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L’enseignement du droit et certaines de ses branches est fait dans le cadre du programme d’études de l’école des sciences politiques. Cet enseignement insuffisant ne pouvait pas répondre au besoin juridique d’un pays ayant nouvellement adopté une constitution. La nécessité d’ouvrir une école dans laquelle seront formé des experts en affaires juridiques se fait sentir au sein du ministère de la Justice. En 1914, Adolphe Perny, jurisconsulte du ministère de la Justice et enseignant de l’école des sciences politiques, propose l'inauguration d'une école indépendante de l’école des sciences politiques, focalisée sur l’enseignement des différentes branches du droit. Un comité est formé dans le but d’étudier cette proposition. Perny exprime ainsi son objectif :

L’école primaire actuelle [l'école des sciences politiques] n’est pas capable de mettre en place un enseignement juridique. Donc cet enseignement doit être fait dans une école consacrée spécifiquement aux études supérieures juridiques. La création de cet établissement, afin de former un cadre juridique expert, devrait être la première tâche importante du gouvernement289.

L'établissement d’une école de droit sous la direction de Perny est confirmé lors d’une réunion de ce comité. Il est également décidé que l'école sera divisée en deux branches : la première branche se limite à l'enseignement du droit et la deuxième est chargée de l'enseignement du droit national, de l'économie et du droit administratif. Selon le programme d’étude de l’école de droit, Perny s'engage à enseigner la constitution de la justice et le droit pénal. Demorgny s'occupe de l'enseignement du droit administratif et financier. L'enseignement du fiqh est à la charge de Haj Seyed Nasro-Allah. Mansour-ol Saltaneh enseigne le droit constitutionnel. L’histoire des conflits régionaux est enseignée par Zaka-ol Molk (Mohammad Ali Foroughi). Deux professeurs français « prochainement embauchés »290

s’occuperont de l’enseignement du droit international et du droit commercial.

Le déclenchement de la Grande Guerre interrompt la mise en place de ce projet : les personnels français, y compris Perny, retournent en France dès le commencement de la

288Idem, page 315.

289 Agheli, article cité, page 55. 290Tarbiat, n°346, 1905, page 1670.

guerre. Le gouvernement iranien, contrarié de cet abandon, annonce « qu’une fois la guerre finie, les enseignants contractuels françaises ne pourront pas retourner en Iran à moins que la durée de leurs contrats ne soit achevée »291. D’après Demorgny, les Allemands sont derrière

cette décision :

Les Turco-Germains ne se sont pas contentés de compromettre l’existence de nos missions françaises d’enseignement du droit et de la médecine à Téhéran292.

Perny fait partie des enseignants qui rentrent en Iran après plusieurs échanges de dépêches entre le gouvernement iranien et celui de la France sur la question « des indemnités des vacances des professeurs et du personnel français »293. Dès sa rentrée, il tente de mettre en

place son projet de création de l’école de droit. Cette décision est accueillie favorablement par Nosrat ol-Dowleh Firouz Mirza, le ministre de la Justice. Le 7 août 1919, une délégation iranienne est envoyée à Paris dans le but de participer à la conférence de la paix de Versailles. Perny accompagne cette délégation. Il est chargé d’embaucher quatre professeurs ayant l'expérience d'enseigner les différents domaines du droit à l'école nouvellement constituée. Malgré une certaine des mulla « qui se croient menacés dans le monopole dont ils prétendaient jouir en matière d’enseignement »294 du droit, l'école supérieure de droit ouvre

ses portes en novembre 1919 sous la direction de Perny.

Le programme d’études de l’école contient les matières suivantes : le droit chiite est enseigné par Mansour-ol Saltaneh, ancien élève de l’école des sciences politiques ; Haj Seyed Nasro-Allah s’occupe de l’enseignement de procédure constitutionnelle ; Zaka-ol Molk Foroughi s’engage à enseigner le droit constitutionnel ; Perny professe le droit criminel. Le code civil est enseigné par Dufoussant, qui connait la législation musulmane. Merle traite la question de l’Orient, le traité de Versailles et la Société des Nations pendant ces cours de droit international et d’histoire diplomatique. Emile Lesueur se charge d’enseigner l’économie politique.

