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Conclusion : presse imprimée & ordiphone

CHAPITRE 1. DES SYSTEMES DE COMMUNICATION UNIDIRECTIONNELS A LA NATURE INTERACTIVE DES

1. Approche théorique

En prenant pour référence les techniques de l’architecture réseau utilisées dans le domaine des communications électroniques, Yochai Benkler définit la régulation à l’œuvre de tout système de communication comme un ensemble composé de trois couches qui se superposent : la couche « physique ou matérielle » ; la couche « logique ou logicielle » ; la couche des « contenus ».

Cette approche permet à Benkler d’expliquer la régulation dont fait l’objet chacune des trois couches de tout « système de communication » : par exemple pour Internet, la couche physique est la couche que parcourt matériellement la communication : ce sont les ordinateurs, les câbles mais aussi le spectre électromagnétique*. La couche logique est la couche logicielle, qui permet de faire fonctionner le matériel. Enfin la couche des contenus correspond aux informations circulant à travers le système.

Selon Benkler, cette représentation en trois couches permet d’expliquer le fonctionnement de n’importe quel système de communication. Nous pourrions par exemple interpréter la conversation en face à face entre deux personnes selon cette représentation en trois couches : La couche physique est la couche que parcourt matériellement la voix de deux interlocuteurs (phénomène physique de vibration mécanique du milieu, l’onde acoustique dans l’air), la couche logique est celle du langage utilisé par les interlocuteurs (s’ils ne partagent pas le même langage, il n’y a pas de communication) et la couche des contenus correspond aux informations effectivement échangées.

Pour donner trois exemples de la représentation en trois couches de Benkler, Lawrence Lessig, professeur de droit à l’Université de Harvard cite dans son ouvrage « l’avenir des

idées, le sort du bien commun à l’heure des réseaux numériques122 » le « coin des orateurs » (speaker’s corner123) de Hyde Park à Londres où quiconque peut prononcer un discours le

122http://presses.univ-lyon2.fr/livres/pul/2005/avenir-idee/xhtml/index-frames.html

123 Wikipedia.fr : « Speakers' Corner » (littéralement « coin des orateurs ») désigne l'espace dédié nord-est de

dimanche. Pour ce dernier, la couche physique correspond au Hyde Parc au centre de Londres, la couche logique est la langue anglaise, et la couche des contenus correspond à ce que disent ces éphémères orateurs. C’est un système de communication dont aucune des couches n’est juridiquement régulée. Le dimanche, il peut tout se dire au coin des orateurs de Hyde Park. Toujours dans le même ouvrage, Lessig cite ensuite l’exemple du Madison Square Garden à New York qui, à la différence du Hyde Park de Londres n’est pas un lieu public ; pour prononcer un discours au Madison Square Garden, il faut le louer : alors que la couche physique est régulée, la couche logique et la couche des contenus ne le sont pas. Puis il donne l’exemple du téléphone où ce sont les couches physiques et logiques qui sont régulées, mais pas la couche de contenu. Lessig termine enfin en prenant l’exemple de la télévision câblée dont toutes les couches sont réglementées, au niveau physique (les câbles sont la propriété des câblo-opérateurs), au niveau logique (seul l’opérateur décide du contenu qu’il va diffuser), et au niveau des contenus (les émissions diffusées sur le câble sont soumises au droit d’auteur). Ces quatre exemples lui permettent de mettre en lumière la diversité des approches tenant à la régulation de chaque couche de tout système de communication à l’aide du tableau suivant :

Speaker’s Corner Madison Square Garden Réseau téléphonique Télévision câblée

Contenu Libres Libres Libres Réglementés

Code (logiciel) Libres Libres Réglementés Réglementés

Matériel Libres Réglementés Réglementés Réglementés

Source124

Qu’en est-il lorsque l’on analyse la presse imprimée et l’ordiphone selon cette approche ?

devant l'assistance du moment. Il fallut attendre 1872 pour que le gouvernement reconnaisse le besoin ressenti par la population de se réunir en public pour donner libre cours à des discussions. (Wikipedia France, consulté le 5 juillet 2011).

124 LESSIG, Lawrence. The Future of Ideas: the fate of the commons in a connected world. Random House.

Etats-Unis, 2001. Tr. Fr. de J.-B. Soufron et A. Bony. Presses universitaires de Lyon, 2005. Accessible en ligne : http://presses.univ-lyon2.fr/livres/pul/2005/avenir-idee/xhtml/index-frames.html consulté en novembre 2011.

