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Les lettres envoyées par les missionnaires de Tabriz au supérieur général à Paris contiennent très peu d’informations sur le fonctionnement des écoles, l’emploi du temps et, de manière générale, sur ce qui a trait à l’œuvre éducative des missionnaires. La documentation que forment ces correspondances a davantage trait aux querelles et vexations ayant cours entre missionnaires. À titre d’exemple, on peut se référer à une série de lettre envoyées au supérieur général des Lazaristes à Paris dans les années 1912-1913 concernant l’affaire de Saint Germain, un des Lazaristes installé à Tabriz.

À l’arrivée de Saint Germain, en novembre 1910, l’école musulmane des Lazaristes fonctionnait mal. Faute d’élèves, la fermeture de cette école, dirigée par un certain L’Hotellier, est annoncée en septembre 1911. Un mois après, Berthonesque, le directeur de la mission de Tabriz, tente de faire revenir les élèves musulmans. L’école, rouverte sous la direction de Saint Germain, connaît un succès exemplaire, de telle sorte que 115 élèves s’inscrivent en quelques mois. Le succès du missionnaire nouvellement arrivé provoque la jalousie de L’Hotellier et de Berthonesque. Après des querelles entre ces derniers et Saint Germain, « la procure » est retirée à Saint Germain par ordre du supérieur général des Lazaristes439. Devant le refus de Saint Germain, Berthonesque demande sa démission. Saint

Germain réagit à son tour en adressant une lettre au supérieur général pour se défendre face aux accusations que Berthonesque a adressées à son égard. L’affaire de Saint Germain est rapportée dans la ville, ce qui pousse Charles A. Brouard, un ingénieur français des mines, à adresser une lettre confidentielle au supérieur général pour lui demander le maintien de Saint Germain à Tabriz :

436Idem, page 222.

437Dossier 138 a, « Iran : œuvres missionnaires-Dernierstemps-Divers », Lettre de Berthonesque, 1908, Archives des Lazaristes, Paris.

438Dossier 138 b, « Téhéran : Correspondance 1914-1932 », Lettre de Châtelet adressé à Verdier, supérieur des Lazaristes, 1921, Archives des Lazaristes, Paris.

439Dossier 138 e, « Iran : Tauris, Ispahan », Lettre de Berthonesque, le 15 juin 1912, Archives des Lazaristes, Paris.

Ma voix s’élèvera donc vers vous, pour demander la justice et l’équité envers mon excellant tuteur spirituel, le père Saint Germain.[…] J’ai eu l’honneur de connaître et apprécier les hautes qualités du père Saint Germain ; il mérite l’éloge, et non un blâme440.

La décision officielle du supérieur général à ce sujet nous est inconnue, mais on imagine qu’elle a été défavorable à Saint Germain, puisqu’unecorrespondance datée du mois de septembre 1912 nous indique que celui-ci a décidé de quitter la mission lazariste de Tabriz pour établir sa propre école dans la ville.441 Il annonce ensuite qu’il s’est déjà engagé à la

préparation du local et de l’équipement de son école. Ne désirant pas totalement se séparer des Lazaristes, il propose que son école fusionne avec celle de la mission. En effet, il suggère que la mission garde les élèves chrétiens et que Saint Germain reçoive dans son école, comme succursale de l’école des missions, les enfants musulmans. « Combinaison impossible »442

réplique le supérieur, par télégraphe. D’après ce qu’on peut lire dans une lettre complémentaire à ce télégraphe, Saint-Germain est obligé de quitter Tabriz pour Khosrova (un village dans la plaine d’Ourmia). Cette décision fut encore accentuée par un deuxième télégraphe ordonnant à Saint-Germain de quitter définitivement l’Iran pour Constantinople. Contrarié et humilié par la manière dont son cas a été traité à Paris, il décida de « quitter définitivement la compagnie »443. La communauté française de la ville tenta de raisonner

Saint-Germain, dans le but de lui faire abandonner son projet de fondation d’une école. Reconnaissant avoir commis l’imprudence et l’erreur de signer un contrat avec les musulmans et d’afficher publiquement l’annonce d’une école française sous sa propre direction, Saint- Germain réaffirma son intention de quitter la congrégation444.

Franssen, un autre missionnaire lazariste proposa au supérieur général de garder Saint Germain à Tabriz pour qu’il dirige, indépendamment de Berthonesque et de L’Hotellier, son école sous le nom de l’école de la congrégation de la mission. Franssen insista surtout sur le

440Dossier 138 e, « Iran : Tauris, Ispahan », Lettre de Charles A. Brouard, le 22 juillet 1912, Archives des Lazaristes, Paris.

