• Aucun résultat trouvé

Sur ordre de Shah, une commission est formée afin de refondre la charte de l’école. D’après cette dernière, les enseignants doivent apprendre, premièrement, à tous les étudiants, les données rudimentaires. Ensuite chaque enseignants’occupera d’un groupe d’étudiants afin de leur apprendre tous le programme, sauf le français ; l’enseignement de la langue française doit être à la charge « d’un professeur spécial »164, Richard Khan. Deux Iraniens, Mirza

Mohammad Ali Khan, ministre des Affaires étrangères, et Aziz Khan, adjudant du Shah, sont

160 Fereidoun Adamiat, Amir Kabir et l’Iran (Amir Kabir va Iran), Téhéran, Kharazmi, 1969, page 358.

161 Dans son récit de voyage en Iran, le docteur Jacob Eduard Polak, le médecin du groupe, écrit : « Le nom de "mission" pour notre groupe, qui était totalement indépendant du gouvernement, n’est pas convenable. » Jacob Eduard Polak, La Perse et les Persans (Iran va Iranian), traduit par Keikavoos Jahandari, Téhéran, Kharazmi, 1990, page 207.

162Idem page 207. 163Idem, page 209. 164Idem, page 209.

sélectionnés en tant que directeur et inspecteur de l’école165. En ce qui concerne les étudiants,

il s’agit d’une centaine d’enfants issus des classes aisées. Ils reçoivent de la part du gouvernementleurs uniformes deux fois par an ;de plus, le gouvernement leur accorde un salaire,lequel est supprimé sept ans plus tard166.

Après avoir assimilé la charte, les enseignants autrichiens, un certain nombre d’Européens qui résidaient déjà en Iran, ainsi que quelques Iraniens pour enseigner la littérature persane et la langue arabe, commencent leurs travaux167. « Comme les étudiants

provenaient des familles illustres et que la plupart d’entre eux savaient déjà parfaitement lire et écrire »168, les professeurs décident de sauter la première étape et de commencer à

enseigner selon leurs propres spécialités. Pour avoir une idée du fonctionnement de cette école dans les premières années de sa création, on peut se référer aux mémoires du docteur Jacob Eduard Polak, un ophtalmologue attaché au groupe autrichien. C’est ainsi que le docteur donne une image de ses premiers cours de médecine aux étudiants iraniens :

Je fus affecté à la tâche d’apprendre la médecine à quatorze personnes. Je ne parlais point le persan, et mes étudiants n’étaient pas meilleurs en français. Dans un premier temps, j’appelai au secours un interprète. Lerésultat me parut satisfaisant ; quoiqu’il ne parlât que partiellement le français, il traduisait mes propos sans difficulté ; la seule chose qui me semblait étrange, c’était que, quand je disais une courte phrase, il prenait beaucoup de temps pour la traduire. Je me rendis compte bientôt que mes explications lui étaient complètement incompréhensibles et qu’il répétait de fausses informations trouvées dans des livres médicaux persans ! J’eus la conséquence du mal à les extirper de l’esprit de mes étudiants169.

Par la suite, Polak fait de son mieux pour mener sa tâche à bien ; il commence à apprendre le persan et, afin de mieux s’exprimer, il a recours au dessin et à la pantomime. Les difficultés de Polak face à ses étudiants ne se limitent pas à la question de la langue ; il doit également faire face auxétudiants superstitieux, qui rechignent à participer aux cours pratiques de médecine en raison de l’impureté des squelettes qu’il a apportés d’Autriche. Le récit du docteur Feuvrier, le médecin en chef français de Naser ol-Din Shah, qui a visité l’école de Dar ol-Fonoun en 1889, montre que la situation de l’enseignement de la médecine au sein de l’école n’évolue guère par rapport aux premières années :

165 Mohammad Hasan Khan Etemad-ol saltaneh, Al-Maaser va al-asâr, téhéran, Asatir, 1985, Page 42. 166 Adamiat, op.cit., page 367.