2. Presse imprimée & ordiphone

La presse imprimée est un « système de communication » et pourrait s’interpréter suivant ce modèle en trois couches se superposant :

La couche physique correspondrait au titre de presse dont un lecteur s’empare matériellement, fait de papier et d’encre, mais aussi les machines industrielles permettant de le reproduire (imprimerie) et distribuer les exemplaires (kiosques, présentoirs et points de distribution – transporteurs etc.).

Jean-Claude Guédon125, professeur de littérature comparée à l'Université de Montréal qui

tente aussi d’appliquer ce modèle en trois couches au monde de l’imprimé126 voit dans la

première couche physique « le papier et l'encre ». Il s’agit de la couche matérielle, physique du titre de presse auquel nous ajoutons une dimension logistique. Le type de régulation dont fait l’objet la couche matérielle est, pour la phase de production en amont pour l’éditeur de presse, celle de l’économie de marché, propre à tous les biens produits sur un marché dit concurrentiel, et pour le droit d’accès, propre aux choix entrepris par l’éditeur. Ce droit d’accès correspond au modèle d’affaire de la presse imprimée, payante ou gratuite, et dont, par exemple en France, le réseau de distribution s’appuiera sur des canaux différents selon le modèle sélectionné par l’entreprise de presse.

La couche logique correspondrait au choix de l’éditeur tenant d’abord à la langue utilisée, mais aussi, selon Jean-Claude Guédon, « au format du papier, à la typographie, la mise en page etc. ». Cette couche logique ou logicielle correspond à ce que Lawrence Lessig appelle le code (informatique) lorsqu’il explique le fonctionnement du réseau Internet. Pour établir un parallèle avec l’imprimé, la couche logique correspond à ce qui permet d’imprimer un message et dont on a l’assurance qu’il pourrait être lu par celui qui le lit. A ce niveau, la régulation dont la couche logique fait l’objet dépend des choix littéraires de l’éditeur. Une revue scientifique payante ne sera pas rédigée de la même manière qu’un titre de presse quotidienne gratuite. Le premier niveau de la couche logique de la presse imprimée, c’est l’écriture et qui correspond pour le lectorat à ses capacités de lecture.

125 Jean-Claude GUÉDON est professeur de littérature comparée à l'Université de Montréal et membre du

comité « programmes d'information » de l'Open Society Institute.

126 GUEDON, Jean-Claude. Entre public et privé : les biens communs dans la société de l'information, Presse

Universitaires de Lyon, 2005.

Enfin, la couche des contenus correspondrait aux messages eux-mêmes, c’est à dire la production journalistique et qui fait un sens pour celui qui l’écrit et un autre sens pour celui qui le lit. La régulation juridique dont la couche des contenus imprimés dans un journal fait l’objet est le droit d’auteur.

Bien sûr, cette analyse pourrait soulever de nombreux débats si l’on souhaitait distinguer dans trois catégories étanches ce à quoi correspond cette représentation d’un système de communication lorsqu’elle est adaptée au monde de l’imprimé. Ainsi, lorsque Jean-Claude Guédon se pose la question de savoir si, « dans le cas du journal, la rhétorique favorisée dans

l'écriture d'un article, qui pourrait obéir à la tonalité générale ou au style d'une publication particulière, appartient à la deuxième ou à la troisième couche », nous nous joignons à sa

réponse lorsqu’il dit que « le terme a plus pour fonction d'ordonner les idées et d'aider à

identifier des questions nouvelles que de créer des frontières extrêmement précises ».

Notre propos sera donc celui de considérer la presse imprimée comme un « système de communication » au sens de Benkler. Cette manière d’appréhender la presse imprimée pourra trouver une illustration plus claire lorsque l’on dresse un parallèle entre la régulation des trois couches que constituent le système de communication « presse imprimée », « presse en ligne » ou « contenu en ligne généré par un individu » :

Presse imprimée Presse en ligne générée par un éditeur de presse ou contenu généré par un individu ou un groupe d’individus Couche physique ou matérielle Papier, encre Imprimerie, kiosque Ordinateur, téléphone portable, tablettes tactiles

Réseau filaire ou hertzien Serveurs informatiques. Couche logique ou

informatique – le code selon Lessig

Choix de la langue, format du papier, typographie, mise en page Choix de la langue, logiciel, ressources informatiques, protocoles d’internet

Couche des Contenus Message : texte et image Message : texte et

hypertexte, son et image, fixes et animés.

Dans le cas de la presse imprimée, la régulation à l’œuvre au niveau de chaque couche est le fait de l’éditeur, parce que le système de communication tout entier correspond à une chaîne de valeur dont ce dernier a l’entière maîtrise : écriture des contenus par des journalistes, mise en page par des maquettistes, correction par des secrétaires de rédaction, achat du papier, envoi des fichiers à l’imprimeur, impression du journal, livraison à des distributeurs, répartition dans les kiosques pour la presse imprimée payante ou dans des présentoirs pour la presse imprimée gratuite.