441Dossier 138 e, « Iran : Tauris, Ispahan », Télégraphe de Saint-Germain adressé au supérieure général des Lazaristes, 1912, Archives des Lazaristes, Paris.

442Dossier 138 e, « Iran : Tauris, Ispahan », Télégraphe de la congrégation de la mission adressé au Saint- Germain, 1912, Archives des Lazaristes, Paris.

443 Dossier 138 e, « Iran : Tauris, Ispahan », Lettre de Saint Germain adressé au supérieur général, 9 septembre 1912, Archives des Lazaristes, Paris.

444Dossier 138 e, « Iran : Tauris, Ispahan », Une lettre adressée à supérieur général datée de 26 septembre 1912, Archives des Lazaristes, Paris.

fait qu’il ne fallait pas renvoyer Saint-Germain d’Iran445. Mais le supérieur ne modifia pas sa

décision et Saint Germain quitta Tabriz.

Le 26 septembre 1912, une pétition fut signée en faveur de Saint Germain par la jeunesse catholique de Tabriz. D’après cette pétition, Saint-Germain était « la victime d’une infernale jalousie de la part de M. L’Hotellier et des machinations ténébreuses de M. Berthonesque. »446 Une autre lettre fut adressée au supérieur général par « les jeunes gens de

Tabriz » pour manifester leur protestation contre « la conduite odieuse »447 de Berthonesque

et L’Hotellier. Les signatures affichées dans cette lettre sont celles, majoritairement, d’Européens, ce qui nous indique que cette lettre fut rédigée par la communauté européenne de Tabriz.

Les jeunes musulmans de Tabriz signèrent, à leur tour, une pétition en faveur de Saint Germain : « toute la jeunesse musulmane de Tabriz qui étudie le français, vous prie les mains jointes […] de nous conserver M. Saint Germain. »448 Compte tenu des rivalités entre les

Lazaristes et les autres missionnaires chrétiens, et entre écoles françaises et les autres écoles étrangères, la diffusion de cette affaire ne fit qu’augmenter la difficulté des Lazaristes à mener à bien leur œuvre dans la région.

Conscient de sa popularité auprès des musulmans de la ville, Saint-Germain s’adressa encore au supérieur général pour lui annoncer qu’« une petite société de jeunes gens » qui se trouvait « sans guide » après son départ, lui avait fourni les ressources nécessaires pour fonder une école. Le gouverneur de Tabriz ainsi que le « chef des prêtres musulmans »449 faisaient

partie des donateurs. Cette lettre, ainsi que les pétitions, ne suffirent pas à faire changer d’avis le supérieur. Mais ce refus était loin d’empêcher les jeunes de la ville de persister dans leur demande. Une troisième pétition fut envoyée à Paris le 3 février 1913 par la jeunesse catholique de Tabriz. Vexée que leurs lettres n’aient pas pu éveiller chez le supérieur « le moindre sentiment paternel », elle déclara que la situation de la mission se trouvait aggravée

445Dossier 138 e, « Iran : Tauris, Ispahan », Lettre de Franssen adressée au supérieur général, 21 septembre 1912, Archives des Lazaristes, Paris.

446Dossier 138 e, « Iran : Tauris, Ispahan », Lettre de la jeunesse catholique adressée au supérieur général, 26 septembre 1912, Archives des Lazaristes, Paris.

447Dossier 138 e, « Iran : Tauris, Ispahan », Lettre de jeunes gens de Tabriz adressée au supérieur général des Lazaristes, 29 septembre 1912, Archives des Lazaristes, Paris.

448Dossier 138 e, « Iran : Tauris, Ispahan », Lettre de la jeunesse de Tabriz adressée au supérieur général, 30 septembre 1912 Archives des Lazaristes, Paris.

449Dossier 138 e, « Iran : Tauris, Ispahan », Lettre de Saint-Germain adressée au supérieur général, 15 octobre 1912, Archives des Lazaristes, Paris.

par le départ de Saint Germain : «Le renvoi déshonorant de monsieur Saint Germain nous pesant trop sur le cœur, nous ne pouvions jamais taire une pareille injustice »450.

La jeunesse catholique n’hésita pas à menacer le supérieur général en lui écrivant que pour éviter un prochain scandale, elle se trouvait obligée de porter plainte auprès de la congrégation de la propagande [aujourd’hui la congrégation pour l’évangélisation des peuples] constituée à Rome « qui certainement mettrait fin à toutes ces calomnies et injustices »451.

L’école des Lazaristes de Tabriz fut aussi bien victime de la rivalité entre ses enseignants que des événements liés à la révolution constitutionnelle. Elle ne connut ainsi pas le même succès que les autres écoles lazaristes d’Iran.

XXII. Le projet d’unification du programme d’études en Iran et les écoles

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