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Grand public

5. Retour sur les objectifs et les objets de recherche

Au terme de cette présentation des principales bases conceptuelles et disciplines scientifiques ayant participé à la construction de notre cadre d’analyse des processus de décision, on perçoit que la complexité des phénomènes décisionnels est désormais reconnue.

Cette complexité a pourtant été pendant longtemps ignorée. La décision apparaissait comme quelque chose de linéaire et de stable, avec un point de départ et une arrivée. L’idée d’une optimisation possible des choix prédominait. Progressivement, le problème s’est déplacé. Il n’a plus été question de chercher à optimiser mais à définir une solution acceptable. La notion d’acteur s’est retrouvée au cœur de la problématique à résoudre. On en est venu à parler de processus de décision. Du point de vue de la recherche, on est ainsi passé du concept de la décision à celui de l’aide à la décision. Dans le même temps l’arsenal des méthodes d’analyse a évolué ainsi que les objectifs de recherche.

La complexité des phénomènes décisionnels a été admise comme une notion clé à partir du moment où les scientifiques ont introduit la systémique et la cybernétique dans l’analyse des mécanismes de décision. Elle a été confirmée lorsque de nouvelles disciplines, telle la sociologie, l’analyse des politiques publiques ou encore la psychologie, se sont impliquées dans l’étude des processus. Toutefois, cette question reste encore le domaine d’intervention privilégié des mathématiques et de l’économie, dont les travaux portent sur la modélisation des processus décisionnels afin de les représenter sous une forme compréhensive ou, plus spécifiquement, sur l’élaboration d’outils d’aide à la décision.

Le regard apporté par l’analyse des politiques publiques renouvelle la vision des processus de décision et élargit le spectre de la recherche en matière d’aide à la décision. On verra dans quelle mesure ces réflexions trouvent une application au niveau des procédures de planification telles qu’elles sont utilisées sur le terrain (voir chapitres 4 et 5). Il convient en effet de s’interroger sur la portée des transformations énoncées et leurs effets, notamment en terme d’appropriation locale des procédures et des décisions.

Mais avant de présenter les résultats de nos travaux, il n’est pas inutile de revenir un instant sur les objectifs de recherche poursuivis ainsi que sur les objets eux-mêmes.

5.1 Des recherches sur l’action et orientées vers l’action

A travers les recherches réalisées, deux types d’objectifs complémentaires et étroitement liés entre eux sont poursuivis. Il s’agit tout d’abord de produire des connaissances sur les processus de décision mis en œuvre dans le cadre d’actions publiques spécifiques et sur les systèmes de décision qui s’y rattachent. Il s’agit ensuite d’apporter une aide à la décision aux acteurs impliqués dans les opérations étudiées, à travers la formulation de propositions méthodologiques pour aider à la conduite de projets.

L’analyse des processus et des systèmes de décision

Ce premier niveau est de nature descriptive car il passe par l’analyse des processus et des systèmes de décision à l’œuvre pour des projets en cours d’élaboration (analyse concomitante) ou déjà approuvés (analyse ex-post). La notion de décision est rattachée ici à celle de projet d’action qui constitue l’acte déclencheur d’un processus décisionnel.

Les processus de décision étudiés sont initiés et conduits par des représentants de l’Etat et/ou des collectivités locales. Ces acteurs appartiennent au sous-système pilotant, présenté au chapitre précédent. Dans tous les cas de figure, l’élaboration des projets en question fait intervenir de multiples acteurs. Il s’agit alors d’identifier les acteurs qui sont « autorisés » à participer, d’examiner la façon dont sont représentés et intégrés les différents points de vue en présence, d’analyser les ajustements et les compromis qui s’opèrent durant le processus de décision et enfin d’étudier comment se construit (ou non) une communauté d’intérêt autour d’objectifs d’action partagés. Les modalités d’organisation et de fonctionnement du système d’acteurs sont étudiées parallèlement.

L’information et la communication occupent une place importante dans la construction d’un référentiel commun entre tous les acteurs impliqués. A cet égard, le sous-système informant est intégré aux réflexions. La façon dont les connaissances scientifiques et techniques sont produites, mobilisées et utilisées pour la décision est analysée. L’ouverture des processus de décision à de nouveaux acteurs conduit potentiellement à l’introduction de nouveaux savoirs dans les décisions. On examine donc le rôle joué par une expertise pluraliste sur la qualité des projets en question.