167 Hossein Makki, La vie de Mirza Taghi Khan Amir Kabir (Zendegani Mirza Taghi Khan Amir Kabir), Téhéran, Bongahe tarjomeh va nashre ketab, 1982, page 245.

168 Polak, op.cit., page 209. 169Idem, page 210.

Des laboratoires de physique et de chimie, assez pourvus, permettent aux élèves de passer de la théorie à la pratique, tandis que l’enseignement de la médecine, qui n’a pas encore pu vaincre d’étroites idées religieuses, est tout théorique170.

La médecine est en effet toujours vue en Iran comme une science ésotérique. L’exercice de la médecine comme métier demeure réservé à certaines personnes ou certaines familles particulières ; et le faite, de posséder ou non des connaissances en médecine n’a que peu à voir avec cet état. Il est à noter que, tout au long de son histoire, l’Iran a pourtant connu de grands médecins. Or, après la chute des Safavides, la médecine régresse, tout comme les autres sciences. D’après Sergei Cherniaev, un Russe qui a visité l’Iran des premiers Qâdjârs, « en Iran, il est difficile de tracer une ligne entre la médecine et la superstition »171.

Malgré tout cela, peu à peu, l’offre éducative de l’école prend forme et les élèves s’adaptent progressivement aux nouvelles méthodes d’enseignement. Le premier groupe d’enseignants de l’école récolte les fruits de leurs efforts quatre ans après leur arrivée en Iran : un groupe de leurs étudiants qui avaient déjà appris le français part en France afin d’y faire un stage complémentaire. Dans son récit de voyage, Polak n’hésite pas à démontrer combien il était satisfait de ces étudiants, qu’il rencontre plus tard à Paris. Mirza Hossein, un des étudiants de ce groupe, lui dédicace sa thèse :

Durant mon séjour à Paris, j’ai entendu les commentaires élogieux des professeurs à propos des efforts et du talent de ces étudiants. Je peux donc me réjouir en disant que j’ai, tout du moins, établi les bases pour enseigner la médecine à des étudiants, espérant qu’à l’avenir, ces tentatives donneront de bons résultats172.

En lisant les rapports parus de façon irrégulière dans le journal de l’école Dar ol- Fonoun de 1863 à 1869, on observe que les règlements et enseignements de cette école n’ont guère changé par rapport aux premières années qui suivent sa création. En 1863, le directeur de l’école organise une réunion avec les professeurs pour discuter des enseignements à dispenser aux étudiants. Il est décidé lors de cette réunion que tous les étudiants doivent être présents à l’école une demi-heure avant le début des cours. Tous les élèves ont l’obligation de se réunir dans une grande salle prévue à cet effet, afin qu’une certain Mirza Kazem, diplômé d’une université parisienne, enseignant d’histoire naturelle et responsable des laboratoires de physique et de chimie, leur dispense des rudiments de physique pendant deux heures. À la

170 Jean Baptiste Feuvrier, Trois ans à la cour de Perse, Paris, F. Juven, 1900, page 182.

171 Elena Andreeva, Russia and Iran in the Great Game, London/ New York, Routledge, 2007, page116. 172 Polak, op.cit., page 215.

suite de ce cours, les groupes d’étudiants doivent se disperser aux différents étages pour se rendre dans leurs propres salles d’études. Ensuite, chaque professeur se voit attribuer un groupe d’élèves prédéfinis durant deux heures. Après avoir suivi ces cours, les élèves de toutes les disciplines ont trois heures pour déjeuner, prier et se reposer. L’après-midi ont lieu les cours de français et de mathématiques auxquels assistent tous les groupes en commun173.

La première chose qui attire l’attention dans ces rapports, c’est l’importance qu’on accorde à l’apprentissage de la langue française. Les cours de français ont lieu tous les jours et pour les élèves de toutes les disciplines, et sont assurés par un professeur français. Cette langue joue d’emblée un rôle important : la quasi-totalité des disciplines est enseignée en français. En effet, cette langue fait partie du programme d’études de l’école dès sa fondation ; bien que les premiers professeurs soient Autrichiens, ils délivrent leur enseignement en français. Ce groupe de professeurs est finalement remplacé par un autre groupe de professeurs européens, dont la majorité est des Français.

