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Représentation d’Internet par les entreprises de presse

Conclusion : presse imprimée & ordiphone

CHAPITRE 1. DES SYSTEMES DE COMMUNICATION UNIDIRECTIONNELS A LA NATURE INTERACTIVE DES

1. Représentation d’Internet par les entreprises de presse

Le double phénomène de la numérisation et d’Internet est encore largement perçu par les entreprises de presse comme répondant à un triple processus de dématérialisation, de

délinéarisation de l’information et de fragmentation à la fois des supports et des audiences.

C’est une approche visant à interpréter la numérisation et Internet avec les yeux de l’ancien paradigme où les moyens de production de l’information et les moyens de communications étaient séparés entre les communications publiques et les communications privées.

Comme le dit Louise Merzeau, professeur de sciences de l’information et de la communication à l’Université de Nanterre, « l’essor du numérique ne se réduit ni à une

nouvelle codification des contenus, ni à l’introduction d’un nouveau canal de circulation. C’est une transformation environnementale, qui affecte les structures et les relations »130.

De plus, les effets de la numérisation et d’Internet accessibles par tous sont interprétés comme « l’abaissement des barrières entre l’information et la communication, ou dit d’une autre

manière, l’importance de plus en plus forte des stratégies mis en œuvre par les communicants pour influer sur le travail des journalistes et sur l’information qu’ils produisent131 ». De plus,

le journalisme dit politique jusqu’à la fin du XIXème siècle, se serait élargi à deux autres

modèles de journalismes, le « journalisme d’information » et le « journalisme de

130 MERZEAU Louise. Du signe à la trace : l’information sur mesure. Hermès, 53, 2009, p. 23-29

131 RIEFFEL, Rémy (2008) « Les métamorphoses de l'information: de sa production à sa coproduction » dans Greffe,

communication » ou encore le « journalisme de marché » selon la terminologie de Bonville et Charron132.

Cette analyse a au moins le mérite de souligner l’importance des stratégies miss en œuvre par les journalistes pour produire une information de qualité, d’une part, mais aussi la manière dont ces informations seront mis à la disposition du public d’autre part.

La dématérialisation de l’information correspondrait à l’opposition entre le caractère supposé tangible d’un titre de presse imprimé avec le caractère supposé virtuel d’une information accédée à partir de l’écran d’un ordinateur.

Par exemple, une étude Ipsos Media CT du Centre National du Livre publiée en 2011 donne cette définition du livre numérique comparée au livre « papier » : « un livre dématérialisé, par

opposition au livre sur support papier. Il s’agit d’un fichier informatique que l’on peut lire sur un écran (ou éventuellement écouter), par exemple sur un ordinateur, un téléphone, un terminal dédié… Cela peut être par exemple : un livre de cuisine sur une console de jeux, un livre professionnel sur un écran d’ordinateur, un roman sur un e-reader ». Puis la définition

précise « Attention : nous parlons bien de livre numérique et non pas de sites Internet du type

Wikipedia ou sites pratiques ».

Le matériel électronique est opposé au matériel imprimé : La dématérialisation est interprétée comme la conséquence d’un processus informatique portant sur la forme traditionnelle du livre, l’imprimé, dont le contenu, dorénavant représenté sous la forme d’un « fichier informatique », serait dorénavant lu sur un écran. Autrement dit, le processus par lequel un contenu est « détaché » de son contenant originel, pour lequel il avait initialement été conçu est perçu comme une dématérialisation. A l’inverse, le phénomène de la numérisation pourrait aussi être vu comme la matérialisation de choses immatérielles et non la

dématérialisation de choses matérielles (Bruno Latour133). La « dématérialisation de

l’information » correspond en fait à l’abandon du papier comme unique matériel permettant d’assurer le transport de son contenu et dont sa (re)matérialisation sur des interfaces

132 BRIN Colette, CHARRON Jean et DE BONVILLE Jean (dir.). Nature et transformations du journalisme. Théories et recherches empiriques, Québec, Les Presses de l’Université Laval, 2004.

