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Pour une hybridation des logiques politiques et scientifiques dans l’observation des zones inondables

Chapitre 1 : Evolution des problématiques de gestion des hydrosystèmes

6. Pour une hybridation des logiques politiques et scientifiques dans l’observation des zones inondables

réglementées

L’un des enjeux de la recherche est de répondre à une série de questions en apparence simples, que l’on peut formuler ainsi : la cartographie est-elle un moyen efficace de gestion des risques d’inondation ? une fois en place, répond-t-elle aux objectifs qui lui sont assignés ? quels effets produit-elle sur les terrains où elle est appliquée ? L’autre enjeu fondamental vise à construire une méthodologie d’analyse capable d’apporter des réponses à ces interrogations.

Ces questions sont d’autant plus pertinentes aujourd’hui où la politique de prévention tend à favoriser l’usage des mesures non structurelles et notamment des outils réglementaires259. L’Etat considère que la cartographie réglementaire est capable a priori de répondre aux multiples objectifs poursuivis. Elle serait :

- un moyen direct de réduire la vulnérabilité dans les secteurs à risque à un coût environnemental et financier inférieur à celui des mesures structurelles ;

- un moyen de préserver les champs d’expansion des crues et donc les écosystèmes associés, dans une perspective de gestion équilibrée des hydrosystèmes et de développement durable ;

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C’est le but que nous nous sommes fixés avec le DEA Juliana Capblancq actuellement en cours. Dans ce cadre, on étudie le fonctionnement du marché foncier sur six quartiers de Montauban en analysant et en traitant des données de DIA et des données notariales sur plusieurs années. Les résultats seront disponibles en septembre 2002.

259

La volonté de l’Etat de relancer la cartographie réglementaire se traduit par l’affichage d’objectifs de résultats (5000 PPR en 2005). A priori, l’Etat ne cherche pas directement à accroître la culture du risque des acteurs locaux, ni à favoriser l’appropriation de la politique de prévention, mais à rattraper le retard qui s’est accumulé avec le temps. La multiplication des évènements dommageables ces dernières années a eu pour effet de remobiliser les services de l’Etat sur la mise en place des cartographies réglementaires.

- un moyen d’information sur les risques et de faire prendre conscience la population et les élus des dangers encourus ;

- un moyen de mettre un frein à une urbanisation galopante dans les zones à risque et de contrôler les excès de la décentralisation ;

- mais aussi, une façon pour l’Etat de prévenir d’éventuels contentieux (au cas où une recherche de responsabilité juridique serait engagée à la suite d’une catastrophe), de se recentrer sur ses missions régaliennes et de conforter sa position dans un jeu d’acteurs décentralisés.

Notre recherche s’inscrit par ailleurs dans un contexte où l’évaluation des politiques publiques devient une pratique désormais valorisée et positivement connotée, aussi bien dans la littérature scientifique qu’administrative. A ce titre, l’évaluation de la politique de prévention des risques naturels engagée par le gouvernement en 1993/1994 et achevée en 1997 a donné à ce travail un écho particulier et l’a replacé dans une perspective opérationnelle de recherche-action. En positionnant notre démarche sur le risque d’inondation et en menant des investigations au plus près des réalités du terrain, ce travail s’est avérée complémentaire à l’évaluation nationale de nature pluraliste.

L’approche évaluative adoptée est ici de type scientifique et fait appel à une démarche inductive, dans le sens où nous repartons d’opérations concrètes (des documents réglementaires approuvés) pour aboutir à une réflexion générale sur l’efficacité de la politique réglementaire.

En considérant les objectifs assignés à la cartographie réglementaire, en tant que procédure intégrée à la politique de prévention des risques d’inondation, nous avons cherché à identifier, à qualifier, voire à quantifier selon les cas :

- les effets que l’acte réglementaire peut avoir sur le comportement des groupes cibles260 ;

- les résultats obtenus sur le terrain en terme de résolution du problème qui est à la base de la politique publique réglementaire, qu’il s’agisse d’effets voulus ou non.

Ces deux variables sont évaluées en relation avec d’autres facteurs susceptibles de les influencer :

- le contenu et les caractéristiques de la procédure réglementaire : qualité, degré de précision des objectifs, variété des moyens offerts (recommandations, prescriptions, interdictions,…), possibilités d’adaptation aux contextes locaux ;

- les marges de manœuvre laissées par l’Etat central aux services instructeurs, notamment pour négocier, créer des partenariats, favoriser la participation,… ;

- l’aptitude du service instructeur à mettre en œuvre la cartographie (qualité et moyens de la structure), à analyser la situation et gérer les interactions avec les acteurs locaux ;

260 Groupes cibles : personnes ou groupes de personnes physiques ou morales dont le comportement est la cible d’une intervention concrète des pouvoirs publics. Selon les promoteurs de l’action (en l’occurrence l’Etat), la modification du comportement des groupes cibles doit solutionner le problème à résoudre. Dans le cas présent, les groupes cibles sont en particulier les élus locaux et les occupants des zones inondables.

- la capacité des pouvoirs locaux et leur niveau d’engagement dans la mise en œuvre du document (moyens et volonté) ;

- les facteurs contextuels qui sont susceptibles d’influencer l’intervention de l’administration et d’interagir avec les objectifs de l’outil réglementaire (stratégie de développement local, pression foncière en zone inondable, contexte économique et social, caractéristiques socio-professionnelles des occupants des zones inondables, etc.) ;

- et le risque lui-même : niveau d’exposition de la commune, fréquence et ampleur des évènements,…

Considérant ces différents aspects, l’évaluation a été réalisée sur plusieurs sites dans une optique comparative et en faisant appel, pour chaque terrain étudié, à une analyse à la fois diachronique (sur la base des changements observés dans le temps, c’est-à-dire avant et après l’approbation du document) et synchronique (sur la base des changements observés dans l’espace, c’est-à-dire à l’intérieur et à l’extérieur du territoire réglementé).