La majorité des matières sont enseignées en français et par des Français. Les élèves de cette école, les diplômés de l'école Dar-ol Fonoun ou de l'école des sciences politiques qui maîtrisent la langue française, peuvent entrer directement à l'école. Sinon, les candidats

291Hossein Ahmadi, Quelques correspondances sur les relations franco-iraniennes(Asnadi az ravabete Iran va Faranseh), Sazmane asnad melli, Téhéran, 2004, page 48.

292 Gustave Demorgny, La question persane et la guerre, page 227. 293 Ahmadi, op.cit., page 48.

doivent passer le concours d'entrée. Le diplôme de cette école est considéré comme équivalent au baccalauréat et est reconnu par les universités françaises295.

Le programme initial de cette école est élaboré et soutenu par les enseignants de l’école des sciences politiques. A vrai dire, un nombre considérable d’enseignants de l’école de droit sont soit enseignants, soit diplômés de l’école des sciences politiques. Dans les premières années de son fonctionnement, l’école de droit travaille indépendamment de l’école des sciences politiques. Compte tenu de leur proximité sur le plan scientifique, ces deux écoles sont fusionnées pour établir l’école supérieure de droit et des sciences politiques en 1927 sous le règne de Reza Shah Pahlavi.

Nous pouvons dire qu’àl’époque des Qâdjârs l’école de droit est la seule école supérieure iranienne dans laquelle on enseigne les matières spéciales. Elle est également la seule école gouvernementale iranienne qui est fondée sous la direction d’un Français. D’après Emile Lesueur, un des professeurs de l’école, elle « porte le plus de succès » parmi les œuvres scolaires françaises en Iran. Lesueur nous transmet le sentiment de satisfaction d’un des élèves de l’école du droit :

Je n’ai que des vœux pour m’acquitter des bienfaits dont, vos collègues et vous, vous nous avez comblés jusqu’à aujourd’hui. […] Ne croyez pas cher professeur, que je sois un simple étudiant se bornant à écrire des cahiers de notes et à les étudier en vue de l’examen. Non, je fais plus : je réfléchis à ce que vous nous enseignez ; je médite sur vos leçons pendant de longues heures et je m’efforce de saisir votre pensé et de m’en bien pénétrer296.

L’école supérieure de droit et l’école des sciences politiques forment un nombre considérable de juriste et d’hommes politiques de l’Iran de cette époque.

Conclusion

L’époque de Mozafar ol-din Shah Qadjar (1896-1907) est marquée par une ouverture culturelle du pays. Un mouvement populaireen faveur de l’établissement d’écoles modernes se développe. Des centaines d’école, dites nationales, sont créées par les élites dans le but d’alphabétiser le peuple. Bien que le gouvernement soutienne et parfois subventionne ces écoles, il ne fait pas beaucoup d’efforts dans la fondation d’écoles gouvernementales. L’école

295 Agheli, article cité, page 355. 296 Lesueur, op.cit, page 97.

des sciences politiques est la seule école gouvernementale créée durant ce règne. En effet, elle est la deuxième école gouvernementale créée à l’époque des Qâdjârs après l’école Dar ol- Fonoun. Elle consacre, comme l’école de Dar ol-fonoun, son œuvre aux garçons de la couche aisée, mais avec cette différence que l’entrée à l’école des sciences politiques n’est pas libre, et que les candidats devaient passer un concours d’entrée. Alors que Dar ol-Fonoun est gérée par le ministère de l’Éducation, l’école des sciences politiques est établie sous l’égide du ministère des Affaires étrangères. En effet, cette école a pour mission de former un personnel spécialisé destiné à travailler dans le cadre de ce ministère.

