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Le Plan de prévention des risques, une approche plus « pragmatique » de la décision

Grand public

3. Le Plan de prévention des risques, une approche plus « pragmatique » de la décision

Le processus d’élaboration du PPR semble davantage itératif que celui du PER. Il propose en effet une interaction plus marquée entre la production de connaissance et la prise de décision. Il cherche à organiser des épreuves de validation plutôt qu’à déterminer des solutions a priori.

La démarche retenue est toujours censée renforcer la légitimité des décisions. Mais en théorie elle a aussi pour vocation de faciliter leur appropriation. L’expertise devient alors une référence pour l’action et non un savoir dégagé des contingences politiques. Le réseau d’acteur impliqué dans la préparation des décisions n’est plus en principe restreint aux seuls techniciens mais concerne également les élus locaux. Les activités d’information et de concertation sont désormais inscrites dans le processus décisionnel.

Comme pour le cas précédent, nous repartirons d’une lecture des textes officiels concernant le PPR pour mettre en évidence les modifications apportées au processus décisionnel. Nous montrerons ensuite que, sur le terrain, les changements énoncés se heurtent aux pratiques traditionnelles des services instructeurs, confortées par un discours ambivalent de l’Etat central.

305

Commissariat général du plan (1997 - p. 216). Op.cit.

306 Circulaire du 24 janvier 1994 relative à la prévention des inondations et à la gestion des zones inondables. Circulaire du 19 juillet 1994 relative à la relance de la cartographie réglementaire.

3.1 Un processus décisionnel peu innovant mais une philosophie très différente

Le décret du 5 octobre 1995, relatif à l’application des PPR, ne laisse guère entrevoir l’évolution signalée en introduction. En revanche, les guides méthodologiques, produits par l’administration centrale pour aider les services extérieurs à mettre en œuvre les PPR, portent en eux ce changement d’approche307.

La figure 24 représente le processus de construction des PPR selon le décret. En comparaison avec la procédure précédente, les différences portent sur trois points essentiels qui, bien qu’importants, traduisent « du changement dans la continuité ». Le processus de décision reste relativement linéaire et le modèle de régulation croisée est maintenu.

La première transformation a trait au fait que la procédure est placée entièrement sous l’autorité du préfet. En cas de contestation du projet, l’intervention du Conseil d’Etat ne se fait plus. Il revient au préfet le pouvoir de trancher. Le texte du décret ne s’étend pas sur cette situation et sur la façon de résoudre ce problème. Seul le guide méthodologique général apporte quelques précisions sur la phase d’approbation du projet : « Le PPR est approuvé par

le préfet qui peut modifier le projet soumis à l’enquête et aux consultations pour tenir compte des observations et avis recueillis. Les modifications ne peuvent conduire à changer de façon substantielle l’économie du projet, sauf à le soumettre de nouveau à enquête publique. Ainsi, s’en tiendra-t-on à des modifications ponctuelles, fondées sur des faits concrets (constat de la situation d’un terrain vis-à-vis du risque) et qui ne remettent pas en cause les principes de zonage et de réglementation retenus. »308. Cette formulation sous-entend que tous les points de contestation doivent être résolus en amont (via une concertation avec les acteurs locaux).

La seconde concerne la nécessité de soumettre les projets pour avis à de nouveaux acteurs dans deux cas précis :

- si le projet contient des dispositions en relation avec les incendies de forêt, celles-ci sont soumises à l’avis des conseils généraux et régionaux ;

- si le projet touche des terrains agricoles et forestiers, les dispositions relatives à ces secteurs doivent être soumises à l’avis des chambres d’agriculture et du centre régional des propriétés foncières.

La troisième est plus notable. Elle porte sur la possibilité offerte au préfet d’appliquer des mesures d’urgence dès que l’arrêté de prescription est pris. Le préfet peut ainsi surseoir à des

307 Ministère de l’aménagement du territoire et de l’environnement, Ministère de l’équipement, des transports et du logement (1997). Plans de prévention des risques naturels prévisibles. Guide général. Paris : La documentation française, 76 pages.

