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L’action des écoles de l’AIU est, notamment pour l’enseignement du français, si réussie que peu à peu même les musulmans s’y intéressent, de telle sorte qu’ils envoient leurs enfants à ces écoles, ainsi que nous l’avons vu. Lors de son voyage dans la région du Kurdistan, Bassan, le directeur de l’école de l’AIU d’Hamadan rencontre la population juive de la ville de Seneh, qui lui demande l’ouverture d’une école dans cette ville. Elle assure le directeur de l’appui des « autorités civiles et tous les grandes seigneurs de la ville qui désiraient une école, et qui se préparaient à y envoyer leurs enfants pour apprendre le français »530.

En plus de l’efficacité des écoles de l’AIU pour la diffusion de la langue française, l’interdiction de prosélytisme dans le judaïsme rassure les parents musulmans sur le fait que leurs enfants « ne seront pas écartés du bon chemin » en étudiant dans les écoles de l’AIU. Claude Anet, un voyageur français qui a parcouru Hamadan dans les années 1909-1910, écrit à propos des écoles de l’AIU :

Ces écoles sont si bien dirigées que -ô miracle!- les Persans, surmontant les préjugés tenaces et anciens qu’ils ont contre les juifs, finissent par y envoyer leurs enfants. Et la France a ainsi une innombrable clientèle enfantine qui grouille dans les rues étroites des villes persanes […]. Grâce à l’Alliance Israélite, on parle français jusqu’au fond de la Perse531.

Un bon exemple de fréquentation de ces écoles par des élèves musulmans est celui d’Ali Akbar Ebrahim, dont on a conservé le bulletin de notes, comme nous l’avons vu plus haut. Etant donné que les notes concernant l’hébreu et l’histoire juive ne sont pas enregistrés dans son bulletin, il est vraisemblable qu’Ali Akbar Ebrahim, compte tenu par ailleurs de son onomastique, ait été un musulman admis dans l’école de l’AIU. Nous avons eu par ailleurs accès à une autre correspondance, ressemblant à une déclaration sur l’honneur, dans laquelle son auteur décrit son parcours scolaire. Elle a été écrite par un certain Mirza Ali Akbar, fils de Haj Mirza Ebrahim Khan Tehrani. Il est certain que ce Mirza Ali Akbar est ce même Ali Akbar Ebrahim, titulaire du certificat mentionné : la date de naissance, ainsi que la date de

530Bulletin de l’Alliance Israélite, n° 26, 1901, page 63. 531Anet, op.cit., page 267-268.

durée d’études notées dans cette correspondance concordent avec celles du certificat. Nous retranscrivons ici une partie de cette lettre, datée de 1911, un an après fin de ces études à l’école de l’AIU :

Je soussigné Ali Akbar, fils de Haj Mirza Ebrahim Tehrani, né en 1302 de l’Hégire [1884] à Téhéran, atteste avoir commencé à apprendre le persan auprès de mon père ainsi qu’avec des tuteurs à domicile. J’ai appris également les rudiments de la langue arabe dans une école ordinaire [Maktab-khaneh ?]. Ensuite, je suis allé à Hamadan afin d’étudier à l’école de l’AIU. J’y ai fait six ans d’études où j’ai eu mon certificat de fin d’études préliminaire. [Une fois mes études terminées], j’ai créé à Hamadan une école s’appelant Fattaeieh. Parallèlement, j’ai commencé à enseigner dans une école nommée Mozafarieh. A cause de quelques empêchements, j’ai quitté Hamadan et actuellement, je séjourne à Téhéran532.

Cela implique donc de la part des élèves musulmans le non-respect du repos du vendredi, accepté par les familles qui envoient leurs enfants dans les écoles de l’AIU. La fréquentation des enfants musulmans dans les écoles de l’Alliance Israélite provoque d’ailleurs le ressentiment des traditionalistes et fanatiques. Nous avons consulté une correspondance sans signature et sans date au sujet d’« élèves musulmans qui quittent leurs anciennes écoles pour aller s’inscrire aux écoles de l’Alliance [Israélite] ». D’après cette lettre, une école de l’AIU avait accepté des élèves musulmans d’une autre école :

Il a été prescrit que l’Alliance n’accepte pas des élèves sans authentification du ministère de l’Education. Par conséquent, je vous prie de le rappeler, en complément de la lettre précédente aux [directeurs] de l’Alliance à ce propos. Et il est bien évident qu’on ne doit pas inscrire les enfants [musulmans], sans l’autorisation du ministère des Affaires Étrangères et du ministère de l’Education dans les écoles de l’Alliance ainsi que dans l’école des États-Unis. Je me suis bien renseigné et je vous dis, secrètement, qu’on enseigne le Torah aux élèves de l’école des États-Unis533.

Compte tenu du succès des écoles étrangères, y compris des écoles de l’AIU, les parents musulmans changent parfois leurs enfants d’écoles, pour les envoyer dans des écoles étrangères. Pour empêcher cela, le ministère de l’Éducation édicte une loi selon laquelle le changement d’école devrait être contrôlé et autorisé par ce même ministère. A cet égard, les rivaux des écoles de l’AIU se servent parfois de l’arme de la religion pour empêcher l’entrée d’enfants musulmans dans ces écoles, et pour récupérer leurs élèves perdus. Ils n’hésitent pas

532Carton 670, n° 297017239, Lettre d’Ali Akbar Ebrahim, 1911, Centre des archives nationales, Téhéran. 533GH 1323-18-12 (5), Lettre concernant les élèves musulmans de l’école d’AIU, Archives du ministère des Affaires étrangères, Téhéran.

à stimuler les sentiments religieux des gouverneurs pour faire progresser leur objectif. Toutes sortes d’accusations sont portées contre les dirigeants de ces écoles.

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