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Nous avions repéré en P1 que les malades décrivaient des situations d’inconfort et de confort à s’alimenter dont les séquences se répétaient à l’identique jusqu’à la

quatrième séance de chimiothérapie. Ces questions concernaient que les questionnaires réalisés pour les deuxième, troisième et quatrième séances de chimiothérapie où nous demandions simplement aux malades rencontrés s’ils avaient éprouvé des difficultés ou des facilités pour s’alimenter pour la première (S1), la deuxième (S2) et la troisième (S3) semaine de leur cycle de chimiothérapie.

3) Nous avons identifié en P1 que quatre types de d’attirances et de rejets alimentaires régissaient l’alimentation des malades. Les premières relèvent du nutritionnel en déterminant les nourritures permettant au mangeur d’apporter les nutriments nécessaires à l’organisme pour son bon fonctionnement mais aussi celles dont la composition est identifiée comme étant incompatible avec la maladie et/ou le traitement. Les deuxièmes, d’ordre sensoriel, rendent compte des perturbations d’identifications et de perceptions gustatives et olfactives engendrées par les traitements anticancéreux. Les troisièmes que nous nommons de techniques sont relatives aux méthodes d’achats et culinaires. Et enfin, les quatrièmes font références aux précautions prises par les malades (et/ou leurs proches) pour prévenir les toxi-infections alimentaires et la contamination chimique des aliments et boissons.

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2.1.3 Les conceptions socio-anthropologiques du cancer

Bien que le guide d’entretien proposé aux malades rencontrés en P1 était principalement axé sur le rapport à l’alimentation, les malades rencontrés ont d’eux-mêmes abordé des thématiques relevant de l’expérience de la pathologie cancéreuse. En abordant des notions telles que les causalités et la temporalité supposées du cancer, les changements généraux de comportements de vie mais également du rapport à la vie, ces malades nous ont fait prendre conscience de l’importance de cette notion d’expérience de la maladie sur la réorganisation du rapport à l’alimentation face au cancer. En effet, l’alimentation peut se voir conférer un certain rôle tant dans le « Avant » que dans le « Après » le diagnostic (Herzlich, 1998). Elle peut être identifiée comme une cause potentielle, comme un remède pour faire face aux chimiothérapies, comme un maintien de la vie sociale (Fontas et al., 2014). Cette nouvelle série de questionnement a été plus construite sous un modèle exploratoire puisque nous disposions de peu d’informations empiriques. Pour construire nos questions, nous nous sommes inspirés des outils de collectes de données en psychologie de la santé et principalement de deux types de questionnaire. Le premier est le « Illness Perception Questionnaire (IPQ) » (cf. Annexe 16) développé par Weinman et al. en 1996 (traduit en français dans le cadre du diabète par Anbar et al. en 2005). Ce questionnaire mesure neuf éléments de la représentation cognitive de la maladie : 1) les symptômes, 2) l’évolution aiguë-chronique dans le temps, 3) les conséquences, 4) le contrôle personnel, 5) le contrôle des traitements, 6) la cohérence de la maladie, 7) l’évolution cyclique dans le temps, 8) les représentations émotionnelles, 9) les causes de la maladie. Le second est le « Cancer Locus of Control Scale » (Pruyn et al., 1988 ; Watson et al., 1990) (cf. Annexe 17). Cette échelle est une adaptation de la Multidimensional Health Locus of Control Scale de Wallston et al. (1978). Elle a été validée sur une population de femmes françaises atteintes d’un cancer du sein par Cousson-Gélie (2005). Elle s’intéresse aux attributions causales, au contrôle perçu de la maladie désignant les croyances attribuées par les malades en ce que l’évolution de leur pathologie dépend soit de facteurs internes (comportements personnels) soit de facteurs externes (hasard, destin, environnement social et de santé), et rend également compte du contrôle religieux correspondant au fait de croire qu’un Dieu peut avoir un rôle dans l’apparition et/ou l’évolution de la maladie.

194 Pour rester pertinent avec notre thématique de recherche nous nous sommes concentrés sur les notions de causalité, de temporalité, de conséquence et de contrôle du traitement, que nous avons dans la mesure du possible adaptées au fait alimentaire.

Cette dernière partie du questionnaire abordait ainsi quatre thématiques.