Selon Julien de Rochechouart, chargé d’affaire français en Iran,en 1867,les mathématiques, la physique, la chimie, le persan, l’arabe, le français, l’histoire, la géographie, la médecine et les sciences militaires sont enseignés à l’école :

Le directeur des études est un officier supérieur français qui a sous ces ordres plusieurs professeurs européens et dix professeurs indigènes. L’enseignement de la médecine est sous la direction de M. le docteur Tholozan, médecin en chef français du Roi. Une somme de 10000 francs est distribuée à titre d’appointements entre les différents élèves, qui reçoivent en outre la nourriture des cuisines royales174.

A cette date, l’arabe est la seule langue étrangère enseigné à tous les élèves en plus du français. Nous pouvons dire que le principe qui préside à l’enseignement de l’arabe est le même que dans les maktab : l’apprentissage du Coran et les notions de bases de l’islam. L’anglais ne concerne que certaines catégories d’étudiants, comme les élèves des télégraphes ; il est enseigné par un professeur anglais et un professeur français175.

173Carton 644, n° 2950003344 et n° 295004807, Les rapports quotidiens de l’école Dar-ol- Fonoun, sans date, centre des archives nationales, Téhéran.

174 Julien De Rochechouart, Voyage en Perse, Paris, E. Thunot, 1867, page 112.

175Carton 644, n° 2950002028, Rapports quotidiens de l’école Dar-ol- Fonoun, sans date, centre des archives nationales, Téhéran.

IV. L’école Naserieh, une école fondée contre Dar ol-Fonoun

Dar ol-Fonoun est inaugurée sous le nom d’école royale. En effet, elle est la première école subventionnée par le gouvernement. Pendant les premières années qui suivent la fondation de l’école Dar ol- Fonoun, Naser ol-Din Shah s’y intéresse, de telle sorte qu’il suit de près son fonctionnementets’y rend souvent afin d’offrir des décorations aux élèves ainsi qu’aux professeurs176. Ce qui suit est un passage d’un article du journal Nehlat Aladabiyèh, publié en arabe à Londres, en faveur de Naser ol-Din Shah :

Pendant trente à quarante années, l’instruction, notamment l’instruction dans les sciences étrangères, fut presque inconnue en Perse. Cet homme singulier, sans maître, et même contrairement aux idées reçues de son peuple, a acquis seul, par ses propres efforts plus qu’aucun savant persan, toutes les connaissances contemporaines177.

Tout en confirmant ce point de vue exagéré, voir totalement erroné, le rédacteur d’Écho de Perse, le premier journal publié en français en Iran, se demande pourquoi l’Iran n’est pas plus avancé dans la voie du progrès, alors qu’il est gouverné par « un empereur si extraordinaire »178. En réponse à cette question il faut dire que le despotisme du Shah est en

soi le plus important barrage au développement intellectuel du pays. Malgré l’intérêt manifesté pour l’inauguration d’une école à l’européenne, il craint l’impact de ce nouveau système éducatif sur les élèves ainsi que sur l’ensemble société. Il est conscient que, pour régner, mieux vaut maintenir le peuple dans une ignorance complète, un public sensibilisé et informé pouvant mettre en péril son pouvoir absolu. La religion est une arme efficace dont Naser ol-Din Shah se sert pour faire face aux élites progressistes. Une anecdote d’un Iranien dans le journal Jarida-al-adb indique comment le Shah applique cette arme :

J’étais reçu en audience auprès du Shah. Mon fils de quatorze ans, qui parle dix-sept langes, récite des phrases dans toutes celles-ci. Et devant les courtisans forts impressionnés par son talent, le Shah lui demande de réciter deux sourates du Coran. Comme l’enfant était incapable de les réciter, le roi se fâcha et ordonna qu’on nous chasse de la cour179.

