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Grand public

2. Le Plan d’exposition au risque, une approche « techniciste » de la décision

2.2 Le rôle central de l’expertise

L’expertise mobilisée durant la phase de mise en place du PER joue un rôle fondamental car elle est utilisée pour consolider la position du décideur légal (en l’occurrence l’Etat) et lui permettre d’imposer aux décideurs politiques (les élus locaux) des normes d’occupation et d’utilisation des sols297.

296 Secrétariat d’Etat auprès du Premier ministre chargé de l’environnement et de la prévention des risques technologiques et naturels majeurs (1990). Les études préliminaires à la cartographie réglementaire des risques naturels majeurs. Paris, La Documentation Française, 141 pages.

297 La stratégie retenue par les pouvoirs publics pour calibre l’expertise dans les PER est le résultat d’une réflexion menée par un groupe de travail « cartographie des risques naturels », mis en place en 1982 et composé

Les études scientifiques et techniques constituent la pierre angulaire de la cartographie réglementaire. Elles doivent donc être suffisamment précises pour éviter toute contestation et neutraliser les intérêts politiques et socio-économiques locaux.

On leur attribue la vertu d’apporter une vision objective de la réalité du terrain dégagée des contingences politiques. Les connaissances qu’elles génèrent doivent même permettre de créer un consensus autour du projet : l’évaluation des risques à partir d’une expertise solide constitue une preuve tangible qui s’impose par elle-même aux acteurs locaux et en particulier aux élus. Dans ce contexte, l’usage des modèles hydrologiques et hydrauliques pour évaluer les phénomènes et cartographier les aléas est valorisé. Les incertitudes de ces modèles ne sont pas discutées, voire passées sous silence afin de ne pas fragiliser la position des experts dans le processus de décision.

Il est important de noter que cette expertise ne concerne pas uniquement l’étude physique des inondations pour la crue de référence (généralement la crue centennale). Elle doit également porter sur l’appréciation de la vulnérabilité des personnes, des biens et des activités que ces inondations induisent.

La loi de 1982, qui instaure les PER, a en effet introduit le concept de vulnérabilité dans la cartographie réglementaire. Les pouvoirs publics ont posé comme préalable à l’élaboration des documents cartographiques la réalisation d’une étude de vulnérabilité qui a d’emblée été restreinte à une appréciation des dommages encourus localement en cas de survenance de l’inondation de référence. Une méthode simplifiée d’appréciation quantitative de la vulnérabilité alors été mise au point et diffusée ensuite aux services instructeurs (en 1990) dans un guide méthodologique298.

L’introduction d’un volet socio-économique dans les PER est à mettre au crédit de la loi du 13 juillet 1982 qui a mis en place un dispositif de solidarité en matière d’indemnisation des victimes des catastrophes naturelles. Par le lien organique créé entre les PER et l’assurance, les documents réglementaires sont alors placés sous le signe de l’économie des risques299. Cette volonté de ne pas faire découler le zonage réglementaire de la seule étude des phénomènes physiques n’a pas eu sur le terrain l’écho attendu. Les tentatives d’utilisation de la méthode proposée comme le développement d’approches simplifiées sont restées peu nombreuses. Dans la majeure partie des cas, les services instructeurs ont rejeté purement et simplement ce volet, préférant se concentrer sur la question de l’aléa300.

d’agents des ministères de l’équipement et de l’environnement. Ce groupe de travail, constatant l’échec de la mise en œuvre des programmes réglementaires antérieurs (à savoir les Plans de surfaces submersibles et les Périmètres de risques), a formulé l’hypothèse que cette situation résultait d’un manque de connaissances scientifiques et des réticences politiques à limiter la construction dans les zones à risques. Si ce diagnostic fait apparaître deux obstacles, le groupe de travail ne va agir que sur le premier facteur. Il va proposer une méthodologie d’élaboration du PER reposant sur la détermination de l’exposition des terrains au risque naturel à travers une étude scientifique et technique réalisée par des spécialistes. Cette étude doit aboutir à une constatation objective des phénomènes, à partir de laquelle l’Etat va définir les règles d’occupation des sols. 298 SAGERI (1988). Evaluation de la vulnérabilité. Rapport pour le Ministère de l’environnement (Délégation au risques majeurs), 38 pages et annexes.