La décision n’est plus guère représentée comme la recherche du « bon choix » et de l’optimum. De la même manière, on envisage désormais le cheminement qui conduit à une décision comme un enchaînement de séquences avec de nombreuses itérations, voire des bifurcations. Pour autant, la problématique de l’optimisation et de la rationalisation des solutions a t-elle complètement disparue ? Et l’idée d’une prise de décision selon une trajectoire linéaire conduisant à des résultats univoques a t-elle été abandonnée ? Ces deux questions sont également abordées lors de l’analyse des processus de décision pour les projets retenus.

L’aide à la conduite de projets

La majeure partie des travaux consacrés à l’aide à la décision se focalisent sur la conception de « boîtes à outils » destinées à accroître la cohérence entre les objectifs des acteurs engagés dans un processus de décision et les décisions finalement arrêtées. Par rapport aux projets étudiés, les outils classiques d’aide à la décision (par exemples les méthodes multicritères) sont rarement utilisés car ils apparaissent aux yeux des décideurs comme des « boîtes noires » sur lesquelles ils n’ont pas prise.

Notre objectif n’est pas de produire de tels outils qui, s’ils existent par ailleurs, seront considérés comme une ressource instrumentale mobilisable si besoin. Il s’agit plutôt de fournir une aide à la conduite des projets à partir d’une représentation des processus et des systèmes de décisions. Sur un plan pratique, le produit de cette aide peut prendre la forme de guides méthologiques, de tableaux de bords, de listes d’acteurs à impliquer pour une opération donnée, de règles de conduite à observer pour élaborer un projet, etc.

En l’état actuel, les recherches réalisées se situent en amont de l’élaboration de méthodologies d’aide à la conduite de projet proprement dites. Elles apportent des connaissances sur les contextes et les conditions dans lesquels peut se concevoir et fonctionner un système d’aide à la décision.

Remarques

Ces précisions sur les deux types d’objectifs de recherche poursuivis méritent d’être complétées par quelques remarques sur les méthodes d’investigation et sur la position du chercheur qui en résulte.

Les études de cas constituent la « matière première » de nos recherches. Chaque terrain étant spécifique, c’est la variété des exemples et la comparaison des résultats obtenus qui vont permettre de tirer des enseignements généralisables et de prendre du recul vis-à-vis des particularités locales liées aux facteurs contextuels.

Une homogénéité méthodologique sur la façon d’appréhender les phénomènes décisionnels peut être mise en évidence. Chaque étude de cas est réalisée sur la base d’une analyse des documents produits ou en cours d’élaboration et à partir d’entretiens auprès des acteurs concernés directement ou indirectement par les actions projetées ou déjà décidées. Dans ce dernier cas, le chercheur intervient a posteriori. En revanche, lorsque les opérations sont en cours de définition, il procède à l’analyse en temps réel de la façon dont se construit le projet. Il est amené à participer à des réunions de travail avec les acteurs concernés. Il est parfois invité à donner son point de vue sur l’action en cours ou à relater d’autres expériences similaires. Il se trouve, malgré lui, impliqué dans le processus de décision qu’il est censé observer. Sa présence n’est pas neutre, elle influe sans aucun doute sur le comportement des acteurs. Son impact est cependant difficile à mesurer.

5.2 Des contextes décisionnels et des échelles spatiales différenciés

Les travaux présentés dans cette partie ont été conduits sur deux types de procédures de planification. En tant que cadres institutionnalisés servant de support pour élaborer et mettre en œuvre un projet donné, ces procédures fixent un ensemble de règles à respecter qui peuvent être plus ou moins strictes et laisser aux utilisateurs des marges de manœuvre plus ou moins importantes. Par exemple, elles désignent les acteurs compétents pour piloter le projet et y participer, elles définissent les modalités de fonctionnement et d’organisation de la structure porteuse, elles précisent les étapes à franchir obligatoirement,... Ces règles constituent pour nous des variables exogènes qui sont susceptibles d’influer sur les processus et les systèmes de décision.

La cartographie réglementaire liée aux risques d’inondation comme le Schéma d’Aménagement et de Gestion des Eaux ont une visée planificatrice et une portée réglementaire (évidente pour la première procédure et restant à démontrer pour la seconde). Ces deux procédures mettent en jeu des systèmes d’acteurs particuliers et s’inscrivent dans des territoires différents.