Ce genre de réaction montre l’absence d’intérêt du Shah pour le changement et les réformes. Cela décourage les hautes autorités du pays qui cherchent à le moderniser. En effet,

176 Mahboubi Ardakani, op.cit, page 309. 177Écho de Perse, 1887, n° 7, page 1. 178Écho de Perse, 1887, n° 7, page 1. 179Jarida-al-adab, n° 35, 1905, page 7.

sans le soutien du Shah, plus haute instance politique du pays, toutes les tentatives de modernisation sont vouées à l’échec. Aussi, alors que la majorité des élèves de l’écoleDar ol- Fonoun sont des enfants de courtisans, ces derniers sont prêts à tout moment à les en retirer uniquement pour faire plaisir au roi.

Comme mentionné précédemment, l’objectif principal de la création de Dar ol-Fonoun est l’enseignement des sciences et techniques militaires sur le modèle européen. Or, peu à peu l’importance donnée à cet enseignement au sein de l’école décroit, de sorte qu’en 1885, Kamran Mirza, ministre de la Guerre, fonde une nouvelle école militaire, nommée Naserieh. Le journal Echo de Persenous informe des raisons pour lesquelles est décidée la création de cette nouvelle académie :

S.A.I. le prince ministre de la Guerre avait depuis longtemps reconnu la nécessité d’exiger des officiers de l’armée une instruction solide et spéciale […]. Des jeunes sortants du collège de Téhéran [Dar-ol-Fonoun] n’avaient pas reçu une éducation spécialement militaire ; instruits dans les connaissances générales que l’homme doit connaître, les jeunes sortant de cet institut, étaient aptes à différentes carrières, mais n’avaient pas été dressés spécialement en vue de celle des armes […]. La création d’une école militaire spéciale répond à un besoin réel180.

En vérité, c’est la fondation d’une loge maçonnique181 par Mirza Malkom Khan182,

professeur à Dar ol-Fonoun, qui fait craindre à Naser ol-Din Shah que s’imposent aux étudiants des idées révolutionnaires et progressistes, et le fait se détourner de l’école. La peur du Shah à cet égard est si grande qu’il fait interdire la lecture de l’Histoire de la révolution

française de Jules Michelet183.Kamran Mirza, le ministre de la Guerre soutient les idées

dogmatiques et despotiques du Shah contre les progressistes du pays. Malgré la récente malveillance du Shah à l’égard des nouvelles institutions éducatives, l’établissement de l’école Naserieh est bien accueilli par lui. Il visite l’école dès sa fondation et lui consacre une somme annuelle de 1000 toman184, alors que l’école Dar ol-Fonoun souffre d’un manque

cruel de moyens financiers.

180Écho de Perse, n°6, 1885, pages 1-2.

181 En persan Fârâmoush- khaneh, c’est-à-dire littéralement « maison de l’oubli ».

182 Une élite iranienne étant un des premiers théoriciens de l’idée d’occidentalisation du pays. Son journal nommé Ghanoun et publié et diffusé depuis Londres est un des inspirateurs du mouvement constitutionnel iranien.

183 Hossein Mahboubi Ardakani, L’histoire des institutions civilisées (Tarikh moasesat tamadoni), toeme I, Téhéran, Daneshgah Téhéran, page 310.

Le français et le russe sont les deux langues principales, en sus du persan, enseignées à l’école Naserieh185. Or, le rapport du rédacteur du journal Écho de Perse, qui a visité cette école un an après sa création, montre la primauté de la langue française d’une part, et même le caractère tout symbolique de l’enseignement de la langue russe dans cette école :

Le général Chipiloff, envoyé parmi nous en mission extraordinaire par le prince gouverneur général du Caucase, est allé visiter dans ces moindres détails le collège de

Naserieh […]. Au moment où le général se disposait à quitter l’école militaire deux élèves

au nom de tous leurs camarades, sont venus le remercier en français pour l’honneur qu’il venait de leur faire186.

On peut donc constater que l’affaiblissement voulu de Dar ol-Fonoun ne coïncide pas avec un affaiblissement de l’enseignement du français, qui demeure la langue d’éducation également à Naserieh.

V. Les activités culturelles organisées par les enseignants de l’école de Dar

Outline

Documents relatifs