133 MANACH, Jean-Marc. Bruno Latour : « on est passé du virtuel au matériel et pas du matériel au virtuel ».

InternetActu.net. 2010. Accessible en ligne : http://www.internetactu.net/2010/06/22/bruno-latour-on-est-passe- du-virtuel-au-materiel-et-pas-du-materiel-au-virtuel/

électroniques (au nom les plus variés : ordinateur fixe, liseuse, e-reader, tablette etc.) entérine de nouvelles manipulations, au sens littéral du terme. Le livre ne se lit pas de la même manière sous un format analogique imprimé ou électronique.

La délinéarisation correspondrait à la fin du rendez-vous à heure fixe et l’avènement de l’information à la demande ou à la carte. Les groupes médias organisent selon différents modèles économiques l’accès à leurs archives, qu’elles soient écrites ou audiovisuelles, pour permettre à un individu de décider du moment où il consommera ces informations. On parle alors de push et de pull pour définir la méthode ancienne qui consiste à pousser une information vers quelqu’un à une heure précise (diffusion ou distribution traditionnelle, journaux du soir ou du matin, le journal télévisé de 20h00), à la nouvelle méthode, le pull, qui consisterait à laisser l’individu tirer une information vers lui lorsqu’il le souhaite (par exemple un flux RSS qui permet à l’individu de se constituer « à la carte » une page html où seront référencés et classés l’ensemble des flux RSS auquel il s’est abonné).

Dans le domaine audiovisuel, on parle ainsi de « vidéo à la demande » (VOD, video on demand) ou encore de « vidéo de rattrapage » (catch-up tv). Comme nous le verrons, la délinéarisation induit un nouveau rapport au temps, réel ou différé, de programme également conçus en temps réel ou en différé, que l’évolution de la délinéarisation d’une offre de programme à heure fixe vers la relinéarisation d’une consommation de ladite offre de programme à « heure choisie » ne prend pas en compte.

Enfin, la fragmentation des supports correspondrait à la diversité croissante des supports de publication et de diffusion des contenus. Dans une logique de dématérialisation, il s’agit de matérialiser à nouveau ce contenu sur des supports électroniques de plus en plus hétérogènes émanant de constructeurs variés œuvrant sur le marché de l’électronique.

La dématérialisation de l’information, sa délinéarisation et la fragmentation des supports entraineraient par effets de chaîne une fragmentation des audiences, audiences à partir desquelles est construit le modèle d’affaire à deux versants des entreprises médiatiques, ce qui a pour conséquence une fragmentation des recettes publicitaires et une baisse des recettes par média.

Depuis la commercialisation de l’accès à Internet auprès du grand public au début des années 1990, c’est suivant ces logiques que les médias de l’écrit par exemple ont décliné

l’information dont ils étaient les auteurs en les mettant à disposition sur le système hypertexte public. Selon cette vision, il s’agit essentiellement de considérer le web comme un nouveau

canal de distribution, un média de diffusion, dont le terminal de réception est un ordinateur, doté d’un écran et d’un clavier, au sein duquel l’écrit se marie dorénavant à l’audiovisuel et quelques outils participatifs comme les commentaires, l’envoi de mail ou le partage d’un lien sur un réseau social personnel (Facebook, Twitter) ou professionnel (Linkedin, Viadeo). Avec l’arrivée des ordiphones (2007), puis des tablettes tactiles (2010), ou du papier électronique (à venir) ce sont autant de nouveaux supports de publication et de diffusion de l’information sur lesquels il conviendra, pour ces entreprises de presse, de décliner à nouveau

l’information dont ils sont les ayants-droits.