- Les causalités supposées de la maladie par le malade. - La temporalité supposée de la maladie par le malade.

- L’impact de la maladie sur les comportements et la philosophie de la vie.

- Le rôle de l’alimentation dans la lutte contre la maladie et dans l’efficacité du traitement.

2.2 Mode de passation des questionnaires

Pour d’une part des raisons méthodologiques, et d’autre part des raisons éthiques, l’interview en face à face nous a semblé être la méthode la plus adaptée à notre terrain d’enquête.

2.2.1 Au niveau méthodologique

La méthode d’interview en face à face est considérée comme étant la plus fiable et permet d’élargir le questionnaire par la diversité et la complexité des questions (Poulain, 2001). Initialement, nous avions prévu de faire passer le premier questionnaire (phase Post-diagnostic) en face à face puis d’utiliser la méthode auto-administrée pour les questionnaires réalisés au moment de la deuxième, troisième et quatrième chimiothérapie145. Par cette méthode de passation nous souhaitions proposer, expliquer le déroulement et sensibiliser à la participation de l’enquête les malades et surtout indiquer comment remplir le questionnaire aux malades pour les prochaines passations. La sensibilisation et les explications initiales auraient permis une meilleure acceptation et réussite de l’enquête pour cette phase de passation en auto-administrée. Contraint à une

145 Cette méthode était applicable à la première méthodologie souhaitée où seulement les malades entrant en première séance de chimiothérapie étaient inclus à l’étude.

195 temporalité précise pour la collecte des données, cette méthode de passation en auto-administrée nous permettait de suivre les derniers malades inclus à l’enquête jusqu’à leur quatrième séance de chimiothérapie, alors que nous n’étions plus présents dans les services. Ceci nécessitait une participation du personnel soignant pour donner et récupérer les questionnaires auprès des malades. Cette demande a été acceptée par les quatre services partenaires. Or, nous avons constaté lors de notre phase de test (réalisée dans le service A en mars 2013) que l’interaction avec les malades était primordiale. Contraint à un certain isolement dans leur chambre d’hospitalisation, les malades acceptent plus facilement cet échange social (Poulain, 1999) leur permettant de « passer du temps » voire de « se confier », d’autant plus que la thématique abordée se distingue complètement de la prise en charge purement médicale. Pour cette principale raison, les malades ayant participé à la phase de test ont répondu négativement lorsque nous leur demandions s’ils accepteraient de remplir seul le questionnaire lors de leur prochaine séance de chimiothérapie. Nous avons ainsi construit notre approche quantitative par une méthode de passation des questionnaires en face à face, et ce pour chacune des phases du traitement étudiées.

2.2.2 Sur un plan éthique

La définition du mode de passation du questionnaire s’est également construite dans un souci éthique s’imposant à toutes enquêtes en sciences humaines et sociales réalisées dans un contexte médical (Desclaux, 2008), et plus particulièrement à la cancérologie (Soum-Poulayet et al., 2008). La passation des questionnaires en face à face s’est avérée être la plus appropriée à la situation des malades. La fatigue physique et morale étant importante lors de cette pathologie, nous avons exclu la méthode de l’interview par téléphone nécessitant une organisation plus complexe avec les malades lorsqu’ils sont présents à leur domicile, ainsi qu'un aménagement assez délicat en fonction de la fatigue et des nouveaux rythmes de vie engendrés par la maladie. De plus, le moment des hospitalisations pour les séances de chimiothérapie semble être le plus opportun, puisque la fatigue physique et les autres contraintes de la maladie et du traitement anticancéreux sont moins importantes à ce moment du cycle.

196 De plus, outre la réponse aux aspects formels de l’éthique médicale s’étant traduit par la validation de notre projet par les autorités compétentes (comité d’éthique des structures médicales, CCTIRS, CNIL)146, par la mise en place d’un consentement éclairé, mais aussi par le respect du secret médical et de l’anonymat des malades rencontrés, notre démarche éthique s’est également construite dans le respect de l’éthique en anthropologie de la santé (Desclaux et Sarradon-Eck, 2008). Ceci s’est traduit par tout d’abord la demande d’autorisation d’enregistrement des échanges lors des passations des questionnaires et de notre présence lors des consultations avec les médecins référents ou autres personnels soignants (excepté les séances avec la psychologue auxquelles notre absence était évidente). Puis, par un effort d’adaptation constant à la prise en charge médicale des malades où notre présence ne devait en rien interférer avec les soins réalisés par le personnel soignant147. Et enfin par une attitude fondée sur la prudence, l’empathie et la discrétion, qualités humaines indispensables à l’instauration d’un climat de confiance afin de ne pas perturber le bon déroulement des soins mais surtout de l’expérience du cancer de la personne atteinte et de celle de ses proches (Rossi et al., 2008).