Les conclusions que l’on peut tirer de nos observations ne sauraient être généralisées à l’ensemble des territoires soumis simultanément au risque d’inondation et à la cartographie réglementaire. En effet que l’intégration du risque dans la politique communale et les comportements sociaux vis-à-vis des inondations semblent être davantage déterminés par des facteurs contextuels locaux que par la cartographie elle-même. L’affichage du risque et sa retranscription réglementaire permettent cependant de pérenniser des orientations en matière de maîtrise de l’occupation des sols.

Le problème central posé par la gestion d’un phénomène naturel aléatoire en faisant appel à un contrôle de la planification du territoire au niveau local est celui de l’appropriation du risque par les acteurs de terrain (appropriation qui détermine les comportements collectifs et individuels face aux inondations). A ce titre, la cartographie réglementaire ne joue pas de rôle majeur. Elle est avant tout une action coercitive dont les tenants et les aboutissants ne sont pas toujours compris par les groupes cibles, comme en témoigne l’importance des conflits durant sa mise en place. La résolution de ce problème ne passe pas uniquement par l’information261. Elle renvoie aux modalités d’élaboration de ce type de document, où la concertation et la participation sont des activités encore peu valorisées (voir le chapitre 4 de la seconde partie).

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La question de l’information sur le risque et sur l’existence de la réglementation peut être résolue de différentes manières. Les services communaux, les notaires, les assurances, les agents immobiliers sont autant de vecteurs possibles d’information (à l’occasion d’une demande de permis de construire, de l’achat d’un bien,…). Les formes de communication peuvent également être très variées (organisation de débats publics, rédaction de plaquettes, dossiers dans les bulletins municipaux, affichage, information lors de démarches administratives,…). Le développement des dossiers d’information communaux sur les risques majeurs devraient aussi jouer un rôle notable à cet égard (si une diffusion auprès des personnes concernées est correctement assurée). L’information doit aussi porter sur les modalités d’application de mesures préventives individuelles (les techniques, les coûts, l’efficacité,…). Leur mise en oeuvre effective dépasse cependant la simple question de l’information. Il est nécessaire d’accompagner ces prescriptions par des mesures incitatives (une aide technique, une réduction d’impôt, une subvention ou un prêt à taux réduit, une baisse de la prime d’assurance,…), voire par des mesures de sanction (en relation par exemple avec l’indemnisation des dommages par les assurances en cas de survenance d’une inondation). Mais convaincre notamment les élus locaux de l’intérêt d’informer la population n’est pas une mince affaire. A ce sujet, la remarque du maire d’Amélie-les-Bains (entretien, juin 2000) est éloquente : « Il y a eu une information de faite au moment de la mise en place du PER (1992-1993) mais pas depuis. On ne veut surtout pas affoler la population. L’information est une arme à double tranchant… ».

Si la recherche n’a pas pu analyser directement le processus de décision relatif à la mise en place de l’outil, elle a cependant montré qu’il ne pouvait être ignoré (ce qui se passe durant l’élaboration de la cartographie réglementaire est déterminant pour la suite)262. Ultérieurement, il nous semblerait donc intéressant de pouvoir procéder sur un même terrain à un suivi en temps réel du processus de décision conduisant à l’approbation du règlement (analyse concomitante) puis d’appliquer la méthodologie d’évaluation dans une logique de suivi du cycle de vie de la cartographie réglementaire. Considérant par ailleurs que la démarche de fabrication des documents et le mode de décision ont été modifiés avec l’instauration des Plans de prévention des risques (PPR)263, une telle démarche pourrait également mettre en évidence l’influence du modèle d’action sur l’efficacité d’une procédure.

Cette perspective de recherche suppose de dépasser la dichotomie qui est faite entre les évaluations scientifiques et les évaluations pluralistes, afin d’hybrider les deux logiques. L’intégration de l’analyse du processus de décision dans la démarche d’évaluation de l’efficacité de la politique réglementaire pose cependant le problème du positionnement du chercheur. Une évaluation scientifique est objectivée et construite sur l’autonomie de l’évaluateur, contrairement à l’évaluation pluraliste dans laquelle le chercheur est directement impliqué et fait partie du système. L’hybridation entre les deux formes d’analyse ne doit pas nous éloigner de l’objectif visé, à savoir produire des connaissances scientifiques264.

262La démarche d’élaboration du document a été reconstituée a posteriori par entretien auprès des acteurs concernés. Compte tenu du principe de mobilité des agents dans les services de l’Etat, les personnes interrogées n’étaient pas toujours celles qui avaient suivi l’élaboration du document étudié. Le même problème s’est posé avec les maires rencontrés au moment du travail de terrain (élus en 1995), qui n’étaient pas forcément en poste lors de la mise en place des PER (selon les cas, prescrits entre 1985 et 1986, approuvés entre 1989 et 1994). 263 La réalisation du PPR fait appel à des études qualitatives, insiste sur la concertation et s’inscrit dans un bassin de risque.

264 Ce type de recherche a nécessairement des retombées opérationnelles et peut donner lieu à des recommandations permettant d’améliorer l’application des cartographies réglementaires (c’est le propre des recherche-actions).