Ministère de l’aménagement du territoire et de l’environnement, Ministère de l’équipement, des transports et du logement (1999). Plans de prévention des risques naturels. Les risques d’inondation. Guide méthodologique. Paris : La documentation française, 123 pages.

308 Ministère de l’aménagement du territoire et de l’environnement, Ministère de l’équipement, des transports et du logement (1997). Plans de prévention des risques naturels prévisibles (PPR). Guide général. Paris : La documentation française, p. 14.

projets d’aménagement ou de constructions (susceptibles d’aggraver le risque ou d’un provoquer de nouveaux) ou leur imposer des prescriptions particulières. Ces dispositions cessent d’être applicables si elles ne sont pas reprises dans le PPR ou si ce dernier n’est pas approuvé dans un délai de trois ans309.

Rapport et avis Avis Si urgence Notification Arrêté de prescription Préfet Maire Dispositions immédiates

Information des maires

Arrêté préfectoral Projet de PPR

Service instructeur

Conseil municipal

Enquête publique Commissaire Enquêteur

Projet modifié

Arrêté d’approbation

Figure 24 : La procédure d’élaboration du PPR, selon le décret

La démarche d’élaboration du PPR, retranscrite dans les guides, reflète davantage la nouvelle philosophie de la politique de prévention des risques, qui semble s’inscrire progressivement dans une approche d’aménagement du territoire et de gestion de l’environnement sans pour autant franchir complètement le Rubicon. Sur le plan du processus décisionnel, l’évolution induit une modification des rapports entre l’Etat et les collectivités locales, mais aussi une mutation du statut de l’expertise dans le projet.

309 Cette possibilité renforce l’efficacité de la procédure et évite d’avoir recours à un Projet d’intérêt général (PIG). Il n’était pas rare en effet qu’un PIG soit pris au cours de l’élaboration d’une cartographie réglementaire pour stopper en urgence des coups partis ; cette procédure pouvant être mise en place très rapidement.

3.1.1 Une modification des rapports entre les acteurs impliqués

Engager le dialogue le plus tôt possible et développer une concertation accrue avec les acteurs locaux, s’assurer de leur participation active et permanente, rechercher un consensus sur les mesures à prendre,…, tels sont les termes qui sont employés à mainte reprise dans les guides méthodologiques. Ces principes doivent désormais conduire la pratique des services instructeurs.

La définition du risque et de son dispositif de prévention est aujourd’hui pensée comme le résultat d’une confrontation entre des arguments scientifiques, juridiques, socio-économiques et politiques. Elle ne découle plus seulement d’une parole d’expert validée par l’administration puis imposée aux acteurs locaux. Elle résulte d’un débat au centre duquel se trouvent les élus locaux et éventuellement des acteurs de la société civile, comme le souligne le guide général :

« Dans le débat qui s’engage, l’Etat doit afficher fermement les objectifs poursuivis et les

moyens qu’il va mettre en œuvre. Mais cette position ne doit pas faire obstacle à des échanges de point de vue…. Ces discussions doivent être préparées par un argumentaire appuyé sur les spécificités du terrain et guidées par le bon sens…. Le dialogue avec les élus et quelquefois avec d’autres partenaires doit conduire à un accord sur le risque acceptable localement, dans les limites fixées par l’Etat… Dès lors que l’information sur les aléas a été préalablement largement diffusée dans des conditions permettant son appropriation et que l’Etat affiche une position ferme et cohérente, on peut aboutir à un consensus sur l’essentiel des mesures de prévention ».

Le dispositif d’élaboration des PPR offre une place accrue à l’information et à la concertation dans le but d’énoncer et d’afficher une définition du risque qui puisse servir de référence au plan local. Le rôle attribué au débat, organisé autour des documents intermédiaires (constitués en particulier par des cartes qui présentent un état du risque), est d’engager plus solidement les acteurs autour du projet. Ce dispositif peut être assimilé à un processus d’enrôlement des acteurs (Callon, 1986).

