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Le modèle endogène

2. Les conceptions socio-anthropologiques de la maladie

2.2 Le modèle endogène

Par ce modèle, la maladie n’est plus causée par une entité extérieure, elle est directement liée à l’individu, elle réside à l’intérieur même du malade. Pour Laplantine ce modèle renvoie aux « notions de tempérament, constitution, de dispositions et prédispositions, de type caractériel ou astral (les signes du zodiaque), de nature, d’organisation, de terrain, d’hérédité, de patrimoine génétique, de « milieu intérieur » (…), de potentiel (inné ou acquis), de ressources d’autodéfense (la fabrication d’anticorps et d’antigènes) » (Laplantine, 1992 [1986] : 90). L’auteur désigne alors des maladies « dont l’étiologie endogène semble s’imposer comme une évidence ». Il cite : « les maladies de la nutrition, les troubles du métabolisme ; les déséquilibres hormonaux (…) ; les troubles de la croissance ; les « allergies » ; les troubles fonctionnels » (Laplantine, 1992 [1986] : 91). L’ensemble de ces représentations et pathologies font apparaître deux grandes variantes du modèle endogène : une « variante somatique » et une « variante psychologique ».

105 La première, la « variante somatique », relevant du domaine de la génétique, est axée sur la dimension héréditaire de la maladie et sur le dysfonctionnement corporel qui s’abattent sur l’individu suivant des temporalités spécifiques comme l’attestent les maladies de dégénérescence liées au vieillissement. Le malade n’est aucunement responsable de sa maladie, l’explication se trouve dans le destin plus ou moins inscrit dans les gènes. Les progrès de la médecine, et notamment de l’épigénétique, tendent à bouleverser cette fatalité génétique en proposant d’intervenir en amont de « l’activation » de la maladie. La prévention peut ainsi porter sur des comportements de vie tels que les pratiques alimentaires (nutrigénétique) mais également se réaliser par des interventions chirurgicales comme par exemple des mastectomies prophylactiques ayant pour principe l’exérèse de la totalité de la glande mammaire présumée saine permettant d’éviter la survenue d’un cancer.

La seconde variante du modèle endogène est « psychologique ». Elle relève des phénomènes émotionnels tels que la tristesse, la peur, la dépression, la peine, l’angoisse, le remord, le caractère, le moral, la sensibilité, la gaieté, la passion, etc. Ces conceptions endogènes de la maladie renvoient à un certain déséquilibre interne et sont l’objet de nombreuses interprétations de la morbidité comme celles décrites par Hippocrate90, Platon91 ou Aristote92, qui marquèrent pendant des siècles les perceptions dites profanes de la maladie (Herzlich et Pierret, 1991 [1984]). Une part de responsabilité et de culpabilité est ici accordée au malade dans la genèse de sa morbidité. Cependant, qu’elles soient « somatiques » ou bien « psychologiques », les étiologies endogènes de la maladie sont souvent associées aux conditions environnementales et sociales de vie (Herzlich et Pierret, 1991 [1984]) qui, bien que n’étant pas la cause directe du mal, n’ont pas aidé à les éviter.

Le modèle endogène impose un modèle thérapeutique non plus basé sur l’attaque de l’agresseur mais sur une aide apportée à l’individu lui permettant de se défendre contre cet agresseur. Il s’agira d’entamer un processus de régulation afin de rétablir l’équilibre entre l’individu malade et son milieu, par la stimulation des défenses de l’organisme pour aider le malade à se « guérir » par lui-même. Ici les symptômes (fièvre, nausées, vomissements,

90 Pour Hippocrate l’équilibre interne dépend des éléments naturels que sont l’eau, la terre, le feu et l’air et des humeurs propres de l’individu décrites par la bile, le sang, l’atrabile et la pituite.

91 Pour Platon l’équilibre interne renvoie à l’harmonie présente entre le corps et l’âme.

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106 etc.) ne sont plus considérés comme les effets secondaires de la maladie mais comme des éléments régulateurs combattant le mal. Ainsi Laplantine (1992 [1986]) propose la conjonction « fonctionnel93-endogène-bénéfique » pour rendre compte du second modèle étiologico-thérapeutique des représentations de la maladie et de la guérison de notre société. Cependant, l’auteur précise que cette conjonction reste ambiguë dans notre appréhension de la maladie puisque nous nous trouvons dans un schéma où la santé reste le plus grand des biens et qu’une exigence de l’efficacité quasi-immédiate de l’action thérapeutique s’impose. Dans cette seconde conjoncture « fonctionnel-endogène-bénéfique », la maladie n’est pas nécessairement définie comme un mal qui s’abat sur l’individu mais, au contraire, elle peut être vécue comme un épisode exaltant et enrichissant94 et l’action même du malade, nécessaire dans le processus thérapeutique, vient étirer la temporalité de ce dernier.

Ces deux modèles étiologiques de la maladie (exogène et endogène) soulèvent cependant deux questionnements. Tout d’abord, ils renvoient au lieu de l’origine de la maladie mais restent cependant fortement couplés au sens attribué à la maladie par le malade (Pedinelli, 1996). Ainsi les représentations du sens de la maladie, notamment présentées en psychologie et dans la littérature, appréhendent la maladie en termes de catastrophe, agression, défi, répit, destruction, libération, bénéfice, etc. Puis, le contexte actuel des maladies chroniques, avec les fortes avancées de la médecine, mais également de l’épidémiologie, viennent entremêler ces deux formes de causalité, permettant ainsi de penser la maladie en termes multifactoriel. Comme nous l’avons en partie déjà exprimé, le cas du cancer en est un bon exemple. Maladie fortement liée au mode de vie (pollution, alimentation, tabac, stress, etc.), elle se développe cependant par un processus interne venant « ronger » 95 l’intérieur même de l’être.

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Pour Laplantine, le modèle relationnel ou fonctionnel correspond aux « médecines centrées sur l’homme malade et dont les systèmes de représentations sont commandés par un modèle relationnel qui peut être pensé en termes physiologique, psychologique, cosmologique ou social » (Laplantine (1992 [1986]), p. 55).

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Laplantine (1992 [1986]) parle alors de gratification, exploit, guérison, maladie-volupté, maladie-salut et maladie-liberté. Pour Herzlich la maladie peut être « libératrice » lorsque l’inactivité qu’elle engendre est vécue comme une délivrance, comme une occasion d’échapper aux responsabilités sociales.

95 Etymologiquement, le mot cancer signifie « crabe » et « ronger ». Il est souvent comparé à une « bête », à une « chose » qui dévore de l’intérieur.

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