299

Dans ce contexte, il n’est pas étonnant que la vulnérabilité soit approchée par le biais des dommages liés aux inondations.

300 Les agents des services instructeurs ont une formation d’ingénieur qui les conduit tout naturellement à s’intéresser aux phénomènes physiques plutôt qu’aux aspects socio-économiques. En outre, ils peuvent

Bruno Ledoux (1995) avance deux raisons principales pour expliquer cette situation : une absence de moyens et de compétence des services extérieurs, un manque de vision claire de l’administration sur les finalités attendues301.

2.3 Un modèle qui conduit à des conflits et des controverses

Le dispositif d’élaboration des PER s’appuie sur une rationalité essentiellement substantielle où les expertises ont pour fonction de renforcer l’autorité légale de l’administration. Il constitue un cadre rigide qui laisse peu d’espaces de liberté et conduit à des conflits et à des controverses.

Notre analyse laisse penser qu’une telle démarche ne peut aboutir qu’à des situations de blocage car rien ne semble prévu pour engager une concertation sur la définition du risque acceptable au niveau local. Cette remarque peut néanmoins être modulée par certaines pratiques constatées sur le terrain. Les études de cas montrent bien que les décisions ne résultent pas simplement des expertises techniques mais que les intérêts locaux sont parfois pris en considération par l’administration. A diverses occasions, les services instructeurs ou le préfet organisent des rencontres avec les élus locaux au cours desquelles ils soumettent les projets à la discussion. Les relations d’échange ainsi instaurées permettent d’établir des compromis entre les objectifs de protection des biens et des personnes, de préservation des intérêts fonciers et de maintien du développement urbain et économique.

L’articulation entre l’intérêt général, fondement de l’intervention de l’administration, et les intérêts particuliers ou collectifs, portés par les acteurs locaux, est réalisée en toute discrétion à la faveur de négociations cachées et menées au coup par coup. Les arrangements sont rarement dévoilés car ils apparaissent comme une entorse au règlement.

Les chercheurs en sciences sociales qui ont étudiés la mise en œuvre des plans d’exposition aux risques font le même constat (de Vanssay, 1991 et 1995). Ils soulignent également l’importance des conflits engendrés par la forme du processus de décision (Dourlens, 1995 et CREDECO, 1994).

En outre, les pratiques administratives habituelles d’ajustement ne parviennent pas toujours à faire taire les contestations (Bayet, 2000). Celles-ci ne portent pas forcément sur le bien fondé de la procédure mais plutôt sur la méthode employée pour définir le contenu du document (Pottier et Hubert, 1998).

Cyril Bayet (2000) met en évidence trois séries de controverses qui accompagnent localement la mise en place du document cartographique.

bénéficier des connaissances déjà acquises dans le domaine de l’hydrologie et de l’hydraulique. Alors qu’en matière d’évaluation des impacts socio-économiques des inondations, les réflexions peuvent encore paraître balbutiantes.

301

Le bilan réalisé par Bruno Ledoux sur les pratiques des services instructeurs a porté sur une période de 10 ans (de 1984 à 1994). Cette analyse a été poursuivie par le même auteur en collaboration avec le CEREVE (Reliant, Hubert et Ledoux, 2001) et dans le cadre de la thèse en cours de Claire Reliant. Elle montre que la situation n’a guère évolué aujourd’hui (on y reviendra ultérieurement).

La première porte sur la précision et la fiabilité des données scientifiques qui sont à la base du zonage. La question de la définition des caractéristiques de la crue de référence et de la quantification des impacts des phénomènes physiques est omniprésente dans les débats entre les techniciens et les acteurs locaux302. Les opposants aux projets (les élus et parfois les associations de riverains) mobilisent différents moyens pour constituer un argumentaire solide permettant de contrebalancer les résultats des études : une contre-expertise commanditée à des bureaux d’étude (une nouvelle étude d’aléa, des précisions sur la topographie du site, une analyse des enjeux socio-économiques), la recherche de documents historiques (photographies, textes d’archives), etc. Ces critiques, assises sur des données recevables, ont parfois incité les services instructeurs à revoir leur position ou bien à durcir leur discours.