Comme pour la plupart des politiques publiques territorialisées, on peut considérer que l’Etat tente d’opèrer une intégration par le bas (Duran et Thoenig, 1996). En d’autres termes, il cherche à faire en sorte que la gestion des risques ne soit pas considérée uniquement comme un problème de sécurité publique, qui mobiliserait les acteurs locaux uniquement en période de crise et dont le traitement incomberait aux seuls services de l’Etat. La forme donnée au processus de décision a pour but d’installer durablement la gestion du risque dans la vie locale.

Il ne s’agit pas cependant d’un véritable processus participatif. L’important n’est pas que la politique de prévention soit élaborée conjointement avec les acteurs locaux, mais qu’elle puisse être comprise et reprise, éventuellement critiquée et débattue. Les pratiques d’ajustement, qui s’opéraient dèjà sans être reconnues officiellement, sont d’une certaine manière normalisées. Mais, peut-on pour autant parler de négociation du risque ?

La reconnaissance de la négociation dans les politiques publiques est défendue depuis longue date par certains chercheurs en sciences sociales (Crozier, 1965). Mais du point de vue de l’administration, l’idée même de procéder à des négociations sur des projets réglementaires

n’est pas acceptable. Pour s’en convaincre, on peut noter la formulation qui apparaissait dans la première version du guide méthodologique général des PPR et qui a disparue ensuite : « La

discussion avec les communes et quelquefois d’autres partenaires, jointe à la déconcentration totale de la procédure et à la diversité de l’approche du risque par les citoyens, conduit à un risque « négocié » localement, dans les limites fixées par l’Etat »310.

3.1.2 Une évolution du statut de l’expertise et de la place de l’expert dans le processus de décision

De nouvelles modalités d’expertise sont proposées. Leur mise en œuvre suppose un passage moins linéaire entre l’évaluation des risques et la définition du dispositif réglementaire. Les méthodes de conduite des études et d’évaluation des risques sont simplifiées pour faciliter l’engagement d’une discussion entre les services instructeurs et les acteurs locaux (les éléments et critiques apportés par ces derniers doivent trouver plus aisément leur place dans l’évaluation pratiquée par les techniciens).

Ce choix est d’abord justifié pour des raisons d’efficacité (des investigations plus rapides et moins onéreuses). Il s’avère également plus pertinent vis-à-vis des objectifs visés : obtenir un accord des élus locaux sur la politique poursuivie.

Concrètement, il est demandé aux services instructeurs de mener des « études qualitatives

plutôt que quantitatives » que l’on suppose plus transparentes et plus lisibles (car plus proches

des réalités de terrain) 311. On considère également qu’elles vont permettre aux collectivités locales de mieux comprendre les raisonnements tenus par l’administration pour déterminer le zonage et le règlement du PPR. Les étapes de mobilisation des connaissances dans le cadre d’une approche qualitative consistent à :

- rassembler et valoriser les résultats d’études déjà réalisées et les données existantes concernant les évènements passés ;

- exploiter les informations sur le vécu des inondations ;

- chercher à comprendre le fonctionnement du milieu étudié (approche naturaliste) ;

- combler les manques par une analyse de terrain et une expertise.

Les études quantitatives, quant à elles, doivent être envisagées au cas par cas par rapport à des situations particulières et sur des espaces géographiques restreints. Le recours à la modélisation est réservé aux terrains où les informations existantes sont trop anciennes ou bien lorsque l’occupation des sols a changé de façon significative. A cet égard, le guide général précise ceci : « Il faut se demander systématiquement si la recherche d’une plus

grande précision est de nature à faire progresser la réflexion sans retarder la mise en place de mesures de prévention effectives ».

310 Extrait cité dans l’article suivant : Decrop G. (1998). D’un itinéraire de recherche et de quelques détours. Ingénieries, eau, agriculture, territoires, numéro spécial 1998, p 11.