2.3 La formation des enquêteurs

La principale contrainte de cette méthode en face à face reste la formation de l’enquêteur, pour lui permettre d’avoir une maitrise parfaite du questionnaire. Ce dernier doit, par ses connaissances précises des objectifs de l’enquête et surtout des raisons pour lesquelles les questions ont été rédigées d’une certaine manière, amener l’enquêté à se confier et surtout à déjouer la lassitude qui peut s’installer au cours des questionnements (Selz, Maillochon, 2009). La formation des enquêteurs est importante lorsque l’enquête nécessite plusieurs enquêteurs. La passation des questionnaires doit être la plus homogène possible. De plus, elle permet de sensibiliser l’enquêteur à l’impact de son rôle et de son statut professionnel pouvant induire des biais liés aux représentations que l’enquêté peut associer à sa profession dans le cadre de l’enquête (Poulain, 2001). Pour pallier ces différents biais, les

146 Voir l’Avant-propos.

147 Une phase d’observation dans les différents services partenaires a été réalisée avant le début de l’enquête afin de nous adapter au mieux à l’organisation de la prise en charge des malades. Ce point est traité en dernière partie de ce chapitre.

197 malades ont été informés du statut d’étudiant en sociologie des enquêteurs. Cette enquête nécessitant plusieurs enquêteurs du fait des différents lieux de passation, et ne disposant que de peu de moyens financiers, nous avons fait appel à des étudiantes en première année de master professionnel Sciences Sociales Appliquées à l’Alimentation de l’ISTHIA (Institut Supérieur du Tourisme de l'Hôtellerie et de l'Alimentation) de l'Université de Toulouse Jean-Jaurès, pendant leur période de stage (Avril-Septembre 2013). Afin de renforcer le statut d’étudiant en sociologie des enquêtrices, nous avons informé les responsables des services de notre désir de ne pas porter de blouse médicale lors des passations des questionnaires, pour ne pas être directement associés au personnel soignant et montrer notre extériorité à la structure médicale. Nous avons cependant dû procéder à quelques négociations une fois sur place. Au final un seul service nous a imposé de porter une sur-blouse pour des raisons d’hygiène. Toutes les enquêtrices étaient munis d’un badge indiquant leur nom, prénom et statut professionnel « Étudiante en sociologie ». Le non port de la blouse est effectivement plus cohérent dans notre démarche auprès des malades, mais reste cependant problématique puisqu’il freine l’intégration aux équipes soignantes et à la légitimité professionnelle (Hoarau, 2000).

Les enquêtrices ayant réalisé les passations des questionnaires ont été minutieusement formées à la thématique de recherche et à la méthode de passation des questionnaires. Nous avons nous-mêmes réalisés cette formation afin de transmettre au mieux nos attentes et notre expérience de terrain. La formation s’est réalisée en deux temps. Les enquêtrices ont tout d’abord été sensibilisées aux questionnements de la recherche selon une approche théorique et explicative du questionnaire. Cette première phase de la formation a permis aux enquêtrices de disposer de l’ensemble des connaissances nécessaires à la bonne réalisation des passations. Puis la formation a consisté à réaliser la passation des questionnaires directement auprès de malades. Dans un premier temps nous avons nous-mêmes réalisés une passation de questionnaire avec la présence de l’enquêtrice en tant qu’observateur, puis dans un second temps, l’enquêtrice a réalisé la passation du questionnaire et nous, nous observions. Les malades ont été informés de l’objectif de cet exercice, et les questionnaires réalisés lors de cette phase de formation n’ont pas été pris en compte dans l’enquête. Nous avons également procédé à cette observation lors des premières passations des questionnaires par les enquêtrices au début de l’enquête, afin de s’assurer qu’elles répondaient à nos attentes.