Étant donné que l’école est fondée dans le but d’enseigner les sciences politiques, on peut la considérer comme la première école moderne gouvernementale spécialisée à l’époque des Qâdjârs. Elle joue un rôle important pour faire connaître aux étudiants les notions de base du droit constitutionnel ainsi que les nouvelles règles diplomatiques. Elle diffuse également des idées révolutionnaires auprès de ces élèves. Ces derniers participent activement aux événements qui mènent à la révolution constitutionnelle. Ils sont également très attentifs à sensibiliser le peuple aux enjeux politiques, sociaux et culturels du pays. La traduction des livres liés aux sciences humaines par les enseignants ainsi que les diplômés de cette école rend ainsi un grand service à ceux qui désiraient s’informer dans ce domaine.

Parmi les écoles iraniennes de l’époque des Qâdjârs, l’école des sciences politique est novatrice dans l’enseignement de certaines matières. En effet, la plupart des autres écoles mettent généralement l’accent sur l’enseignement des matières liées aux sciences dures, telles que les mathématiques, la médecine ou l’ingénierie, alors que l’école des sciences politique est la seule à offrir aux jeunes iraniens un enseignement des sciences humaines. L’enseignement des matières, telles que l’histoire de l’Iran et la littérature persane, présentent les premiers efforts dans le but de revaloriser le passé du pays dans un cadre scolaire.

L’œuvre éducative de l’école est éclipsée par les événements sociaux et politiques importants qui se déroulent dans le pays. Pendant ces événements, les enseignants de l’école, partisans de différents courants politiques, s’occupent « plutôt de la question de la constitution et de la monarchie que de l’école»297. En effet, la rivalité politique entre les enseignants

influence leurs activités pédagogiques.

L’école des sciences politiques est crée dans le but de former des diplomates. Alors que le français est la langue de la diplomatie en Iran, voire même dans le monde jusqu’en

297Majles, n°53, 1911, page1.

1919, cette école n’offre pas un enseignement parfait de la langue française. Cette langue y est cependant dominante dans le cadre de l’enseignement des langues étrangères.

Chapitre V

Les écoles des Lazaristes dans l’Iran des Qâdjârs

L’Iran des Qâdjârs, pays officiellement chiite duodécimain depuis l’époque des Safavides, comptait aussi des communautés non musulmanes : des juifs, des Zoroastriens, des chrétiens, etc. La société chrétienne d’Iran se répartit entre Arméniens, Chaldéens, et Assyriens. Les Arméniens, résidant principalement dans la région d’Azerbaïdjan et dans le quartier Julfa d’Ispahan, se divisent en Arméniens orthodoxes, Arméniens catholiques et Arméniens protestants. Des Assyriens (Nestoriens) s’étaient installés dans la plaine d’Ormia, au nord-ouest du pays. Les Chaldéens catholiques habitent, majoritairement, dans la région d’Azerbaïdjan. Une petite communauté de ces Chaldéens séjourne dans la province du Kurdistan. Les chrétiens, qui résident en grande partie à Téhéran, sont des Européens qui s’étaient installés dans la ville pour des raisons diplomatiques ou financières. Les premiers missionnaires occidentaux arrivent en Iran dans la première moitié de XIXème siècle pour convertir ces communautés de chrétiens au protestantisme ou au catholicisme.

L’arrivée des missionnaires lazaristes provoque des changements dans la vie des catholiques d’Iran à l’époque des Qâdjârs. Ce sont ces événements, relatifs à la présence des missionnaires lazaristes et à leur action auprès de la communauté chrétienne, qui font l’objet de notre étude dans de ce chapitre. La question du rôle des Lazaristes dans l’Iran de l’époque a déjà été plus au moins abordée par les iranologues. Dans ce travail, nous nous sommes focalisée sur les œuvres éducatives de ces missionnaires au sein de la communauté chrétienne du pays. Afin de dresser le bilan des activités culturelles des Lazaristes dans l’Iran du XIXème-XXème siècle, nous nous sommes basée en grande majorité sur les archives des missionnaires lazaristes à Paris. Nous commençons par donner un bref historique des premières résidences des missionnaires catholiques en Iran.

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