Des systèmes d’acteurs différents

Avec la cartographie réglementaire liée aux risques d’inondation, on a affaire à un système d’acteurs que l’on peut qualifier de « semi-fermé ». Les documents sont élaborés par et à l’initiative de l’Etat (qu’il s’agisse des PER et maintenant des PPR). L’implication des collectivités locales concernées peut prendre des formes différentes. Selon les cas, elle peut aller d’une simple information de la part de l’Etat en direction des élus locaux à une participation plus formelle par le biais de réunions de préparation du plan (zonage et

réglementation). Quoi qu’il en soit, c’est l’Etat qui pilote les opérations et qui décide des modalités de concertation avec les communes (mais à ce sujet aucune règle du jeu n’est définie dans les textes, ni dans les guides méthodologiques proposés aux services instructeurs pour les aider à élaborer les documents). La société civile, quant à elle, est tenue à l’écart du processus de décision. Les occupants des zones à risques, qu’il s’agisse des ménages ou des activités, ne participent pas directement à la mise en place de la cartographie. L’enquête publique, prévue dans les textes, constitue la seule étape où les usagers des territoires concernés peuvent exprimer leurs points de vue.

En ce qui concerne les connaissances mobilisées, on constate la prégnance des sciences de l’ingénieur et une très faible ouverture aux sciences humaines. L’accent est mis sur la compréhension des phénomènes physiques afin de cartographier le territoire en fonction de l’importance du risque. Les conséquences socio-économiques du risque (en termes de dommages potentiels) et de la réglementation (en termes de contraintes au développement local) sont peu ou pas du tout étudiées.

Dans le cas des Schémas d’Aménagement et de Gestion des Eaux, le contexte décisionnel est très différent. L’élaboration du document mobilise en effet une pluralité d’acteurs qui sont regroupés au sein d’une Commission Locale de l’Eau (CLE) composée de trois collèges distincts : collectivités territoriales, administrations (au sens large) et usagers de l’eau. La CLE est un lieu de concertation et de négociation entre les acteurs. Le projet résulte en principe d’une participation de l’ensemble des acteurs impliqués, qui permet d’aboutir à un consensus sur les objectifs à atteindre en matière de gestion de l’eau et sur les actions à mener pour y parvenir.

Corrélativement à ce mode de fonctionnement ouvert, les savoirs mobilisés sont également pluriels. Toutes les dimensions relatives au fonctionnement des hydrosystèmes et aux usages de l’eau dans le périmètre du SAGE doivent en principe être étudiées. La pluridisciplinarité est ici de rigueur et les connaissances jouent un rôle central dans l’alimentation des débats durant le processus de décision.

Des territoires d’application emboîtés

Les décisions prises dans le cadre des deux procédures sont liées entre elles non seulement pour des raisons physiques (les territoires d’application sont physiquement connectés par le réseau hydrographiques) mais aussi pour des questions relatives aux politiques publiques d’aménagement.

Ainsi, les mesures de prévention des inondations inscrites dans la cartographie réglementaire influent forcément sur la politique de développement local et d’urbanisme. Elles peuvent en outre venir s’insérer dans une stratégie de gestion globale de bassin versant hydrographique définie via un SAGE. De la même manière, les actions d’aménagement et d’entretien des cours d’eau contenues dans un SAGE auront une influence sur la teneur d’un PPR, dans la mesure où elles joueront sur l’aléa hydrologique et par voie de conséquence sur la vulnérabilité des secteurs exposés.

Les projets de cartographie réglementaire liée au risque d’inondation sont en théorie mis en œuvre au niveau d’une commune ou d’un groupe de communes appartenant à un même bassin de risque. Ce périmètre correspond à une entité géographique cohérente au regard de critères topographiques, géologiques, morphodynamiques et hydrologiques. Ses limites spatiales

peuvent correspondre soit au bassin versant hydrographique, soit à une partie de celui-ci ou à un tronçon de rivière. Ce sont donc des critères physiques qui servent en principe à la délimitation des périmètres de prescription des PPR. A cet égard, les guides méthodologiques relatifs à l’élaboration de la cartographie réglementaire précisent que lorsque la zone est étendue la procédure administrative doit être intercommunale, afin de montrer la continuité physique du risque et l’intérêt d’une gestion globale. En pratique, le territoire communal reste cependant l’unité de référence.

Les projets de Schéma d’Aménagement et de Gestion des Eaux (SAGE) sont, quant à eux, mis en place à un échelon nécessairement intercommunal correspondant à une unité géographique cohérente du point de vue de la gestion de l’eau. Sur le terrain, le périmètre du SAGE est souvent un savant compromis entre un territoire socio-politique (délimité par les structures institutionnelles en place) et une unité hydrologique ou hydrogéologique.

On peut ainsi considérer que l’on a affaire à deux systèmes emboîtés qui forment un continuum pour lequel le bassin versant hydrographique est une entité physique cohérente.

Chapitre 4 : Le processus de décision et la