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ressources humaines pour La santé

Comme mentionné dans l’introduction de ce chapitre, la gestion des res- sources humaines, en particulier du personnel médical, fait l’objet de nom- breuses études et publications. Un des principaux enjeux pour endiguer la crise des ressources humaines pour la santé en Afrique a trait à la question de leur motivation. La littérature internationale sur le sujet a été exploitée par le MS pour la conception de son plan de motivation. Quelques éléments clés de cette réflexion sont présentés ci-dessous.

La motivation réfère à l’ensemble des raisons qui font que les individus se comportent d’une certaine façon et persistent dans ce comportement, en particulier dans le domaine du travail. Or, on constate que plusieurs raisons peuvent motiver le comportement des travailleurs. Une classifica- tion des différents types de motivation, développée par Paul et Robinson (2007) sur la base d’une vaste revue de la littérature scientifique, distingue les sources de motivation matérielles et non matérielles, et à l’intérieur de cette catégorie, les sources de motivation intrinsèque, sociale et morale (voir ci-dessous). Chacune de ces sources de motivation peut être mobili- sée à travers plusieurs types de motivateurs ou d’incitants. En particulier, il existe à la fois des incitants « positifs » (primes, récompenses, etc.) et des incitants « négatifs » (sanctions en cas de faute). Il ressort de la littérature scientifique et empirique sur la GRH qu’un système de motivation cohérent doit mobiliser de manière équilibrée l’ensemble des sources de motivation des travailleurs, en recourant aux différents incitants (positifs et négatifs) de manière efficiente. En outre, il est sans doute plus utile, avant d’introduire des incitants positifs supplémentaires, de commencer par réduire les prin- cipales sources de démotivation des travailleurs, comme par exemple les mauvaises conditions de travail (Paul et Robinson, 2007).

Tout d’abord, une des principales manifestations de la motivation maté- rielle est la motivation financière. Il est bien connu que le salaire et le re- venu influencent non seulement la motivation des travailleurs mais aussi leur performance et leur moral, et donc la capacité des employeurs à les retenir au sein de leur organisation (Hertzberg et al., 1959). Pour ce qui nous concerne, l’insuffisance ressentie du niveau des salaires des ressources humaines pour la santé dans de nombreux pays africains est souvent avan- cée pour expliquer leur démotivation, et de là pour justifier des pratiques déviantes ou la recherche de compléments de revenus (e.g., Roenen et al., 1997 ; Van Lerberghe et al., 2002 ; Jaffré et Olivier de Sardan, 2003 ; Ferrinho et al., 2004 ; McCoy et al., 2008). C’est pourquoi certains auteurs avancent qu’il est urgent d’augmenter les salaires du personnel afin de préserver le système de santé (e.g., Israr et al., 2000 ; Dujardin, 2003), de préférence en le liant à la performance – bien qu’en pratique, cela se heurte à de nombreuses contraintes (e.g., McCoy et al., 2008). Le Mali ne fait pas exception et le faible niveau des salaires du personnel de santé y est reconnu comme un facteur démotivant majeur, légitimant des com- portements tels que la recherche de compléments de salaires à travers la course aux formations et séminaires, l’exercice d’activités privées, voire l’abus de biens publics. Toutefois, une hausse des salaires du personnel de

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santé est difficilement envisageable vu les plafonds salariaux et la difficulté de prendre des mesures dans certains secteurs et pas dans d’autres. Une solution, à étudier avec soin au cours d’une recherche-action, pourrait être de convaincre les uns et les autres de convertir l’équivalent annuel espéré des per diem touchés lors de formations et d’ateliers en primes pour en- courager le personnel technique à rester à son poste. Ceci n’aurait aucune incidence financière et permettrait d’assurer la continuité des soins en moti- vant le personnel à faire son travail – plutôt que le système actuel qui motive à partir en formation. Par ailleurs, si certaines formations sont nécessaires pour mettre le personnel à niveau et améliorer la qualité des soins, ces formations continues pourraient être exercées sur le lieu de travail, toujours dans la perspective de limiter les effets pervers des per diem et d’assurer la continuité des soins.

Outre le salaire de base, l’octroi de primes de performance pour le person- nel sanitaire est de plus en plus avancé comme un moyen d’assurer une augmentation de revenus et une amélioration de la performance. Toutefois, leur introduction doit être considérée avec prudence car la littérature inter- nationale pointe une série de risques liés à l’utilisation de telles primes. Il s’agit d’une part de risques liés à l’utilisation d’indicateurs imparfaits – ce qui veut dire qu’il faut s’assurer de l’existence de mesures de performance pertinentes, fiables et objectives, clairement reliées à l’action des agents et disponibles à faible coût, avant de se lancer dans l’octroi de primes de performance. D’autre part, l’utilisation de primes de performance s’accom- pagne de risques de distorsion des comportements, de jeux stratégiques individuels et de manipulation des données par les agents – risques qu’il est donc important de mitiger. Enfin, les primes individuelles tend à nuire à la coopération entre agents et si l’on veut encourager le travail d’équipe, il vaut dès lors mieux envisager l’allocation de primes aux structures dans leur ensemble (Paul et Robinson, 2007).