311

Le développement des études dites qualitatives est un moyen d’aller plus vite (rattraper le retard pris par le passé dans la mise en place des documents réglementaires) à un meilleur coût. Elle peut aussi être vue comme une application du principe de précaution (on prend une décision sans attendre d’avoir une connaissance fine des phénomènes étudiés ou de réduire les incertitudes).

La détermination de l’aléa reste au cœur de la cartographie réglementaire. L’événement de référence retenu pour le zonage est conventionnellement « la crue centennale ou la plus forte

crue connue ». Dans un but de simplification et compte tenu du caractère qualitatif de

l’analyse, il est proposé de considérer trois niveaux d’aléas (faible, moyen, fort) et en priorité le paramètre de hauteur de submersion312.

Mais la prise en compte de la dimension socio-économique du risque n’est pas éliminée pour autant. On ne parle plus cependant d’analyse de la vulnérabilité mais d’évaluation des enjeux. Cette dernière est présentée comme un élément d’interface entre la carte des aléas et la carte de l’occupation des sols. Elle a pour objet de délimiter le plan de zonage, de préciser le contenu du règlement et de formuler des recommandations sur les mesures à prendre en matière de prévention, de protection et de sauvegarde. Une démarche simple est proposée :

- identifier les enjeux à travers une analyse de l’occupation des sols (estimation des surfaces urbanisées et des effectifs de population en danger, recensement des établissements recevant du public et des équipements sensibles, identification des voies de circulation susceptibles d’être coupées lors d’une inondation) ;

- délimiter les zones d’expansion des crues à préserver qui sont peu ou pas urbanisées ou aménagées ;

- mettre en évidence tous les éléments qui contribuent à la sécurité des personnes, à la protection des biens et à la gestion de crise (les établissements susceptibles d’accueillir les sinistrés, les centres de secours, les voies de circulation utilisables pour acheminer des secours ou évacuer les personnes).

A l’image des autres études techniques, l’évaluation des enjeux doit être globale et qualitative. Elle doit en principe s’appuyer sur la concertation avec les élus locaux (pour tenir compte des projets en cours et des préoccupations économiques) mais aussi avec d’autres acteurs tels que les services chargés de la sécurité civile.

La présentation des résultats des investigations sous une forme cartographique joue un rôle majeur. Les cartes sont utilisées comme des outils de communication qui permettent de visualiser et de diffuser une information sur l’état du risque. Dans la mesure où elles sont débattues, corrigées et officiellement validées par les décideurs locaux avant d’être diffusées

312Un standard officiel est proposé aux services instructeurs pour hiérarchiser les niveaux de risques : la hauteur de 1 mètre constitue la limite inférieure de l’aléa fort pour les crues de plaines et une hauteur de 0,50 mètre peut être retenue comme limite inférieure de l’aléa fort pour les zones à écoulement rapide. La valeur de 1 mètre est apparue comme référence à la suite d’inondations survenues entre l’automne et l’hiver 1993-1994. L’instruction du Premier ministre en date du 2 février 1994 (dite instruction Balladur) a retenu cette valeur conventionnelle pour déterminer les périmètres à l’intérieur desquels la sécurité des personnes et des biens conduit à contrôler strictement les projets de nouvelles constructions ou de nouvelles installations. Le paramètre de durée n’est envisagé que pour les inondations de plaine relativement longues, lorsque les communications peuvent être perturbées, voire coupées et que l’accès des secours est rendu difficile. Le paramètre vitesse, important pour les crues rapides, est laissé de côté dans la logique de l’approche qualitative. Le guide méthodologique de 1999 apporte la précision suivante : « La connaissance des vitesses est encore plus difficile à apprécier que celle des hauteurs et peut même être illusoire. En conséquence, on ne parlera que d’une appréciation qualitative des vitesses (faible, moyenne, forte). Lorsque des données existent malgré tout, on considérera que la vitesse est faible en dessous de 0,20 m/s, moyenne de 0,20 à 0,50 m/s et forte au delà ».