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L’évaluation de la politique de gestion des risques d’inondation, une expérience modeste

Chapitre 1 : Evolution des problématiques de gestion des hydrosystèmes

3. L’évaluation de la politique de gestion des risques d’inondation, une expérience modeste

L’ampleur des conséquences des inondations sur la société justifie que l’on s’intéresse à l’évaluation des outils utilisés pour la gestion de ce risque naturel. Force est cependant de constater que cette préoccupation est relativement récente en France, comparée aux démarches développées à l’étranger217. Nous évoquerons rapidement les principales expériences menées dans ce domaine hors de nos frontières, avant de revenir au cas français218.

Ce sont les Etats-Unis qui ont l’expérience la plus ancienne en matière d’évaluation des politiques de gestion des zones inondables. Plusieurs équipes universitaires mènent des travaux en continu dans ce domaine depuis quelques décennies. Le géographe américain Gilbert White est l’un des précurseurs en matière de recherches sur ce thème (White, 1945). Il est également l’un des premiers à avoir défendu la thèse selon laquelle les mesures de contrôle de l’occupation des sols étaient les plus efficaces pour gérer le risque d’inondation (White, 1975).

Cette idée est également soutenue par Raymond Burby et son équipe qui, dès les années 1980, ont proposé un cadre conceptuel pour évaluer l’efficacité des modes de gestion des plaines inondables (Burby et al, 1979). De leur point de vue, une méthodologie d’évaluation doit avoir les caractéristiques suivantes :

- inclure un modèle de connaissance du système à évaluer (comprenant les composantes du système et les facteurs contextuels susceptibles de faire varier les effets attendus) ;

- intégrer à la fois les impacts attendus et non prévus ;

- incorporer le principe du « with and without », c’est-à-dire que les impacts doivent être mesurés en comparant la situation avec la politique en place et sans son existence ;

- non seulement identifier et mesurer les impacts mais aussi les expliquer pour fournir une aide à la décision ;

- reconnaître les intérêts multiples dans la gestion des plaines inondables et pas seulement l’objectif de réduction des dommages ;

- se focaliser sur une commune comme unité d’analyse, dans la mesure où le contrôle de l’occupation des sols s’effectue à ce niveau ;

217 La prévention des risques naturels n’échappe pas à ce qui a longtemps prévalu dans le domaine de l’environnement : une conduite à l’aveugle des politiques publiques. La succession d’inondations particulièrement graves (la catastrophe de Nîmes en octobre 1988, celle de Vaison-la-Romaine en septembre 1992, etc.) ont joué un rôle essentiel dans le développement d’une démarche d’évaluation sur la question des risques majeurs.

218 Les expériences relatées concernent l’évaluation de l’efficacité des politiques de gestion des plaines inondables et des politiques réglementaires de contrôle de l’occupation des sols en zone inondable. Elles nous ont servi de référence.

- reconnaître que le système à évaluer est en constante évolution ;

- être applicable à la fois à une seule commune et à plusieurs (coupe instantanée).

La méthodologie d’évaluation mise en œuvre par Burby ne fait pas appel à un groupe témoin et relève d’une démarche de type « bottom-up »219. Elle cherche à mesurer à l’aide d’indicateurs les performances d’une politique de gestion des zones inondables en termes de restriction de l’occupation des sols, de réduction des dommages aux constructions et de protection du patrimoine naturel (Burby, 1981). L’équipe dirigée par Raymond Burby va ainsi être à l’initiative de la première évaluation américaine menée à l’échelle nationale qui décrira les programmes locaux de prévention des risques (notamment à partir d’une analyse des législations et des textes réglementaires en vigueur) et fera un bilan des pratiques mises en œuvre sur l’ensemble du pays220. Les résultats de cette première expérience sont publiés en 1985 (Burby et French, 1985).

Dans la foulée, une seconde évaluation nationale est menée entre 1987 et 1992. Engagée cette fois sous l’égide du gouvernement fédéral et confiée à des chercheurs de l’Université du Colorado à Boulder, cette évaluation a pour but de transmettre au public et au Congrès des données concernant les progrès réalisés dans la mise en œuvre du programme gouvernemental du gestion des plaines inondables à l’échelle locale et d’exposer les différentes stratégies de gestion en vigueur (L.R. Johnston Associate, 1992)221.

Les premières recherches concernant l’évaluation de l’efficacité des réglementations destinées à limiter l’usage des sols en zone inondable sont également américaines (F. Murphy, 1958). Elles mettent en évidence le manque d’efficacité générale du zonage réglementaire et soulignent que les objectifs affichés dans les textes sont trop vagues pour permettre à l’administration fédérale d’établir avec précision les limites entre les zones constructibles et inconstructibles. Elles font également apparaître que l’efficacité réglementaire est meilleure lorsque l’Etat se charge de faire respecter la réglementation plutôt que les pouvoirs locaux.