Les trois couches du système de communication « presse imprimée » sont donc régulées, exceptés lorsque le titre de presse est distribué gratuitement :

Presse imprimée payante

Presse imprimée gratuite

Contenu Réglementés Réglementés

Code (logiciel) Réglementés Réglementés

Matériel Réglementés Libres

Dans le cas de la presse en ligne, accédée à partir d’un navigateur web installé sur n’importe quel terminal électronique, la régulation à l’œuvre au niveau de chaque couche est tout aussi réglementée, même si chacune fait l’objet de combinaison dont nous allons voir les effets. La couche physique ne dépend plus des choix de l’éditeur, mais de l’infrastructure qui rend possible la communication électronique, et dont le matériel est déjà dans les mains d’un individu : un ordinateur, une tablette tactile, une liseuse ; la couche logicielle dépend en partie des choix de l’éditeur, sous réserve qu’il respecte les standards inhérents à la mise à disposition de contenu sur le système hypertexte public. Quant à la couche des contenus, ils sont toujours réglementés par le droit d’auteur.

Lorsqu’un éditeur de presse utilise le système hypertexte pour mettre à la disposition du public des contenus, chacune des trois couches du système de communication dont il est à l’origine est donc réglementée :

Presse imprimée Presse en ligne

Contenu Réglementés Réglementés

Code (logiciel) Réglementés Réglementés

Matériel Réglementés Réglementés

Cependant, l’architecture de communication sur laquelle repose le « système de communication » presse en ligne, Internet, participe d’un système dont chacune des couches peut être combinée, configurée, paramétrée différemment et dont l’intérêt principal réside en l’interdépendance entre les trois couches. Par exemple, le contenu de l’encyclopédie en ligne

Wikipedia est sous licence Creative Commons127. La couche logicielle, qui permet de faire fonctionner le matériel est libre et le matériel nécessaire pour accéder à ces services est générique et vendu sur le marché des biens d’équipements électroniques.

Wikipedia Données publiques

Contenu Libres Libres

Code (logiciel) Libres Libres

Matériel Réglementés Réglementés

Dans le cas d’une communication optique entre un titre de presse imprimée et un ordiphone, de par la superposition des couches matérielles, logicielles et de contenu, la régulation de chacune des couches n’est non seulement plus du seul fait de l’éditeur, mais peut également ne plus du tout être du fait de l’éditeur (ou de l’annonceur) ; autrement dit, la mise en œuvre d’une application logicielle de communication optique à partir de contenus imprimés peut être à la fois le fait de l’éditeur ou de l’annonceur, mais aussi de l’individu qui utiliserait un logiciel tiers.

La combinaison des couches matérielles, c’est à la fois celle du support papier et du terminal électronique, (caméra/écran). La combinaison des couches logicielles, c’est à la fois celle de l’imprimé – choix de la langue, format du papier, typographie, mise en page, mais aussi celles électroniques, tenant aux logiciels, ressources informatiques, protocoles d’internet, puis à nouveau – choix de la langue, format des données, mise en page etc. Nous verrons dans la troisième partie que le choix du langage informatique influe considérablement suivant qu’il est librement accessible ou non.

La superposition des deux « systèmes de communication », à la fois celui de la « presse imprimée » et celui de « l’ordiphone » montre que la réglementation de chaque couche des systèmes de communication « presse imprimée » et « ordiphone » pris séparément peut se combiner différemment lorsqu’ils font l’objet d’une communication optique par l’intermédiaire d’une application logicielle. La couche des contenus du système de communication presse imprimée fait l’objet d’une communication électronique, optique, par

127 Creative Commons propose des contrats-type pour la mise à disposition d’œuvres en ligne. Inspirés par les

licences libres, les mouvements open source et open access, ces contrats facilitent l'utilisation d’œuvres (textes, photos, musique, sites web…). http://fr.creativecommons.org/description.htm

l’intermédiaire du système de communication ordiphone. C’est ainsi que le dispositif de réalité augmentée* combinant la presse imprimée et l’ordiphone équivaut à l’alignement entre les trois couches des deux systèmes de communication (Benkler, 2001), que les ingénieurs traduisent par le mélange et l’alignement réel/virtuel, en temps réel128.

Mais ceci n’a rien de nouveau. Par exemple, un individu peut lire un article de presse accessible sur le site web du journal « Le Monde » et effectuer une recherche d’information à propos du contenu de l’article sur un autre site web (en ouvrant un nouvel onglet dans un navigateur web), ou encore, traduire un mot sur un dictionnaire en ligne qui ne dépend pas du site de l’éditeur.