Enfin, au-delà de l’effet sur la qualité des services, de meilleures conditions de travail et d’autres avantages matériels (logements de fonction, moyens de transport et de communication, …) peuvent également être des facteurs de motivation non négligeables.

Mais les incitants financiers et matériels sont loin d’être les seuls dispo- nibles et au contraire, la littérature scientifique montre que les incitants non matériels et les instruments de gestion des ressources humaines jouent un rôle très important sur la motivation du personnel de santé en Afrique (e.g., Franco et al., 2002 ; Mathauer et Imhoff, 2006). Pour en revenir à la classification des sources de motivation non matérielles de Paul et Ro- binson (2007), la motivation intrinsèque dérive du plaisir retiré du travail – que ce soit des activités exercées ou des résultats obtenus. Le degré de motivation intrinsèque dépend beaucoup de la nature du travail exercé et précisément, on peut espérer que le personnel sanitaire a, au départ, une forte motivation intrinsèque (vocation) qui ne demande qu’à être encoura- gée. Ceci peut se faire tout d’abord en réduisant les facteurs qui tendent

à démotiver le personnel (mauvaises conditions de travail) et en insistant davantage sur la valeur des professions médicales lors de la formation et des stages. En outre, on peut aussi augmenter la motivation intrinsèque en permettant au personnel de participer et de s’impliquer davantage dans la réflexion stratégique, par exemple en menant des expériences pilotes et en partageant les fruits de ses recherches-actions.

Une deuxième source de motivation non matérielle est la motivation so- ciale, qui peut être définie comme la poursuite, par les individus, de certains types de rapports sociaux sur leur lieu de travail – et ceci pour des raisons différentes des avantages matériels qui peuvent en découler. Un élément particulièrement important de la motivation sociale a trait à l’équité, c’est-à- dire à la manière dont les gens perçoivent qu’ils sont traités (matériellement et symboliquement) par rapport aux autres dans leur groupe de référence. De nombreuses études montrent que les gens sont prêts à s’investir dans leur travail s’ils se sentent équitablement traités, alors que les travailleurs qui se sentent injustement traités peuvent opter pour des comportements déloyaux (Ehrenberg and Smith, 1997). Ceci justifie l’argument de l’impor- tance d’augmenter les salaires du personnel de santé à un niveau équi- table, pour contribuer à réduire ce sentiment d’iniquité. Différents outils peuvent en outre être utilisés pour mobiliser la motivation sociale, en parti- culier la pression sociale – c’est-à-dire l’expression de l’approbation, de la désapprobation, du respect, etc. de la part des autres. La pression sociale peut venir des pairs mais aussi des supérieurs hiérarchiques, ainsi que des patients ou de leurs représentants – d’où l’intérêt de renforcer le rôle de contrôle de la qualité des prestations de la part des patients et des ASACO. D’autres motivateurs importants sont l’exercice d’un réel leadership, la re- connaissance du mérite et le développement de normes de travail élevées. Troisièmement, la motivation morale réfère au désir de se comporter en accord avec ses valeurs et croyances morales, notamment en poursuivant une cause jugée juste de manière altruiste, ou encore en travaillant pour le bien de ceux qu’on a sous sa responsabilité. Elle comprend l’éthique de travail et est (censée être) particulièrement importante dans le secteur pu- blic et les organisations sans but lucratif. Dans le secteur de la santé, cette motivation pourrait être davantage mobilisée à travers le renforcement du contrôle de la déontologie par les ordres professionnels, de même que la formation à l’approche orientée vers le patient.

Enfin, tout système de motivation doit comporter une évaluation du travail mené et, le cas échéant, des sanctions en cas de faute ou de manquement avéré. Nuançons toutefois cet argument, car des études montrent qu’alors qu’une supervision perçue comme « contrôlante » et des sanctions injustes peuvent démotiver le personnel, la supervision peut avoir un réel effet mo- tivant si elle est perçue comme formative et informative (Frey, 1997 ; Deci et al., 1999). Pour ce qui concerne le personnel de santé, le Rapport sur la Santé dans le Monde 2006 de l’OMS affirme d’ailleurs que la supervision, si elle est équitable et bien menée, est un des instruments les plus efficaces pour augmenter les compétences des agents sanitaires et les motiver.

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