Dès la fin des années 1990, le Web accédé à partir d’un ordinateur fixe s’est ainsi vu investi par les entreprises de presse comme un nouveau média permettant de répliquer la forme du journal tel qu’il est vendu en kiosque, au point d’ailleurs que la forme du journal imprimé devient aujourd’hui la réplique de l’information telle qu’elle est structurée sur un écran d’ordinateur. Jamais la maquette des journaux et des magazines imprimés actuels, qu’ils soient payants ou gratuits, n’a été aussi mosaïque, au sens où Marshall McLuhan l’entendait dans les années 1960134.

Ce phénomène, dont nous étudierons les enjeux, participe selon nous du mouvement très ancien de décontextualisation de l’information, initié avec l’invention de l’écriture et qui se poursuit aujourd’hui dans un mouvement inverse tenant à une recontextualisation de

l’information avec l’écriture en bit selon des niveaux d’organisation qui échappent totalement

à la manière de se représenter de manière si dissociée les relations entre l’enseignement, l’éducation, le divertissement, l’instruction, la connaissance, le savoir et l’information et dont nous pourrons concrètement commencer à penser les enjeux lorsque les frontières entre le monde des idées et celui des objets auront cessées d’être autant symboliques, tout

134 MCLUHAN Marshall. Understanding media : the extensions of man. McGraw-Hill (New York), 1964. Tr.

particulièrement lorsqu’elles concernent des biens matériels dont l’unique objet est d’être « informationnel ».

L’impact de la numérisation et d’Internet dépasse largement la simple évolution de la mise à disposition du public d’un document imprimé à la mise à disposition du public d’un document en ligne, numérique, fut-ce sur une gamme de terminaux de plus en plus diversifiée.

Le passage d’un système de communication unidirectionnel reposant sur la distribution ou la diffusion de contenus au modèle systémique de communications électroniques à partir d’équipements génériques dont les individus sont déjà porteurs met à mal le modèle d’affaires traditionnel et l’organisation historique des entreprises de presse, au point que certains s’inquiètent de la disparition progressive du journalisme de la presse écrite payante tel qu’il s’inventa à partir de la seconde moitié du XIXème, et qui serait le garant de l’équilibre toujours

précaire entre marchands, mandarins et société civile (Balle, 2005).

La première question des entreprises de presse devient alors celle de savoir si les gens vont de nouveau se mettre à payer pour s’informer. Dit autrement, la question est de savoir de quelle instance proviendra la sélection, la hiérarchisation et la vérification de l’information dite d’intérêt général dont le seul modèle de production est aujourd’hui d’être produite et ralisée par des entreprises privées dépendantes d’un pouvoir politique dont elles obtiennent parfois d’importants subsides, mais dont la loi consacre le principe et les théories économiques, le financement public nécessaire selon le « droit à l’information ». Depuis les années 1980, la pratique de la lecture baisse et incidemment, celle des journaux, des magazines et des livres. Autrement dit, les pratiques culturelles évoluent – s’informer passent par d’autre canaux - l’offre se diversifie selon des régimes juridiques et des guerres intestines entre professionnels, l’art de l’écriture ne se mélange pas à la caméra.

La presse imprimée désigne un système de communication unidirectionnel où l’imprimé, combiné à l’ordiphone, devient une interface au sens de l’informatique, permettant d’accéder à partir de la « couche des contenus » imprimée et selon des niveaux d’organisation liés aux capacités computationnelles de l’ordinateur (traiter, transporter, stocker des bits de données) et donc à l’ensemble des ressources web et des services de communication électroniques via Internet.

La presse en ligne est aujourd’hui essentiellement appréhendée comme un système de communication électronique qui mime la matérialisation électronique sur écran de choses

immatérielles autrefois uniquement matérialisées sur un support imprimé, ou diffusé à travers

un réseau électrique. Le phénomène de la numérisation et d’Internet s’applique à tous leurs usagers : prenons pour exemple les pratiques amateurs de la photographie avec un téléphone portable.

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