La seconde concerne l’objectivation des conventions de zonage. Les contradicteurs dénoncent le caractère arbitraire des seuils choisis pour délimiter les zones à risque. Le recours systématique à la crue centennale pour établir le périmètre réglementé est remis en cause si l’on peut démontrer que l’utilisation d’une crue cinquantennale est suffisante pour garantir la sécurité publique.

La dernière porte sur la légitimité de l’administration à prendre des décisions en matière de prévention des risques. Les opposants mettent en avant les contradictions du comportement de l’Etat qui, avant la décentralisation, a parfois autorisé la construction dans des secteurs qui aujourd’hui sont considérés à risques. Ils soulignent les impacts induits par le zonage et l’absence de compensation : dévalorisation foncière (non démontrée d’ailleurs), atteinte à l’image de marque de la commune, gel du développement local, etc.

2.4 Une évaluation de la procédure par les pouvoirs publics

L’ensemble des difficultés liées à la mise en œuvre des PER a fait l’objet d’une analyse approfondie entre fin 1993 et fin 1996. Elle a été engagée par le Comité interministériel de l’évaluation des politiques publiques à la demande du Ministère de l’environnement (Commissariat Général du Plan, 1997)303.

A cette occasion, un travail d’enquête sur 16 départements a été confié à la Mission d’inspection spécialisée de l’environnement, pour comprendre le décalage entre les procédures prescrites et celles effectivement approuvées. L’extrait du rapport de mission est très illustratif de la situation rencontrée sur le terrain :

« Au niveau de l’agglomération tourangelle et dans les Alpes Maritimes, sur 16 procédures

PER lancées, 15 ont été classées sans suite. D’autres viennent simplement de déboucher, c’est le cas dans le département de la Gironde après 7 ans d’études et de procédure »304.

302

Ces informations ont une importance considérable car elles sont immédiatement traduisibles en décisions réglementaires. Elles constituent pour l’administration des preuves scientifiques qui n’ont pas à être remises en cause. Dans les faits, elles sont toujours discutées et ne s’imposent pas d’elles-mêmes aux intérêts locaux. 303

Des informations sur le processus d’évaluation de la politique publique de prévention des risques naturels figurent dans le chapitre 2 de la première partie du mémoire.

L’instance d’évaluation a apporté quelques éléments explicatifs sur les difficultés et les blocages constatés in situ, parmi lesquels : le flou de la définition des objectifs de la politique de prévention par types de risques, la complexité de la procédure et, corrélativement, le niveau de précision exigé pour la définition du risque à l’échelle parcellaire. Mais pour le groupe d’évaluation, la cause principale de l’échec des PER tient au fait que : « la prévention

par la réglementation du droit des sols est le plus souvent portée par l’Etat seul, sans réelle coopération des communes. Cette non-coopération des élus locaux peut s’expliquer par la confusion des responsabilités qui constitue un alibi bien commode et leur permet de manifester leur opposition à toute servitude réduisant la valeur vénale des biens ou le droit à construire »305. Ses conclusions sont sans appel : « A l’évidence un changement de stratégie

s’impose ».

Ce travail d’évaluation commandité par le gouvernement s’inscrit dans la volonté de réformer l’ensemble de la politique de prévention des risques naturels majeurs. La transformation s’est amorcée au début des années 1990 et les premières traductions concrètes ont pris la forme de circulaires306. La loi 95-101 du 2 février 1995 relative au renforcement de la protection de l’environnement est venue former l’assise juridique de cette réforme. Elle a institué notamment le Plan de prévention des risques (PPR), qui remplace les procédures précédentes (les anciens Plans de surface submersibles, Périmètres de risques et Plans d’exposition aux risques valent désormais PPR).

3. Le Plan de prévention des risques, une approche plus