Les mesures de contrôle de l’occupation des sols en zone inondables vont également être étudiées en Grande Bretagne par F. Sterland et M. Nixon en 1972, dont les travaux sont relatés par Edmund Penning-Rowsell (1972) qui dirige le « Flood Hazard Research Center » à l’Université du Middlesex. Ces travaux portent essentiellement sur les principes d’élaboration du zonage réglementaire et non sur les effets de la réglementation approuvée222. Dans les

219

L’action publique est analysée en partant des pratiques observées et des problèmes vécus sur le terrain et non de la définition institutionnelle de la politique publique.

220 Cette évaluation a donné lieu à une série d’enquêtes par questionnaire (celui-ci a été envoyé à 2000 collectivités locales, 583 administrations régionales et à l’ensemble des fonctionnaires concernés dans les 50 Etats qui forment la République fédérale des Etats-Unis), des entretiens auprès des administrations à différents échelons territoriaux et auprès des spécialistes du domaine. Elle a été accompagnée de trois études de cas approfondies dans des villes appartenant à des Etats différents, afin de comprendre les modalités de mise en œuvre et d’application du programme national de gestion des plaines inondables.

221 L’évaluation est commissionnée par la « Federal Interagency Floodplain Management Task Force » qui appartient au FEMA (Federal Emergency Management Agency) créé en 1979, organisme placé sous tutelle directe du Président des Etats-Unis.

222 On notera au passage que la réglementation de l’occupation des sols en zones inondables n’a pas constitué jusqu’à présent l’axe prioritaire de la politique de gestion des risques en Angleterre. Ce sont les mesures de protection contre les inondations qui ont surtout été privilégiées. Dans ce pays, la planification à différents

années 1990, une méthode d’évaluation de l’efficacité des outils de planification appliqués aux secteurs inondables a été développée par l’administration centrale en charge de l’environnement. Elle a ensuite été testée sur plusieurs terrains. Cette évaluation a été conduite dans une perspective de gestion équilibrée des différents usages du sol, de mise en valeur des interrelations à différentes échelles géographiques et de prise en compte des intérêts locaux et régionaux.

La méthode, intitulée « the adapted balance sheet », propose une évaluation des résultats par rapport aux objectifs de planification des sols et une évaluation des conséquences par rapport aux autres intérêts publics (croissance et développement économiques, maintien de la qualité de vie des générations présentes et préservation de l’environnement pour les générations futures). Elle s’inscrit en partie dans une approche « coûts-bénéfices » : les impacts sont quantifiés sous une forme monétaire chaque fois que les données le permettent et des descriptions systématiques sont établies lorsque la quantification n’est pas possible. L’efficacité de résultat est évaluée sur une échelle de valeur (faible, moyenne, forte) et les autres impacts sont traduits en terme d’avantages et d’inconvénients par rapport à l’intérêt public.

Finalement les expériences en matière d’évaluation des modes de gestion des plaines alluviales et plus spécifiquement celles qui concernent les effets de la pratique réglementaire sont peu nombreuses. En la matière, la France a longtemps fait figure de parent pauvre. Ce n’est qu’en 1993 qu’un mécanisme d’évaluation est enclenché par le gouvernement. Il a pour objet d’établir un diagnostic critique de la politique de prévention des risques naturels menée depuis 1982 et de faire des propositions concrètes pour l’améliorer.

Cette évaluation pluraliste est organisée au sein d’une instance autonome, composée d’agents de l’administration et d’experts appartenant différents organismes publics et privés et couvrant différentes disciplines scientifiques (sociologie, économie, droit, géographie, hydrologie,…). Le partenariat est élargi à des organismes de recherche, à qui sont confiées des études sur des points particuliers. Mais l’essentiel de la démarche (centrée sur l’analyse de la façon dont est élaborée, mise en œuvre et appliquée la politique générale) est fondée sur des entretiens et des enquêtes par questionnaires auprès des acteurs institutionnels (agents techniques des services centraux et déconcentrés, élus locaux, …), sans réaliser d’investigations auprès des bénéficiaires de la politique (les occupants des zones inondables par exemple). Les résultats donneront lieu à un rapport publié en 1997 (Commissariat Général du Plan, 1997).

échelons territoriaux est fortement développée. Elle donne lieu à davantage à des recommandations qu’à des obligations, dont le respect par les autorités locales suppose un engagement volontaire de leur part.

4. La démarche retenue pour mesurer les impacts de la