Seulement, s’il n’y a pas de barrière pour empêcher un individu d’effectuer un « copier- coller » d’une page html vers une autre page html à partir d’un ordinateur fixe (non pas pour dupliquer l’information mais effectuer une recherche d’information), qu’en est-il lorsqu’il s’agit d’effectuer « un copier-coller optique » entre une page imprimée « entre les mains » et une page html accédée à distance avec un ordiphone via une application logicielle installée sur le terminal électronique ?

Tout ceci nous renvoie au caractère de « non rivalité » et de « non excluabilité » de l’information propre à l’interprétation de l’information au sens de « l’économie des médias ». Pour comprendre le caractère immatériel de toute information, au sens culturel du terme, nous pourrions faire un parallèle entre le son et l’image en dressant un parallèle entre le « phénomène Shazam » lié à la musique en le comparant à celui mis en œuvre à travers un titre de presse imprimée.

Shazam est une application logicielle qui permet d’identifier à distance une séquence sonore enregistrée localement. C’est l’exemple que nous donnions en introduction.

128 AZUMA. Ronald T. A Survey of Augmented Reality. Revue Teleoperateors and virtual environments ; p.355-

Le contenu d’information d’une onde sonore

La scène se passe dans un café, un individu entend une musique qu’il affectionne tout particulièrement mais dont il ne connaît ni le titre ni l’interprète. Il sélectionne une application logicielle129 sur son téléphone portable qui enregistre un échantillon sonore du titre, le transmet vers les serveurs de bases de données permettant de le comparer et de l’identifier, puis renvoie à l’utilisateur quelques secondes plus tard le nom de l’artiste, le titre en question et diverses informations et services s’y rapportant. Cet individu n’a ni saisi de texte, ni utilisé la caméra du téléphone pour saisir sa requête et identifier le titre de musique en question mais le microphone du terminal. Il s’agirait d’une requête dite audio.

Que se passe-t-il lorsque cet individu achète le morceau de musique ? Par exemple, il achète ce morceau sur la plateforme iTunes Store de l’entreprise Apple, qui rémunèrera l’auteur, la source électronique à partir de laquelle cette transaction a pu avoir lieu, c’est-à-dire l’application Shazam mais pas le diffuseur du titre de musique, en l’occurrence la radio ayant diffusé le titre et le café dans lequel la radio était allumée, et qui a permis à l’individu d’acheter ce titre de musique. Le diffuseur (la radio) et son client (le café) ne font pas partie de la chaîne de valeur réunissant les entreprises Shazam, Apple et l’auteur et les ayants droit de la musique. Le caractère de « non rivalité » et de « non excluabilité » du bien immatériel « musique » permet à une entreprise d’offrir un service logiciel uniquement en rapport avec le caractère proprement immatériel de ce « bien d’information ».

Il en va de même pour la presse imprimée, non plus dans le spectre sonore mais optique. Le caractère de non rivalité de l’information au sens cognitif du terme (écouter, voir, lire) rend cette information manipulable selon un traitement logiciel qui ne s’appuierait que sur une méthode informatique d’acquisition des données portant sur la couche de contenu, le

message effectivement distribué ou diffusé, et non plus sur la couche matérielle, le poste de radio allumé dans un café.

Par exemple, un individu qui lit un titre de presse imprimée et repère un livre qui l’intéresse pourrait effectuer à partir d’un ordiphone une recherche d’information à propos de ce livre sur un site web tel que Babelio.com, voire un achat sur le site web de librairie en ligne Amazon.com

Comme pour le titre de musique diffusé dans un lieu où un individu se saisit de son ordiphone pour lancer l’application Shazam et découvrir, voire acheter le titre de musique en question, le caractère de « non-rivalité » et de « non-excluabilité » de l’information imprimée dans un journal (la couverture du livre, le titre du livre etc.) pourra également faire l’objet d’une appropriation par un individu sans que l’éditeur ne puisse s’y opposer ou s’inclure dans la « chaîne de valeur » au sens de l’économie des médias.

Ce court exemple nous aura servi à illustrer la pertinence limitée des modèles d’affaires traditionnels des entreprises médiatiques qui ne se fondent, pour la vente d’un contenu immatériel, qu’à la matérialisation de son contenu.

C’est ainsi que l’industrie des communications et les médias traditionnels ont une perception de l’Internet comme étant l’un des facteurs détruisant le modèle ancien sur lequel elles ont fonctionné pendant plus de deux siècles.

3. Représentation de la numérisation et d’Internet par les entreprises de

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