Paris.

392Dossier 138 b, « Téhéran : Correspondance : 1914-1932 », Télégramme du ministère français des Affaires étrangères adressé au Verdier, 2 septembre 1921, Archives diplomatiques de la Courneuve, Paris.

393 La première école allemande est fondée en Iran en 1907. Elle est subventionnée de 12 000 toman par le gouvernement iranien et 3000 toman par le gouvernement allemand. L’organisation et l’équipement exemplaire de cette école fait réagir des dirigeants d’autres écoles étrangères, telle que les missionnaires lazaristes de l’École Saint Louis. Raymond Lecomte, l’ambassadeur de France à Téhéran, écrit ainsi au sujet de cette école : « l’école allemande de Téhéran ne néglige aucun effort, aucune dépense pour concurrencer toutes les écoles de Téhéran. Elle dispose de ressources propres à éblouir et à attirer tous les petits persans et à flatter leurs parents ». 394Dossier 138 b, « Téhéran : Correspondance : 1914-1932 », Lettre d’Aristide Châtelet adressée au ministre de l’Education, 1922, Archives des Lazaristes, Paris.

L’école irano-allemande est fondée à Téhéran en 1923395. Plusieurs professeurs allemands

sont recrutés afin d’y enseigner. De jeunes Iraniens font leurs études dans les écoles allemandes et vont de plus en plus en Allemagne afin de se spécialiser dans leur domaine d’études.

Constatant que la tendance est favorable à l’Allemagne, le gouvernement français tente de renforcer son influence culturelle en Iran en multipliant ses établissements d’enseignement. Le président du conseil du ministère des Affaires étrangères s’exprime à ce propos dans une lettre adressée au supérieur général des lazaristes :

Notre ministre en Perse appelle mon attention sur la nécessité de construire au plus tôt à Téhéran, un collège où notre enseignement secondaire serait mis à la portée immédiate de la jeunesse trop tentée actuellement d’aller étudier en Allemagne ou en Amérique396.

Il demande au supérieur l’envoi de cinq missionnaires à la mission de Téhéran. Mais la requête n’aboutit pas, le supérieur général ne lui donnant pas de suite favorable. On peut s’interroger sur les raisons pour lesquelles le supérieur fait preuve d’une telle ténacité quant à l’envoi de personnel et, de manière générale, quant à l’obtention de subventions pour la mission de Téhéran.

L’école de Téhéran, et cela vaut aussi pour d’autres écoles des Lazaristes, n’ont aucun succès en matière de conversion au catholicisme. L’objectif d’éduquer « des bons catholiques » est abandonné dès le début par les missionnaires lazaristes de la mission de Téhéran. Il leur est strictement interdit d’intégrer à leur enseignement des éléments religieux chrétiens. Les cours religieux ne sont destinés qu’aux élèves catholiques, et ce en dehors du programme de l’école, afin de ne pas faire fuir les élèves musulmans ou arméniens, qui constituaient la majorité des effectifs. Le caractère religieux de cette école est néanmoins un atout. Dans une lettre adressée au supérieur des Lazaristes, Raynaud écrit que les musulmans envoient leurs enfants à l’école des missionnaires lazaristes car « ils savent qu’on ne niera point, comme on le fait dans d’autres écoles, l’existence de Dieu. Ils savent qu’on ne cherchera point à faire pénétrer chez eux l’irréligion et la morale laïque »397.

395 Christl Catanzaro, « German cultural influence in Persia », Encyclopaedia Iranica,Vol. X. 2012, p. 564-567. 396Dossier 138 b, « Téhéran : Correspondance : 1914-1932 », Lettre du président du conseil de ministère des Affaires étrangères français adressé au supérieur général des Lazaristes, 1923, Archives diplomatique de la Courneuve, Paris.

397Dossier 138 d, « Iran : Ecoles : Tauris, Saint-Louis de Téhéran, Ispahan », Lettre de Raynaud, 21 janvier 1911, Archives Lazaristes, Paris.

Les Lazaristes reconnaissent que l’enseignement du français est la raison pour laquelle leur établissement est bien accueilli. Proposer un enseignement proprement catholique aurait éloigné les élèves musulmans, et privé l’école et la mission du soutien moral et financier des gouvernements iraniens et français. En outre, les enfants catholiques qui fréquentent l’école sont, en majorité des Européens, enfants de diplomates ou commerçants installés dans la ville. En général, ceux-ci recherchent avant tout pour leurs enfants l’instruction, et « sont prêts à la rechercher dans des établissements où la religion n’est pas en odeur de sainteté»398. Sontag,

missionnaire lazariste, alerte le supérieur que négliger l’école Lazariste de Téhéran, c’est « envoyer ses élèves à l’Alliance française et les condamner plus ou moins à l’athéisme »399.

En ce qui concerne les élèves arméniens, s’ils fréquentent les écoles lazaristes, ils connaissent en même temps l’enseignement religieux arménien qui leur est prodigué par la famille et la communauté. Berthonesque croit qu’« il est beaucoup plus difficile de travailler l’élément schismatique que l’élément laïque. Habitués à une religion qui, à leurs yeux, ne se confond pas avec la rationalité, les schismatiques et particulièrement les schismatiques arméniens trouvent très mauvais que nous leurs parlions d’embrasser le catholicisme. »400

Nous n’avons eu accès à aucune lettre de retour venant de la congrégation et n’avons donc pas eu connaissance de l’avis du supérieur sur cette école. Mais, il est probable que ce choix de restreindre le prosélytisme découragea le supérieur de soutenir cette mission, qui alla jusqu’à embaucher et payer des « professeurs laïques »401 pour enseigner à l’école.

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